De Gerda Taro à Susan Meiselas, 5 photographes femmes qui ont documenté la guerre

De Gerda Taro à Susan Meiselas, 5 photographes femmes qui ont documenté la guerre

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© Anja Niedringhaus/AP/SIPA

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Par Donnia Ghezlane-Lala

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La discipline étant dominée par les hommes, il est bon de remettre les pendules à l’heure à travers cinq grandes reportrices qui ont marqué leur époque.

Robert Capa, James Nachtwey, Gilles Caron, Don McCullin… Dominée par les hommes, l’histoire de la photographie de guerre a pourtant connu de nombreuses reportrices qui ont travaillé dans des zones de guerre, documentant l’horreur du monde. Contrairement aux hommes, ces photojournalistes femmes avaient des accès privilégiés à l’intimité des familles locales et offraient un regard nouveau sur le pays.

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Gerda Taro, Lee Miller, Catherine Leroy, Christine Spengler, Anja Niedringhaus, Susan Meiselas, Carolyn Cole, Françoise Demulder… Ce sont huit grandes photographes de guerre occidentales que le musée Libération Leclerc Moulin a décidé de mettre en avant dans une exposition qui “questionne la notion de genre, interroge la spécificité du regard féminin sur la guerre, bouscule certains stéréotypes, montre que les femmes sont tout autant passeuses d’images que témoins de l’atroce”.

Christine Spengler, Bombardement de Phnom Penh, Cambodge, 1975. (© Christine Spengler)

Sur 75 ans de conflits, l’événement présente “des aperçus intimes de la vie quotidienne pendant la guerre, des témoignages d’atrocités, des références à l’absurdité de la guerre et à ses conséquences” et ce qui se passe entre autres “à l’arrière du front” à travers “plus de 80 photographies, une douzaine de journaux et magazines originaux”. À l’occasion de cette exposition, coup de projecteur sur cinq grandes photographes de guerre qui ont marqué leur époque.

Gerda Taro

Née en 1910 dans une famille juive, Gerda Pohorylle, de son vrai nom, a passé son enfance en Allemagne. En 1933, la jeune femme décide de s’installer à Paris, en pleine montée du nazisme, et commence à sympathiser avec les idéologies communistes.

C’est dans la capitale française qu’elle rencontra le photographe hongrois Endre Friedmann, qui devint son mentor et lui inculqua les bases de cet art. Endre Friedmann… Ça ne vous dit rien ? Et pourtant si, il s’agit de Robert Capa, qui utilisait, comme elle, un pseudonyme, et qui est connu comme l’un des plus grands photographes de guerre du XXe siècle… À tel point qu’il a invisibilisé et s’est (souvent) approprié le travail de sa conjointe.

Mobilisation générale, Valence, Espagne, mars 1937. (© Gerda Taro/Courtesy of International Center of Photography)

Dès 1936, le couple signe ensemble une œuvre commune, sous les noms de “Robert Capa” et “Gerda Taro”, et se fait passer pour un photographe états-unien et son agente. Pour l’anecdote, le pseudonyme de Gerda Taro rend hommage au peintre japonais Taro Okamoto et à l’actrice hollywoodienne Greta Garbo.

Les deux documentent de très près la guerre civile d’Espagne de 1936 à 1939, et œuvrent pour lutter contre le régime fasciste. Des corps arrachés, des explosions, des soldats sur le front… Leurs photographies font le tour du monde et remportent un vif succès, comme la Mort d’un soldat républicain, même si leurs véritables identités sont rapidement découvertes.

Déterminée à dépeindre une “guerre en mouvement”, Gerda Taro assiste, de son côté, aux entraînements des soldats femmes républicaines, noue des liens avec de jeunes combattantes et suit le “Bataillon des 21 nations”, une unité envoyée sur le front de Cordoue.

