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L’agence Magnum Photos épinglée pour des images de prostitution infantile

L’agence Magnum Photos épinglée pour des images de prostitution infantile

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Les visages de ces prostituées mineures sont clairement identifiables et cela pose problème.

La prestigieuse agence Magnum Photos est sous le feu des critiques depuis une semaine pour des photos de prostitution infantile figurant dans son catalogue. Les photos qui sont remontées lors de cette polémique ne concernent pour le moment qu’un photographe, mais de nombreuses séries du même type sont encore visibles sur la plateforme de l’agence.

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Le 6 août, le journaliste Andy Day, travaillant pour le média Fstoppers, a découvert des images problématiques du photojournaliste David Alan Harvey, en tapant les mots-clefs “fille, prostituée” dans la barre de recherche de Magnum. C’est là que plusieurs photos prises par Harvey sont apparues : notamment celles d’une série qu’il a réalisée en 1989, sur les prostituées mineures thaïlandaises. Elles présentent de la nudité, des activités sexuelles et des rencontres avec des clients.

Des photos de prostituées mineures thaïlandaises au cœur de la polémique

Capture d’écran de la photo de David Alan Harvey, en vente dans le catalogue en ligne de Magnum Photos. (© Fstoppers)

Parmi toutes les images de cette série effectuée à Bangkok, une image a davantage choqué : elle représente une enfant torse nu, ne portant qu’une culotte, se dirigeant vers l’objectif du photographe qui semble allongé sur le lit. Son visage n’est pas flouté, elle sourit au photographe. Parmi les mots-clefs associés au fichier photo il y avait, par exemple, “adolescente, prostitution, 13 à 18 ans, dénudée, seins”.

Le contexte de la prise de vue semble assez trouble, a jugé le journaliste, d’autant plus qu’il est interdit de payer des mineur·e·s pour des relations sexuelles en Thaïlande. De plus, le site de Magnum n’affichait pas pour cette photo la restriction habituelle, disant qu’il ne faut pas utiliser cette image en dehors de son contexte et sans légende.

Capture d’écran des mots-clefs de la photo de David Alan Harvey, en vente dans le catalogue en ligne de Magnum Photos. (© Fstoppers)

Un cas qui soulève plusieurs problèmes

Si le devoir des photojournalistes est de documenter absolument tout ce qu’il se passe dans notre monde, ces photos relatives à la prostitution infantile posent problème, puisque la plupart semblent avoir été prises dans un cadre assez informel, c’est-à-dire sans consentement signé pour leur droit à l’image – documents qui devraient être signés par leurs tuteur·rice·s légaux·les pour les mineur·e·s.

L’autre problème qui a été soulevé concerne leurs visages clairement identifiables, ce qui est illégal : sous la législation anglaise, si une photo de ce type existe, elle est la preuve qu’un délit d’abus sexuel a été commis, tandis qu’aux États-Unis, toute production, possession, diffusion, importation, réception ou distribution d’images pédopornographiques est interdite. Comme le rappelle le site Fstoppers, le terme “pornographie” est à éviter dans ce contexte selon certain·e·s avocat·e·s, car il implique qu’une autorisation a été signée, ce qui n’est pas toujours le cas.

Et “l’intention journalistique” n’est pas une excuse valable au regard de la loi, celle-ci devant être éthique et encadrée. L’Unicef a d’ailleurs donné des règles précises pour documenter les enfants victimes d’exploitation sexuelle : il faut respecter leur dignité, inscrire sa démarche dans une volonté de défendre leurs droits, que leur visage soit masqué, leur nom changé et éviter toutes les catégorisations et descriptions qui pourraient les exposer à des représailles.

Nul besoin de préciser que dans le cas de David Alan Harvey, aucune de ces règles n’est respectée et que c’est à Magnum Photos de s’assurer que chaque image mise en vente dans son catalogue répond bien à ces critères éthiques.

La réponse de Magnum

Contactées par Fstoppers, les filiales britannique et américaine ont fini par reconnaître le caractère “inapproprié” de ces images présentes dans leur catalogue et les ont retirées. Elles n’ont pas répondu au commentaire du journaliste leur rappelant que ceci pourrait aujourd’hui constituer un acte de maltraitance sexuelle sur mineur·e·s.

“Comme beaucoup dans l’industrie photographique, nous réexaminons nos archives passées, car nous sommes conscients qu’il y a du matériel qui peut être inapproprié. Magnum a accumulé près d’un million d’images au cours de ses 73 ans d’histoire et nous nous engageons à compléter cette mission.”

Le 8 août dernier, pourtant, Andy Day raconte que les recherches sur le site de Magnum avec les termes “fille, prostituée” affichaient plus de 100 résultats et que la plupart de ces images montraient encore des visages identifiables avec des mots-clefs comme “fille, 3 à 13 ans”.

D’autres affaires ont refait surface

Depuis cette découverte, d’autres polémiques concernant l’agence ont refait surface. En 2014, Martin Parr – un des membres de Magnum Photos – a préfacé le livre du photojournaliste espagnol Txema Salvans, qui a documenté pendant huit ans les prostituées sur les routes catalanes, sans leur accord, à la volée et à visages découverts, tout en sachant que ces femmes ne voulaient pas être photographiées et exposées. Dans son avant-propos, Parr qualifiait d’ailleurs ces femmes de “modèles”, un terme impliquant un consentement, ce qui n’était pas le cas ici.

En 2017, l’agence historique inaugurait un partenariat avec LensCulture pour un concours : la photo qui a été utilisée pour promouvoir cette compétition était celle d’une enfant de 16 ans, vraisemblablement en train de se faire violer. “La fille est sur le dos, regarde l’objectif, avec un homme nu sur elle. Son visage est découvert et se voit très bien. Son identité n’est pas cachée”, peut-on lire sur le site de NPR.

À l’époque, Magnum avait déjà répondu qu’elle mettrait à jour son archive et qu’elle sensibiliserait ses photographes à toutes ces questions, un engagement qui a été renouvelé en 2018. Deux ans plus tard, rien n’a changé. Plus que jamais, Magnum Photos et d’autres agences doivent mettre à jour leurs archives photo, pour respecter le droit contemporain et témoigner de luttes actuelles.

Édit du 21/08/2020 : Depuis la publication de cet article, Getty Images a déclaré prendre au sérieux la présence de ce genre d’images dans son catalogue et que l’équipe allait supprimer toutes les photos problématiques. De son côté, Magnum a réitéré ses bonnes intentions et a suspendu le contrat du photographe David Alan Harvey, car il a été entre-temps accusé de harcèlement sur une collègue. C’est la première fois, en 73 ans, que l’agence vire un photographe.

Édit du 18/03/2021 : Après avoir été suspendu durant un an, David Alan Harvey a annoncé sa démission de l’agence Magnum.