Comment le spectacle “Colossus” m’a poussée à m’abandonner totalement

Comment le spectacle “Colossus” m’a poussée à m’abandonner totalement

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© Stephanie Lake/Photo : Mark Gambino

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Vous en sortirez à bout de souffle, avec une envie frénétique de sauter, de danser, de vous lâcher.

Je dois vous prévenir, je ne connais absolument rien à la danse. Je n’ai jamais écrit dessus et je ne l’ai jamais réellement pratiquée – hormis quelques années de breakdance lors de mes jeunes années. Mais ce spectacle, Colossus, je l’ai ressenti.

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Peut-être était-ce la joie de me retrouver dans une salle de spectacle après sept mois ? Peut-être était-ce l’ivresse de voir tous ces corps sur scène, sans distanciation sociale, s’abandonner totalement ? Peu importe la raison ; la compagnie de Stephanie Lake m’a donné envie de m’abandonner, de lâcher prise le temps de cinquante minutes – et plus encore.  

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Mark Gambino)

Quand je prends place, les danseur·se·s sont déjà allongé·e·s sur scène et forment un rond. Ce n’est pas le public qui les attend, mais les artistes qui attendent leur public – sûrement avec trac et excitation. Cinquante danseur·se·s, tou·te·s vêtu·e·s de noir, aux corps frôlant parfois l’androgynie, respirent calmement sous leur masque, qu’ils ne quitteront pas.

Tout le long du spectacle, ces performeur·se·s formeront un tout, une masse collective, une chaîne de mouvements en canon et en cascade qu’on ne peut rompre. Un fond blanc reflètera leurs corps et démultipliera leurs mouvements, comme une valse, un ballet d’ombres dédoublées.

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Mark Gambino)

Si un membre se détache, c’est pour guider le groupe. Et il finit toujours par revenir au bercail. Rien ne marche individuellement. Tout est pensé en chœur. C’est la force de la horde qui prime, et c’est bien là l’intention de Stephanie Lake, chorégraphe australienne qui a attendu un an avant de pouvoir présenter ce spectacle au Théâtre Chaillot.

Un souffle de liberté 

Quand la lumière s’éteint, une musique pulsative commence son battement. La ronde se meut. Les corps se lâchent, se démêlent et s’emmêlent, se relaient, s’alternent, se lancent et s’élancent, en frénésie mais harmonie. Libres mais maîtrisés, libres mais enchaînés les uns aux autres. 

On entend des cris déchirer l’air, des souffles, des respirations, des halètements, leurs essoufflements. En milieu de spectacle, une scène m’émeut particulièrement : la troupe feint des retrouvailles en un amas de corps s’enlaçant, leurs voix résonnent comme lorsque nous avons retrouvé nos proches à la sortie de chaque confinement.

J’aime penser que ce n’est probablement pas un hasard si cette partie fait tant écho à l’époque que nous vivons. Puis le ton monte, explose, et mue en colère, en poursuite épique et sauvage. La musique mêle tantôt carillons et violons, tantôt musique d’objets électroniques et rumeur humaine. Leurs mouvements et le bruit de leurs corps chantent parfois la musique.

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Mark Gambino)

Leur respiration éprouvée me rappelle le langage de la série The OA, et je me surprends à me demander si les performeur·se·s ne vont pas ouvrir là, maintenant, un portail vers un nouveau monde : celui où l’art peut vivre et se réaliser sans restrictions. 

Une autre scène, surnaturelle, met en avant une danseuse au centre de la scène, menant au doigt et à la baguette le groupe scindé en deux ; elle les démarre, les arrête, les démarre, les arrête, comme si elle était dotée de pouvoirs magnétiques. À ce moment, je me dis que j’ai devant moi une installation artistique humaine et vivante, et non pas une simple chorégraphie et performance. 

Je me dis que ces artistes laissent aller leurs âmes et forment un seul et même poumon. Et je vous assure que vous vous sentirez libéré·e·s d’un poids. Celui d’une rupture ou celui d’avoir été confiné·e·s pendant un an. Vos mauvaises pensées se perdront quelque part dans le claquement de leurs os sur le sol, ou dans les mouvements de leurs bras abandonnés. Vous en sortirez avec l’envie de sauter, de danser, de vous retrouver. À bout de souffle. 

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Mark Gambino)

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Mark Gambino)

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Bryony Jackson)

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Bryony Jackson)

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Mark Gambino)

Stephanie Lake, “Colossus”. (© Mark Gambino)

Colossusun spectacle à voir au Théâtre Chaillot, à Paris, jusqu’au 5 juin 2021.