AccueilPop culture

Comment Jonas Bendiksen a piégé le monde de la photo en truquant son propre reportage

Comment Jonas Bendiksen a piégé le monde de la photo en truquant son propre reportage

Image :

© ArisSu/iStock via Getty Images Plus

avatar

Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Le festival Visa pour l’image a été la principale victime de Jonas Bendiksen. Son but ? Dénoncer les fake news.

Nous vous avions déjà parlé de Jonas Bendiksen dans le cadre de sa série sur les croyances et faux messies. Ce sont des croyances d’un tout autre genre que le photographe norvégien a voulu remettre en question dans son reportage The Book of Veles, présenté cette année à Visa pour l’image : les fake news.

À voir aussi sur Konbini

Dans une interview longue menée par Jade Chao pour l’agence Magnum, datée du 17 septembre 2021, Bendiksen révèle qu’il a truqué sa série portant sur la ville de Vélès, située en Macédoine du Nord, et que l’industrie de la photo s’est fait avoir. “C’est une fake news sur les producteurs de fake news. L’histoire de ce centre de production de fausses informations à Vélès est réelle. L’histoire de la découverte, puis de la falsification du Book of Veles est vraie. Mais tout le contenu brut est faux.”

Un piège bien goupillé

À Vélès, se trouve un centre de production de fake news, qui aurait notamment eu une influence majeure sur l’élection de Donald Trump en 2016. Dépassé par le pouvoir des réseaux sociaux, des deep fakes et des algorithmes aujourd’hui, Jonas Bendiksen s’est rendu dans cette ville pour documenter ce centre en particulier.

Pour aller plus loin dans la dénonciation, et dans cette ville gangrenée de légendes urbaines et de réalités transformées, le photographe a décidé de truquer son propre reportage, afin d’observer si ses pair·e·s le remarqueraient. Ce centre de fake news est bien réel, mais les photos et les scènes qu’il représente ont été en partie inventées.

“Combien de temps encore avant que les gens comprennent que ce ‘photojournalisme documentaire’ n’a aucune autre origine que le fantasme de son photographe et une très bonne carte graphique ?”, s’est demandé le photographe.

Un exemple concret de la supercherie : sur certaines photos, on peut voir des jeunes poser. Ces jeunes sont censé·e·s être des travailleur·se·s du centre de fake news. Sauf qu’il n’en est rien. Jonas Bendiksen n’a rencontré aucun·e salarié·e et n’a photographié que des lieux vides.

“Comme [s’il] jouai[t] avec des Lego”, il a ainsi construit un univers factice similaire à un jeu vidéo, plaçant des sujets 3D ultra-réalistes dans ses images, et adaptant sa lumière et sa retouche. Parfois, le photographe s’amuse même à insérer de faux ours en 3D dans ses clichés, rapporte Copélia Mainardi dans Marianne. Idem pour les légendes de ses photos et le texte de son livre, qu’il se plaît à générer grâce à une intelligence artificielle entraînée à partir d’extraits d’articles sur les fake news produites à Vélès.

Quand la vérité éclate

En avril 2021, Jonas Bendiksen publie son ouvrage, refuse des commandes de magazines pour éviter de propager l’énorme fake news qu’est son reportage. Sans hésiter, Visa pour l’image décide d’exposer sa série en septembre 2021. Sentant que son projet va trop loin, le photographe commence à créer de faux profils Facebook pour dénoncer la supercherie de son propre reportage, de manière détournée.

Un internaute finit par le débusquer, et c’est avec grand plaisir que le photojournaliste lui enverra un exemplaire dédicacé de son livre, pour le récompenser de son enquête. Mi-septembre, le directeur du plus grand festival de photojournalisme au monde s’est trouvé confus face à sa programmation faussée et la trahison de Bendiksen, qui lui a présenté ses excuses.

Toute cette histoire aura bien servi à comprendre deux choses : la désinformation se trouve partout, même au cœur d’institutions de confiance, et il faut toujours vérifier ses sources.