Comment les artistes dessinaient-ils dans l’enfer de la guerre ?

Comment les artistes dessinaient-ils dans l’enfer de la guerre ?

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© Georges Capgras/La contemporaine

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Une exposition met à l’honneur les dessins de combattants artistes, qui cherchaient "à évoquer le paysage" devant "leur incapacité à dire la guerre".

Au milieu des bombardements incessants à Verdun, artistes reconnus et combattants anonymes français et allemands n’ont cessé de créer avec “ce qu’ils trouvaient sur le champ de bataille”, de 1914 à 1918. Pour la première fois, ces œuvres sont exposées au Mémorial de Verdun.

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“Beaucoup d’œuvres reviennent là où elles ont été produites : Verdun vient à Verdun”, se réjouit Nicolas Barret, directeur du Mémorial. L’exposition, très complète, rassemble des peintures, dessins et objets sculptés par des soldats, artisans dans la vie civile, donc rompus aux travaux manuels.

Ils récupéraient des matériaux sur le front pour peindre ou sculpter dans les tranchées. Comme Charles Grauss, soldat français tombé en 1917 dans l’Oise et passé par Verdun en 1916, qui sculptait de petits objets dans des morceaux de bois, qu’il peignait ensuite pour les envoyer à sa fille.

Henri-Jules Guinier (1867-1927), Froideterre, Verdun France, avril 1917, Bibliothèque, archives, musée des mondes contemporains, Centre national des arts plastiques. (© Domaine public/CNAP/La contemporaine)

Grauss avait aussi sur lui une petite boîte d’aquarelle et des carnets : dans ses dessins, “la guerre n’est pas là” mais le soldat a été “frappé par la destruction de la nature” sur le champ de bataille, explique Édith Desrousseaux de Medrano, une des commissaires de l’exposition. Des artistes en devenir ou déjà confirmés, mobilisés sur le front, ont également créé à Verdun pour “transmettre” ce qu’ils voyaient et “garder une trace de ce qu’ils ont vécu”, ajoute Mme Desrousseaux de Medrano.

“Autocensure” face à l’horreur

Ces artistes ont aussi dû improviser pour trouver de quoi peindre. Étienne-Auguste Krier récupérait des couvercles de boîtes à cigares en bois sur lesquels il peignait à l’huile des scènes de son quotidien pour les envoyer ensuite à sa femme, “comme des cartes postales”.

Fernand Léger a également dû “œuvrer avec les moyens du bord” pour peindre en 1915 sa Popotte de la vache enragée, qui a orné l’entrée d’un bivouac de soldats. Pour le rouge du pantalon du soldat de la peinture, il a tout simplement collé un morceau d’un pantalon rouge garance, porté par les soldats français au début de la guerre.

Trop âgés pour être mobilisés, d’autres artistes français et allemands, se sont rendus sur le champ de bataille de Verdun, missionnés “pour que l’État ait des représentations fortes de cette guerre”, raconte Édith Desrousseaux de Medrano. Ces œuvres ont ensuite été exposées au public, dès 1917 en France. “Les opinions publiques ont besoin d’avoir des images qui disent la guerre”, ajoute la commissaire.

Georges Capgras (1866-1947), Verdun, muletiers allant vers Douaumont, France, juillet 1917, Bibliothèque, archives, musée des mondes contemporains, Centre national des arts plastiques. (© Domaine public/CNAP/La contemporaine)

Certains artistes avaient même plusieurs statuts, comme Georges Scott, peintre des Armées et reporter de guerre du journal L’Illustration. Il se rendra quatre fois à Verdun, d’où il rapportera croquis et articles. Sur ses croquis, il composait ensuite ses toiles en atelier, dont La Voie Sacrée, saisissante représentation de soldats se rendant de nuit sur le champ de bataille.

Mais certains de ces peintres n’ont pas montré directement les combats, comme Victor Tardieu, qui a peint les ruines de la ville de Verdun, dans un style postimpressionniste. Beaucoup de ces artistes se sont “autocensurés” devant l’horreur de Verdun et ont cherché “à évoquer le paysage” devant “leur incapacité à dire la guerre”, d’après Édith Desrousseaux de Medrano.

L’exposition “ART/ENFER – Créer à Verdun 1914-1918” se tient jusqu’au 31 décembre 2022, au Mémorial de Verdun.

Konbini arts avec AFP