Depuis près de soixante ans, le photographe américain John Simmons raconte les petites histoires qui font la grande Histoire de son pays. Dès l’âge de quinze ans, il capture, à l’aide de son appareil photo, les récits d’anonymes à travers les États-Unis, à commencer par Chicago, ville dans laquelle il a grandi et connu la ségrégation.
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Alors qu’un incendie a récemment ravagé une partie de ses archives, John Simmons a accepté de remonter le temps en notre compagnie. Il s’est épanché sur la naissance de son amour pour la photographie de rue et le noir et blanc, ainsi que sur l’évolution de la société américaine depuis son enfance, notamment concernant le sort des Noirs américains.
“Homme au pistolet”, Chicago, 1965. (© John Simmons)
Cheese | Bonjour John, est-ce que tu peux nous raconter comment tu t’es mis à la photographie ?
John Simmons | Tout a commencé vers mes 15 ans. Le meilleur ami de mon frère, Robert “Bobby” Sengstacke, était un photographe incroyable et j’admirais énormément son travail et son style. Il avait toujours deux appareils Nikon sous le bras et sa chambre noire était l’endroit le plus cool que je connaissais. Il y avait toujours du jazz en fond musical. C’était vraiment un lieu magique. En même temps, qu’y a-t-il de plus magique qu’une chambre noire ?
Sa famille possédait un journal local, le Chicago Daily Defender Newspaper, la première et la plus ancienne des publications afro-américaines du pays. Je suis allé à une convention du journal avec sa famille et Bobby m’a donné un appareil photo pour immortaliser l’évènement. On a développé les négatifs et j’étais lancé, je ne pouvais plus faire machine arrière. Bobby a dit que j’avais “un œil”. Il est devenu mon mentor et, après avoir pris un peu d’expérience, j’ai commencé à prendre des photos pour le journal.
Et pourquoi t’être dirigé vers la photographie de rue en particulier ?
C’était ce que faisait Bobby. Il m’a donné un livre, The Sweet Flypaper of Life de Langston Hughs, illustré avec des photos de Roy DeCarava. Ce livre et l’influence de Bobby m’ont montré que la vie était remplie de récits et qu’avec mon appareil photo, je pouvais raconter mon histoire. Sous la tutelle de Bobby, j’ai étudié le travail de photographes emblématiques qui racontaient des histoires avec leurs appareils : Gordon Parks, Henri Cartier-Bresson, Walker Evans, Dorothea Lange, James Van Der Zee et d’autres encore.
Macon, Géorgie. (© John Simmons)
Qui sont les gens que tu photographies ?
Ce sont des anonymes – mais uniquement au sens où je ne les connais pas personnellement. Je nous vois tous comme faisant partie d’une même expérience humaine. On la partage tous sous la forme du tissu qu’est la vie. Dans mes photos, transparaît le fait que les personnes photographiées et moi avons partagé quelque chose de très spécial, que notre rencontre est une histoire en elle-même.
Quand je prends une photo, c’est une expérience totalement intuitive. C’est mon rythme de vie et ma gratitude pour l’instant présent qui me poussent à photographier ce qui passe devant mes yeux, depuis ma propre perspective.
Tu as été le témoin photographique des injustices subies par Noirs aux États-Unis depuis des décennies. De quelles évolutions toi et ton appareil photo avez-vous été témoins ?
J’ai grandi dans une communauté noire au sud de Chicago. Martin Luther King en disait : “Cicero [le quartier de Chicago dont vient John Simmons, ndlr] est pire que n’importe quel endroit du Sud [des États-Unis].” Même si la ville était très ségréguée, j’étais porté par la communauté dans laquelle je vivais. La ségrégation y a renforcé le sentiment d’appartenance.
“Le garçon et le policier”, Chicago, 1969. (© John Simmons)
En ce qui concerne la police, ça a toujours été la même chose, il y a des bons et des mauvais. J’ai connu les deux. En tant que jeune homme dans les rues de Chicago, ma relation avec la police a toujours été soumise à l’intimidation et à l’oppression. Si la police passait à côté, il fallait toujours s’attendre à une remarque. Et c’est encore le cas actuellement aux États-Unis.
“Le pays a toujours connu le contrôle au faciès et les violences policières. Ce sont les conséquences d’une histoire esclavagiste et chargée de racisme.”
Cela est rendu plus évident maintenant parce que les informations se transmettent de plus en plus rapidement, notamment grâce aux réseaux sociaux et à l’Internet en général. Comme de nombreux autres artistes dans ce pays, ma passion et mon amour pour mon travail est bien plus puissant que les forces qui essaient de nous museler.
Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?
J’ai toujours shooté en noir et blanc parce que ça coupe à travers tout, ça va directement à l’essentiel. Un peu à la façon d’un sculpteur qui se débarrasse de tout ce qui est en trop pour finir avec sa seule intention. Pour moi, les images en noir et blanc donnent aux spectateurs le dessein, ils peuvent remplir le reste en couleur. L’usage du noir et blanc ne laisse pas de place à la distraction.
“Archie Shepp”, 1971. (© John Simmons)
Tu prends des photos depuis les années 1960, tes archives doivent être énormes. J’ai entendu dire que tu avais malheureusement été victime d’un incendie, que s’est-il passé ?
Oui. J’ai pas mal déménagé après la fin de ma dernière relation et j’avais laissé une grande partie de mes affaires dans le garage d’un ami, ce garage a pris feu. Quand je suis arrivé sur place, il pleuvait des cordes. Tout était couvert de décombres, le toit s’était affaissé et des rats courraient dans tous les sens. Ça n’a pas été facile de tout rassembler et sortir de là. J’étais dévasté par l’étendue des dégâts.
Encore aujourd’hui, il reste des négatifs collés les uns aux autres et je ne sais pas comment les séparer sans danger. […] Peut-être que quelqu’un qui lira ceci sera en mesure de m’aider ? J’ai réussi à sauver beaucoup de négatifs et j’en suis très heureux. Un grand nombre de mes images date des années 1960 et 1970, au-delà de l’aspect esthétique, mon travail détient aussi une valeur historique.
“Will sur une Chevy”, Nashville, 1971. (© John Simmons)
“Le Caravage”, Londres, 2016. (© John Simmons)
“Deux chaussures”, Nashville, 1971. (© John Simmons)
“Optez pour le fun, pas pour moi”, Los Angeles, 2019. (© John Simmons)
“Superman”. (© John Simmons)
“Chicago Soldiers”, Chicago. (© John Simmons)
“Dance”, Chicago, 1969. (© John Simmons)
“Dump Trump”, Los Angeles. (© John Simmons)
“Nazi”, Los Angeles. (© John Simmons)
“Rain”, Nashville, 1971. (© John Simmons)
“Alejandro Santigo”, Mexique, 2014. (© John Simmons)
Vous pouvez retrouver le travail de John Simmons sur son site et sur son compte Instagram.