La liberté retrouvée de femmes victimes de trafic humain documentée par Aline Deschamps

La liberté retrouvée de femmes victimes de trafic humain documentée par Aline Deschamps

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© Aline Deschamps

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Par Pauline Allione

Publié le , modifié le

La photographe, qui avait documenté le quotidien de femmes sierra-léonaises exploitées et maltraitées au Liban, a suivi leur retour à la maison.

Au printemps 2020, la photographe franco-thaïlandaise Aline Deschamps partait à la rencontre de travailleuses domestiques victimes de trafic humain à Beyrouth, au Liban. Son projet I am not your animal documente le quotidien de ces femmes sierra-léonaises, souvent privées de passeport, d’argent et enfermées chez leur employeur, qui les traite comme des animaux – sentiment qui a donné naissance au titre de cette série.

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Deux ans après le début de cette série photographique, Aline Deschamps a suivi le rapatriement de ces femmes et leur retour à la liberté. Grâce à des collectes de fonds et à l’attention médiatique, un premier groupe de femmes a pu rejoindre la Sierra Leone, quelques mois seulement après le début de I am not your animal.

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La photographe dénonce :

“Leur retour tenait presque du miracle ! Je les ai retrouvées à Makeni, une ville luxuriante du nord de la Sierra Leone qui abrite de nombreuses survivantes de la traite revenant du Moyen-Orient. J’ai renoué avec des femmes que j’avais connues au Liban et j’en ai rencontré de nouvelles venant d’Oman, du Koweït, d’Arabie saoudite, entre autres…

Toutes partageaient une expérience commune au Moyen-Orient : racisme, esclavagisme, violences physiques, mentales et sexuelles pratiqués dans un système connu sous le nom de ‘kafala’.”

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Si le terme fait initialement référence à une procédure d’adoption sans filiation dans le droit musulman, la kafala désigne également la mise sous tutelle de travailleur·se·s migrant·e·s par leurs employeurs, et recouvre l’esclavage qui continue de sévir au Moyen-Orient.

En Occident, ce système a surtout bénéficié de l’attention médiatique avec l’organisation de la Coupe du monde 2022 au Qatar, où des milliers d’ouvriers immigrés travaillent dans des conditions plus que difficiles et voient leurs droits humains bafoués.

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Entre peurs et soulagement

Loin de vouloir idéaliser ce retour en Sierra Leone, Aline Deschamps s’attache à traduire en images la complexité du rapatriement de ces anciennes employées de maison migrantes, seules dans leur réintégration.

La photographe immortalise les joies de ces femmes et leur liberté retrouvée, mais aussi les difficultés rencontrées sur place : réinsertion professionnelle compliquée, rejet des familles, honte des agressions subies, peur de ne pas rembourser leurs dettes auprès de leurs passeurs…

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“Malgré le soulagement de quitter un pays qui les a réduites en esclavage, ce fut une décision très douloureuse pour beaucoup de femmes. ‘Comment puis-je retourner dans ma famille les poches vides, après des mois ou des années d’absence de travail ?’, me disaient-elles.” Par honte ou peur, certaines ont ainsi préféré ne pas retourner dans leur village natal.

“À Beyrouth, il y avait un contexte très toxique et pesant au quotidien pour ces femmes, avec des parenthèses de liberté, comme ces moments d’évasion à la plage”, détaille Aline Deschamps. À Makeni, en Sierra Leone, la tendance s’inverse : beaucoup ressentent évidemment le goût de la liberté retrouvée, mais mêlée à l’amertume d’une réintégration difficile.

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Lutter contre le trafic humain

Rescapées de la kafala, nombre de ces femmes ont décidé d’œuvrer ensemble à leur propre réinsertion et militent pour que d’autres femmes ne partent au Moyen-Orient et ne connaissent l’esclavagisme et le racisme inhérents à ce système.

“Malgré des conditions économiques difficiles, j’étais constamment impressionnée par la communauté que ces femmes avaient réussi à créer et la force qui en émanait”, raconte l’artiste. Elles œuvrent à la réinsertion des victimes et font de la prévention contre la kafala grâce à un financement participatif, luttent contre le trafic humain en prenant la parole sur les marchés, mènent des ateliers de couture ou des projets agricoles pour créer de l’emploi…

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“À la fin de mon séjour, ces femmes ont même organisé un concours de beauté ouvert uniquement aux anciennes victimes de traite humaine. Elles défilaient, dansaient, étaient redoutablement séduisantes et absolument magnifiques dans leurs robes de gala. J’ai senti qu’elles jouaient à nouveau le jeu d’être une femme, défendant leur parcours avec grâce, intelligence et puissance, ce qui était le but de cette série”, exprime la photojournaliste.

Entre les peurs et les difficultés sociales et économiques, Aline Deschamps capture toute la force et la résilience qui émane de ces femmes sierra-léonaises, rescapées d’un système qui continue chaque jour de faire des victimes.

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