La directrice allemande d’un centre culturel à Bagdad, Hella Mewis, a été libérée et remise vendredi à son ambassade en Irak, après trois jours de captivité, ont indiqué les autorités des deux pays. Hella Mewis, qui travaille à Bagdad depuis 2013, avait pris fait et cause pour les manifestations anti-pouvoir déclenchées en Irak en octobre 2019. Des dizaines de militant·e·s ont disparu, plus ou moins brièvement. L’ONU accuse des “milices” de ces disparitions forcées.
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On ignore toujours l’identité des ravisseurs et les raisons de l’enlèvement de l’Allemande, l’une des rares étranger·ère·s vivant hors de la zone Verte ultra-sécurisée de la capitale irakienne – où siègent la plupart des missions diplomatiques. Une source de sécurité irakienne a précisé à l’AFP que sa libération dans la nuit avait été obtenue au terme d’un échange.
Cette image, non datée, a été obtenue le 21 juillet 2020, via le collectif artistique Tarkib. On y voit Hella Mewis, directrice d’un programme qui soutient les jeunes artistes à Bagdad. Hella Mewis (qui vivait à Bagdad depuis plusieurs années) a été kidnappée le 20 juillet 2020, à quelques mètres de son travail à Bagdad. Des sources officielles irakiennes ont annoncé qu’elle avait été libérée le 24 juillet 2020, sans donner plus de détails. (© Anonyme/Tarkib/AFP)
L’unité d’élite du renseignement irakien, les Faucons, est parvenue à remonter la piste d’un des ravisseurs, qui a été interpellé. Ce dernier a “dit appartenir à une faction se réclamant du Hachd Al-Chaabi”, une coalition de paramilitaires pro-iraniens – désormais intégrée aux forces de sécurité, selon la même source. Un accord a alors été trouvé en vertu duquel “l’homme a été libéré en échange de l’otage allemande”.
Au moment de sa libération dans la nuit, a poursuivi cette source, Hella Mewis se trouvait à Sadr City, un quartier chiite de Bagdad où les forces de l’ordre tentent depuis des années d’imposer la loi, en vain. La curatrice a ensuite “été remise au chargé d’affaires allemand à Bagdad”, indique un communiqué du ministère irakien de l’Intérieur, qui ne donne aucune précision.
Un centre d’art pour les jeunes artistes
Vendredi, Hella Mewis (dont le centre d’art, Tarkib, est connu pour soutenir de jeunes artistes) était toujours injoignable et ses ami·e·s ont assuré ne pas avoir eu de ses nouvelles. Les autorités irakiennes n’ont jamais arrêté ni accusé une quelconque partie dans les enlèvements de militant·e·s irakien·ne·s ces derniers mois. Les factions armées pro-iraniennes gagnent en influence, surtout via les représentants du Hachd Al-Chaabi dans les forces de sécurité ou au Parlement.
Le porte-parole du Hachd s’est félicité sur Twitter de la libération de Hella Mewis, tout en appelant les forces de sécurité à “enquêter sur la présence clandestine de cette étrangère depuis huit ans à Bagdad sans autorisation de la sécurité”. Cette dernière assiste pourtant régulièrement à des événements publics, souvent avec des officiel·le·s.
Sur caméra
Le juge Abdelsattar Bayraqdar, porte-parole du Conseil suprême de la magistrature, a indiqué que “l’enquête sur ce crime se poursuit”. Des médias locaux ont diffusé des images de vidéosurveillance présentées comme celles de l’enlèvement de Hella Mewis, sur la corniche du Tigre dans le centre de Bagdad.
Prise en étau entre une berline noire et un pick-up blanc, un modèle utilisé par certaines forces de sécurité, l’Allemande a été forcée à descendre de son vélo par des hommes qui la poussaient violemment à l’intérieur du pick-up. L’enregistrement dure moins d’une minute. Les policiers du commissariat à quelques mètres de là ne sont pas intervenus.
Un ministre “très soulagé”
Après sa libération, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, s’est dit “très soulagé” et des sources diplomatiques ont affirmé que Hella Mewis était “en bonne santé”. Selon une de ses amies, l’Allemande était inquiète depuis l’assassinat, début juillet à Bagdad, du chercheur Hicham Al-Hachémi, connu lui aussi pour son soutien à la révolte anti-pouvoir.
Cette mort violente a relancé les craintes de nouveaux assassinats politiques. Ceux-ci étaient coutumiers durant les années de guerre dans le pays (2006-2009), mais sont devenus très rares. Depuis le début de l’année, deux journalistes français ont été retenus en otage plusieurs jours, ainsi que trois humanitaires, libéré·e·s après deux mois de captivité et enlevé·e·s avec un Irakien dans le même quartier de Karrada que Hella Mewis.
Le turbulent leader chiite Moqtada Al-Sadr, silencieux depuis que les manifestations anti-pouvoir se sont essoufflées au début de l’année, alors qu’il s’est longtemps posé en protecteur des contestataires, a dit sur Twitter “espérer que ce genre d’incidents n’arrivent plus à l’avenir”.