Il n’y a pas que l’avenir de Beyrouth qui s’est assombri avec l’explosion du port. Le drame meurtrier et dévastateur n’a pas épargné ce qui restait du passé glorieux de la capitale libanaise, frappant musées et bâtisses historiques à l’architecture traditionnelle.
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Célèbres pour leurs fenêtres à triple arches, typiques de Beyrouth, des centaines de joyaux architecturaux datant de l’empire ottoman ou du mandat français (1920-1943) subissaient déjà les ravages du temps. Après avoir été fragilisés durant la guerre civile (1975-1990), l’explosion du mardi 4 août, s’apparentant à un séisme de 3,3 sur l’échelle de Richter, aura été le coup de grâce. Certains des bâtiments les plus anciens se trouvent en effet près du port, où plusieurs tonnes de nitrates d’ammonium – stockées depuis six dans un entrepôt – ont explosé.
Cette photo prise le 5 août 2020 montre une vue de la sculpture “The Weeping Women” représentant un Chrétien et une Musulmane pleurant ensemble la perte de leurs enfants lors de la guerre. Cette statue est exposée devant le Musée Sursock, dans le quartier d’Achrafieh, à Beyrouth. Les vitres du musée ont été brisées après l’explosion massive du 4 août, au port de la capitale libanaise, qui a ravagé des quartiers entiers. (© Anwar Amro/AFP/Ho/Musée Sursock)
L’autrice de bande dessinée Zeina Abirached a d’ailleurs relayé sur Facebook des photos de ces lieux avant et après l’explosion. Sur les réseaux sociaux, on peut voir des messages demandant aux Beyrouthin·e·s de ne pas jeter les débris des vieilles maisons :
“[…] Des arcades, éléments en bois ou d’architectures. Ne les jetez pas, gardez-les à l’abri, nous les utiliserons pour reconstruire et rénover ! Gardez votre héritage, même lorsqu’il est en morceaux !”
“Une coupure entre le présent et le passé”
Dans un palais du XVIIIe siècle, la déflagration a détruit des antiquités plus vieilles que le Liban. Dans la demeure patricienne décorée de colonnades en marbre, des portes ont été arrachées et des panneaux en bois de l’époque ottomane rehaussés de calligraphie arabe endommagés. Des vitraux brisés, vieux de plus de 200 ans, ont été balayés. “C’est comme un viol”, confie Tania Ingea, l’héritière de cette demeure, autrefois connue sous le nom de “palais de la Résidence”.
Cette photo prise le 5 août 2020, au Musée Sursock à Beyrouth, montre une vue de l’accueil ravagé à cause de l’explosion. (© Anwar Amro/AFP/Ho/Musée Sursock)
Construit par l’une des grandes fortunes beyrouthines, la famille Sursock, le palais a survécu à la guerre civile et à la guerre destructrice de 2006 entre le Hezbollah et Israël. Avec l’explosion, “il y a maintenant une coupure entre le présent et le passé”, déplore Tania Ingea. “C’est une interruption dans la transmission de la mémoire d’un lieu, d’une famille, d’une partie de l’histoire de la ville.”
Des trous béants
Situé à proximité, le Musée Sursock, haut lieu de la vie culturelle qui abrite une impressionnante collection d’art moderne et contemporain, n’a pas non plus été épargné. Il y a quelques mois à peine, il accueillait une exposition Picasso inédite.
Les sacs de jute remplis de débris s’entassent dans la cour, au pied du monumental escalier d’honneur où les jeunes marié·e·s venaient se prendre en photo, devant la façade ciselée d’un blanc immaculé et aux vitraux colorés. Ces fameux vitraux ont volé en éclats et les fenêtres ne sont plus que des trous béants.
Cette photo prise le 5 août 2020, au Musée Sursock à Beyrouth, montre le tableau endommagé de Nicolas Ibrahim Sursock, peint par Kees van Dongen, en 1930. (© Anwar Amro/AFP/Ho/Musée Sursock)
Le palais construit en 1912, écrin d’architecture vénitienne et ottomane, est devenu un musée près de cinquante ans plus tard, comme le voulait son propriétaire Nicolas Sursock, avide collectionneur. Entre 20 et 30 œuvres ont été endommagées, principalement par des éclats de verre, selon une porte-parole. Parmi elles, une pièce maîtresse de la collection : un portrait de Sursock peint par le Franco-Néerlandais Kees van Dongen. L’explosion a fait chuter le tableau, entaillant la toile.
Le musée avait rouvert en 2015, après huit années de rénovation. Jacques Aboukhaled, l’architecte qui a dirigé les travaux, assure que la structure est intacte, même si le reste a été soufflé. “Je ne m’attendais pas à autant de dommages. […] Je suis très attaché à ce bâtiment. C’est comme notre maison”, ajoute-t-il. Les réparations pourraient durer plus d’un an et coûter “des millions” de dollars.
Cette photo prise le 5 août 2020, au Musée Sursock à Beyrouth, montre une vue d’une des salles d’exposition ravagée à cause de l’explosion. (© Anwar Amro/AFP/Ho/Musée Sursock)
Un miracle
Un miracle, cependant. Le musée national, qui abrite une vaste collection de statues et d’antiquités grecques, romaines et phéniciennes, a échappé au pire. Seule la façade extérieure est endommagée, selon le ministre de la Culture, Abbas Mortada. Situé sur l’ancienne ligne de démarcation durant la guerre civile, le bâtiment de style néo-hellénistique s’était retrouvé pris au piège des combats.
Les principales pièces du musée avaient été sauvées du pillage grâce à la perspicacité de l’ancien conservateur, Maurice Chéhab, qui les avait coulées dans du béton. Aujourd’hui des “centaines” de bâtiments classés au patrimoine national sont endommagés, rapporte le ministre. “Cela va demander beaucoup de travail.”
Une équipe effectue un recensement des dégâts, mais les réparations vont coûter des “centaines de millions” de dollars, estime Abbas Mortada, espérant une aide extérieure, notamment de Paris. “Nous avons besoin de mener des travaux de rénovation le plus rapidement possible”, a-t-il exprimé. “Si l’hiver arrive et que ce n’est pas fini, le danger sera grand.”
Cette photo prise le 5 août 2020, au Musée Sursock à Beyrouth, montre une vue d’une des salles d’exposition ravagée à cause de l’explosion. (© Anwar Amro/AFP/Ho/Musée Sursock)