Soldats républicains à La Granjuela sur le front de Cordoue, Espagne, juin 1937. (© Gerda Taro/Courtesy International Center of Photo)

Jusqu’à aujourd’hui, beaucoup d’images prises par le couple ou seulement par Taro sont signées Robert Capa. Ayant initialement choisi de publier ses premières photographies sous le nom de son mari, elle voit pour la première fois son nom dans une publication, dans la revue Regards, en mars 1947. C’est sur la ligne de front, dans la ville espagnole de Brunete, que Gerda Taro mourut, en juillet 1937, percutée par un tank.

Lee Miller

Lee Miller a été une mannequin à grand succès, posant pour Vogue, Glamour ou encore pour l’artiste surréaliste Man Ray, avant de devenir photographe. Sa carrière de mannequin et sa détermination lui ont permis de passer avec brio derrière l’objectif et de se faire des contacts dans de prestigieuses publications.

Après avoir fait ses premières armes sur des éditoriaux mode, Lee Miller convainc Vogue de l’envoyer sur le terrain, documenter la Seconde Guerre mondiale et les camps de concentration nazis. La photojournaliste états-unienne débute sa mission un mois après le débarquement de Normandie et couvre en exclusivité l’avancée alliée.

Elle photographie les corps décharnés des victimes, les cadavres, les collabos sur la place publique, les exécutions et les soldats nazis ayant voulu fuir leur sentence, puis, finit son parcours en Allemagne pour montrer le contraste entre la vie paisible qu’il y régnait et les ruines. À cette époque, rares étaient les femmes envoyées pour ce genre de missions. Ses images se démarquent tant elles sont plus minutieuses, plus contrastées et moins factuelles que celles de ses collègues masculins.

Chirurgien et anesthésiste réalisant une opération dans le 44e hôpital de campagne près de La Cambe en Normandie, France, 1944. (© Lee Miller/Lee Miller Archives, England 2022)

Lee Miller s’est ensuite fait plus largement connaître grâce à son portrait pris dans la baignoire de Hitler, avec l’aide du photographe David Scherman, en 1945, alors que le dictateur allemand se cachait dans un bunker, quelques heures avant son suicide. À côté d’elle, un portrait de Hitler la contemple. On distingue aussi ses bottes, encore pleines de la poussière du camp de concentration de Dachau qu’elle vient de documenter. Derrière elle, le flexible de douche rappelle les atrocités commises par les nazis dans les camps de concentration.

Après la guerre, Miller tombe dans une dépression et refoule ses traumatismes. Elle arrête également la photographie. À sa mort, son fils découvre l’étendue de son archive et des horreurs dont elle a été témoin. Son langage visuel, largement influencé par le courant surréaliste, a marqué le XXe siècle. Elle est aujourd’hui considérée comme l’une des plus grandes photographes de son époque.

Susan Meiselas

Susan Meiselas est l’une des rares femmes à faire partie de l’agence Magnum, qu’elle a intégrée dès 1976. C’est lors de ses études, dans les années 1970, qu’elle se lance dans des projets photojournalistiques et qu’elle se met à couvrir les conflits en Amérique latine, en toute autonomie. De 1978 à 1979, la photographe états-unienne documente la révolution nicaraguayenne. Elle use de la couleur, une pratique rare jusqu’alors lorsqu’il s’agissait de couvrir un tel conflit. Étant une femme, elle accède facilement aux camps de la guérilla.

Sandinistes devant le quartier général de la Garde nationale à Estelí, Nicaragua, juillet 1979. (© Susan Meiselas/Magnum Photos)

Ce sont ses images de la guerre civile qui lui valent l’attention du public. À l’issue de ce reportage, elle est récompensée de la médaille d’or Robert Capa et repart sur le terrain pour témoigner de la guerre civile au Salvador, entre 1980 et 1992. Cette fois-ci, elle utilise des pellicules en noir et blanc.

Proche du peuple au Nicaragua, qui lui faisait confiance, elle décide cependant de rester distante avec la population du Salvador, par sécurité. Sa photographie L’Homme au cocktail Molotov est l’une de ses œuvres les plus emblématiques : elle incarne encore à notre époque l’esprit des luttes de libération. Aujourd’hui, Meiselas vit à New York et continue de travailler autour de l’Amérique latine.

