Des policiers de Portland, dans l’Oregon, au nord des États-Unis, ont suspecté un homme au visage couvert de tatouages nommé Tyrone Lamont Allen d’être l’auteur du braquage de quatre banques. Seul problème pour les officiers : ni les témoins de ces scènes de vol, ni les caméras de surveillance ne rapportent la présence de tatouages sur le visage du coupable.
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Cela n’a pas froissé les policiers en charge de l’affaire qui ont tout bonnement décidé d’effacer d’un coup de pinceau numérique les tatouages arborés par Tyrone Lamont Allen. “C’était comme appliquer du maquillage de façon numérique”, a éhontément affirmé l’expert de la police criminelle de la station, Mark Weber, à l’Oregon Live.
À gauche, la photo anthropométrique de Tyrone Lamont Allen, à droite, la photo modifiée par la police. Pièce à conviction, via “Oregon Live”.
Les policiers ont affirmé que ces changements avaient été opérés pour que l’homme “ne sorte pas du lot” par rapport aux autres suspects présentés et pour que ses tatouages “ne soient pas une distraction” pour les témoins. Ces dernier·ère·s n’ont cependant pas été prévenu·e·s que des modifications conséquentes avaient été apportées à l’image.
Le silence a été tel que c’est l’avocat de Tyrone Lamont Allen, Maître Mark Ahlemeyer, qui s’est rendu compte que le portrait de son client ne lui ressemblait pas du tout. Absolument aucune des retouches n’a été documentée, on ne peut savoir de quelle façon son visage a donc été retouché.
Un cas qui pourrait faire jurisprudence
Le véritable braqueur. Image venant d’une caméra de surveillance. Pièce à conviction, via “Oregon Live”.
“C’est une pente très très glissante étant donné les avancées de la technologie. On ne sait pas comment ce genre de choses peut évoluer”, ajoute l’avocat de la défense. L’affaire est toujours entre les mains du juge. Sa décision pourrait avoir valeur de jurisprudence puisque le New York Times affirmait ce lundi 26 août qu’elle pourrait déterminer la légalité ou non de ce genre de manipulations de portraits de suspects.
Si les policiers de la station de l’Oregon ne paraissent pas particulièrement heurtés par cette décision, de nombreux et nombreuses docteur·e·s en droit et en psychologie ont quant à eux fait part de leur mécontentement :
“Les forces de l’ordre ont pris ces photos d’un suspect qui ne correspondaient pas aux descriptions des témoins. Ils ont modifié l’image pour qu’elle corresponde mieux à ces descriptions. Si on ne peut pas faire un alignement de suspects correct en photos, la réponse ce n’est pas de retoucher les photos mais de ne pas en faire”, martèle Mat dos Santos, le directeur légal de l’union pour les libertés civiles américaines de l’Oregon.
Cette manipulation témoigne des relents racistes et des inégalités judiciaires à l’égard des personnes noires dans le pays de l’Oncle Sam.
Pièce à conviction, via “Oregon Live”.
Pour Jules Epstein, professeur de droit émérite et figure dominante sur le sujet des témoignages visuels, les officiers de police augmentent ainsi significativement la potentialité d’erreurs d’identités – tragiques dans le domaine judiciaire. Celles-ci sont loin d’être des cas isolés et, depuis 1992, une association nommée l’Innocence Project lutte d’ailleurs pour aider ces innocent·e·s condamné·e·s à tort.