La provenance douteuse des œuvres de la Collection Bührle, qui s’est enrichie en vendant des armes au Troisième Reich, crée la polémique en Suisse, poussant le musée Kunsthaus Zürich qui les expose à faire appel à des expert·e·s pour lever les doutes.
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D’origine allemande, puis naturalisé Suisse en 1937, le marchand d’armes Emil Bührle (1890-1956) a fait fortune pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a constitué une collection d’art dont il a dû restituer ou racheter certaines œuvres en raison de leur provenance suspecte.
L’origine de la Collection Bührle, gérée par une fondation, fait débat depuis longtemps mais a refait surface suite au déménagement des tableaux. Jusqu’en 2015, ils étaient visibles dans un musée très confidentiel à Zurich.
Le musée avait été cambriolé en 2010 par des hommes armés, qui avaient dérobé quatre chefs-d’œuvre, dont Le Garçon au gilet rouge de Cézanne. La Fondation Bührle a décidé depuis de déplacer la Collection au Kunsthaus Zürich.
L’ouverture en octobre 2021 de l’extension du Kunsthaus Zürich, conçue par l’architecte britannique David Chipperfield pour abriter de façon permanente la Collection Bührle, a permis à l’instance culturelle de devenir le “plus grand musée d’art de Suisse”.
Mais la décision d’exposer la Collection Bührle a été attaquée, notamment dans un récent ouvrage de l’historien Erich Keller, Das kontaminierte Museum (“Le musée contaminé”). L’origine douteuse des tableaux et le manque de contextualisation de la collection font débat. Le musée avait pourtant pris ses précautions en commandant, sur ordre des autorités, une étude historique auprès de l’université de Zürich.
Face aux critiques persistantes, le musée a annoncé qu’un “comité d’experts indépendants […] vérifiera la pertinence de la méthodologie et de la procédure suivies” par les responsables de la collection “ainsi que l’exactitude de la présentation des résultats”.
Collection d’art nazie ?
Selon l’office du tourisme suisse, environ 200 œuvres sont exposées, dont certaines connues de Manet, Degas, Cézanne, Monet, Renoir, Gauguin, Van Gogh, Picasso et Braque, à travers un parcours qui renseigne sur le contexte historique dans lequel Bührle a œuvré.
Sur un site en ligne, le musée présente également longuement le parcours du marchand d’armes, sans omettre ses relations avec les nazis. Il y est indiqué que Bührle a commencé à acheter des œuvres d’art en 1936, un fois qu’il a gagné son premier million avec l’expansion des exportations d’armes, et était en possession à la fin de sa vie d’une collection regroupant environ 600 œuvres.
Toujours selon ce site, il a été en contact dès 1938 avec la galerie de Theodor Fischer à Lucerne qui vendait pour le régime nazi des œuvres confisquées aux musées allemands et considérées comme “dégénérées”.
Dans les années qui suivent, Fischer vend également des œuvres provenant de collections privées qui ont été pillées par les nazis en France. “Bührle achète onze de ces tableaux à Fischer pendant les années de guerre”, selon le Kunsthaus Zürich.
S’il a fait des affaires pendant la Seconde Guerre Mondiale, “il ne nous a pas légué, pour autant, une collection d’art nazie”, a souligné face aux médias le directeur de la Collection Bührle, Lukas Gloor, a rapporté l’agence de presse suisse ATS.
En 1945, sous la pression des Alliés, la Suisse crée au sein du tribunal fédéral une chambre des biens spoliés. Suivent alors des enquêtes judiciaires, au cours desquelles 77 œuvres d’art ayant abouti dans des collections suisses sont identifiées comme des biens spoliés à leurs propriétaires.
Parmi celles-ci, treize sont en possession de Bührle, qui doit les restituer. Il en acquiert neuf une seconde fois au prix du marché. Parmi les tableaux que Bührle a acquis auprès de Fischer et qu’il doit restituer par la suite figure La Liseuse de Jean-Baptiste Camille Corot.
L’œuvre avait été volée au galeriste juif Paul Rosenberg en 1940, alors qu’il fuyait la France. Bührle l’a acquise en 1942 à la galerie Fischer pour 70 000 francs. En 1948, il doit la rendre à Rosenberg. Moins d’un mois plus tard, il l’acquiert pour la somme de 80 000 francs à la galerie Rosenberg de New York.
Konbini arts avec AFP