Ryan Caruthers ne s’est jamais senti très à l’aise avec la notion de masculinité. Au contraire, il a souvent eu l’impression de ne pas correspondre aux attentes et aux clichés genrés qu’on impose aux garçons. L’artiste s’est ainsi inspiré de ce douloureux sentiment pour questionner les stéréotypes masculins à travers une remarquable série de clichés, Tryouts.
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Ces clichés montrent le jeune artiste s’essayant à différentes pratiques sportives : de la nage au baseball en passant par la musculation. Les blessures encore ensanglantées que l’on remarque sur certains portraits font écho à la violence subie par le jeune homme durant son enfance.
Ryan Caruthers ne garde pas forcément de très bons souvenirs de sa scolarité. À l’époque, le jeune garçon très mince et souffrant d’une déformation osseuse au niveau de la poitrine s’est vite senti à l’écart, n’affirmant pas la même virilité que ses camarades d’école. Si l’expérience de Ryan n’a rien d’un cas à part, cela n’a pas pour autant allégé sa souffrance. Quiconque s’est déjà senti en pleine crise identitaire peut alors comprendre le mal-être sublimé à travers cette série. Le photographe établi à Brooklyn a accepté de répondre à nos questions.
Konbini | Peux-tu nous en dire un peu plus sur Tryouts et ce qui t’a poussé à produire cette série ?
Ryan Caruthers | Tryouts est partie d’un vieux questionnement que j’avais eu autour des habits. Je me prenais en photo, seul dans ma chambre. J’aimais l’idée que les vêtements pouvaient apporter un caractère presque érotique, de la même façon qu’ils pouvaient dissimuler ma fine silhouette. À partir de cette expérience, je me suis rendu compte que les vêtements ne changeaient pas seulement mon allure, mais aussi ma façon de penser, mon ressenti face à l’appareil photo.
À travers cette série, j’ai voulu explorer les liens qu’il peut exister entre les notions d’homosexualité, de masculinité et de sport. Ces photos montrent comment j’essaye, tant bien que mal, de jouer le rôle qu’on attend de moi. Mon travail souligne alors mon isolement et ma difficulté à correspondre aux stéréotypes masculins. Cette série découle de mon enfance et mon adolescence.
“La notion de masculinité m’apparaît comme violente de par sa représentation dans notre société”
Comment la pratique du sport à l’école a pu t’amener à réaliser ce travail ?
Je jouais seulement au football quand j’étais petit, puis j’ai arrêté en entrant au collège. Je me suis éloigné du sport en général, car je ne me sentais pas à l’aise vis-à-vis des autres garçons et de l’idée de devoir se montrer viril. Cette série représente un moyen pour moi d’expérimenter autrement les pratiques sportives que j’ai évitées pendant un temps. Vous remarquerez tout de même que sur ces photos, je fais du sport toujours seul.
Tes photos dévoilent un univers à la fois élégant mais violent. Voulais-tu définir la masculinité de cette façon ?
La notion de masculinité m’apparaît comme violente de par sa représentation dans notre société. Depuis notre plus jeune âge, on nous pousse à croire que les garçons se doivent d’être physiques et d’aimer le sport. Ces idées s’ancrent en nous pour former au final des stéréotypes genrés. Je pense que la masculinité renvoie à quelque chose de brutal, elle est liée à la violence. Dans mon travail, j’essaye d’y faire allusion en montrant mes blessures au nez et mes éraflures au visage. Cette violence fait également écho au harcèlement, à l’intimidation.
“Je m’interroge toujours : suis-je un garçon ? Un homme ? Est-ce que j’ai seulement envie d’en être un ?”
Comment envisages-tu aujourd’hui la masculinité ? Comment ton expérience a-t-elle changé ta vision des choses ?
Je l’envisage de différentes façons. Chaque fois que je me regarde dans le miroir, je m’interroge : “Qu’est-ce qui me rapproche de la masculinité ? Qu’est-ce qui m’en éloigne ?” Je crois que le fait d’être homosexuel influe forcément sur la façon dont tu considères cette notion. Je me demande toujours aujourd’hui : “Suis-je un garçon ou un homme ? Est-ce que j’ai seulement envie d’en être un ?”
Le travail de Ryan Caruthers est à retrouver sur son site personnel.