Anja Niedringhaus

À seulement 24 ans, Anja Niedringhaus est la première femme à devenir photographe permanente de l’European Pressphoto Agency. La photojournaliste allemande a commencé sa carrière en couvrant la guerre de Yougoslavie, de 1991 à 2001. Elle fut intégrée à l’Associated Press, un an après et continua sa course en documentant les guerres en Irak, à Gaza, en Afghanistan et en Libye.

Des marines états-uniens font irruption au domicile d’un député irakien dans le quartier d’Abou Ghraib, Bagdad, Irak, novembre 2004. (© Anja Niedringhaus/AP/SIPA)

2005 fut une année importante dans sa carrière puisqu’elle reçut le prix Pulitzer pour son travail en Irak. Connue pour sa proximité avec la population locale, elle témoigne souvent des conditions de vie difficiles, humanise ses sujets et conserve un regard juste.

Depuis 2003, Niedringhaus travaillait en tant que “journaliste embarquée”, c’est-à-dire qu’elle suivait une unité particulière dans ses déplacements. Seule femme du groupe, elle devait s’adapter à la vie en communauté, au rythme des militaires et “aux directives de l’armée”, note le musée.

Des marines états-uniens fouillent une école primaire abandonnée durant une patrouille à la périphérie de Falloujah, Irak, novembre 2004. (© Anja Niedringhaus/AP/SIPA)

Elle immortalisait les difficultés des soldats au quotidien sans pour autant les dépeindre en héros de la nation. Elle a, par exemple, voulu dénoncer des marines enfilant des sacs sur la tête de prisonniers irakiens et a été virée de l’unité, avant d’y être réaffectée. En 2010, elle fut blessée par une grenade mais reprit son travail après une lourde convalescence en Allemagne. C’est dans le cadre de ses fonctions que la photographe fut tuée, en 2014, lors des élections en Afghanistan.

Carolyn Cole

Photographe pour le Los Angeles Time, Carolyn Cole commence à s’intéresser davantage aux zones de conflit à la fin des années 1990. La reportrice états-unienne a été la seule journaliste à assister, en 2002, au siège de l’église de la Nativité, à Bethléem, par l’armée israélienne.

Cet événement dura un mois et voyait civil·e·s, forces de l’ordre et combattant·e·s palestien·ne·s retranché·e·s dans le lieu de culte. Étant retranchée avec les Palestinien·ne·s, elle témoigne de la violence de l’intérieur, photographiant les hommes tués par les snipers israéliens.

Prisonniers irakiens après l’assaut d’un ancien poste de police à Kufa, en Irak, par des marines états-uniens. Ce poste servait de base à la milice du Mahdi. Certains prisonniers ont déclaré avoir été pris en otage par ses troupes, Koufa, Irak, août 2004. (© Carolyn Cole/Los Angeles Times)

C’est ce reportage qui lui valut la médaille d’or Robert Capa en 2003. La même année, elle est également présente aux prémices de la guerre d’Irak et témoigne, depuis Bagdad où elle travaillait, des premiers bombardements de l’armée états-unienne. Elle se place davantage du côté de la souffrance du peuple irakien que de l’armée, même si elle est également missionnée pour immortaliser les opérations militaires.

De la capitale irakienne, elle part pour le Liberia afin de couvrir la guerre civile, de rendre compte de la violence, de la mort qui sévit, et des camps de réfugié·e·s. Un an plus tard, elle est doublement primée, du Pulitzer et de sa seconde médaille d’or Robert Capa. Aujourd’hui, on peut toujours retrouver la photographe dans les pages du Los Angeles Time, qui se concentre désormais sur l’écologie et la protection des milieux marins.

Une photo de Saddam Hussein, criblée d’impacts de balles, est recouverte de peinture par Salem Yuel. Les symboles des dirigeants politiques ont disparu de Bagdad peu après la prise de la ville par les troupes états-uniennes, Bagdad, Irak, avril 2003. (© Carolyn Cole/Los Angeles Times)

“Femmes photographes de guerre”, une exposition à visiter au musée Libération Leclerc Moulin (Paris), jusqu’au 31 décembre 2022.