Le manque de diversité a toujours été de mise dans le milieu de la photographie, et c’est sous la pression de récentes critiques que Magnum Photos a fini par céder et se remettre tout doucement en question. Jusqu’à aujourd’hui, on trouvait très peu de personnes racisées parmi les nombreux photographes blancs (la plupart sont des hommes) de leur agence fondée en 1947 par Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, George Rodger et David Seymour. On pouvait ainsi compter l’Indien Raghu Rai, le Japonais Hiroji Kubota, les Iranien·ne·s Abbas et Newsha Tavakolian, le Brésilien Miguel Rio Branco ou encore le Chilien Sergio Larrain.
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Pour devenir membre, il fallait présenter son travail et obtenir au minimum 66 % des voix du jury (blanc). Pendant deux ans, l’élu·e devait travailler sous la direction d’un·e autre photographe membre pour enfin mériter le statut de “photographe associé·e”. Et il faudra encore quatre ans pour que ce·tte photographe associé·e, employé·e à temps plein, puisse devenir co-sociétaire. Bref, un petit parcours du combattant, essentiellement réservé aux photographes blanc·he·s.
La semaine dernière, l’agence de photo basée à New York, Londres, Paris et Tokyo a annoncé avoir accueilli cinq nouveaux photographes racisés parmi ses membres. Il s’agit de Khalik Allah dont le travail porte sur les différentes minorités de New York ; d’Hannah Price qui use de son art pour déconstruire les stéréotypes raciaux ; de la Turque Sabiha Çimen qui explore la culture islamique à travers ses photos ; de Colby Deal qui documente son quotidien d’homme noir au Texas ; et de Yael Martinez qui se concentre sur les communautés marginales et précaires à Mexico.
© Khalik Allah
La nécessité d’un réel engagement
La résurgence du mouvement Black Lives Matter a aidé à cette prise de conscience quelque peu tardive. Cette annonce se mêle également à l’élection d’une directrice, une première pour l’assemblée générale de l’agence qui a toujours été dirigée par des hommes. Olivia Arthur, une photographe documentaire britannique, a donc été nommée à la présidence de l’assemblée générale annuelle et a applaudi la volonté de parité et d’inclusion du collectif.
Le photographe Sohrab Hura est devenu dans la foulée le premier membre indien à faire partie du jury. Le président sortant de l’assemblée générale, Thomas Dworzak, a commenté ces changements : “C’est ce qui construit l’avenir.” Caitlin Hughes, la nouvelle directrice générale de Magnum Photos depuis octobre 2019, a placé en priorité les questions d’inclusion au sein du staff et des photographes représenté·e·s.
“Ces derniers mois ont été importants pour Magnum. Nous avons réfléchi à la question de la diversité et à ce que cela signifie en termes de recherche constante de talents. Nous nous sommes demandé si nous avions un regard assez ouvert et large pour reconnaître le talent quand nous le voyons.
Magnum a une réputation fantastique avec des racines ancrées dans une certaine tradition, et nous en sommes très fiers. Mais dans un monde globalisé où tout le monde peut prendre des photos, nous reconnaissons qu’il n’y a plus d’autorité absolue sur ce que signifie la qualité”, a confié Caitlin Hughes.
© Colby Deal
Chris Steele-Perkins, l’un des membres du collectif, a cependant exprimé sa crainte concernant cette “discrimination positive”. Il espère que l’élection de ces cinq nouveaux photographes racisés et cette prise de conscience ne seront pas simplement passagères. Selon lui, la stratégie doit découler d’une réelle remise en question, d’une véritable sincérité dans la démarche et d’un profond éveil. Magnum ne doit pas utiliser ces photographes comme des “jetons”, et oublier le combat quelques mois plus tard lorsque l’agenda médiatique sera passé à autre chose.
“La difficulté vient du fait qu’il ne faut pas qu’on ait l’air de simplement vouloir cocher des cases. Il faut que les gens intègrent Magnum selon les mêmes conditions que vous avez toujours appliquées, mais en ouvrant les horizons. Le mouvement Black Lives Matter a touché tout le monde, et a donné un nouvel élan à notre réflexion”, souligne Chris Steele-Perkins au Art Newspaper.
De son côté, le curateur influent Mark Sealy, membre de l’Association of Black Photographers, a également commenté au magazine : “Les membres historiques ont tout intérêt à ce que l’agence reste telle qu’elle est, car, ce faisant, elle continuera à les servir. Pourquoi a-t-il été si difficile pour l’agence d’ouvrir ses portes à de nouvelles voix ? C’est parce que la vieille garde a du mal à abandonner le pouvoir.”
Mise à jour du 07/07/2020 : Nikon se remet également en question et veut agir contre le manque de diversité dans leur équipe d’ambassadeur·rice·s. L’entreprise a annoncé avoir recruté deux ambassadeur·rice·s noir·e·s : le photographe documentaire new-yorkais Jide Alakija, spécialiste de l’art africain contemporain et du XXe siècle, et la photographe Audrey Woulard dont le travail tourne autour du portrait, de l’enfance et des questions sociales.