Yves Saint Laurent est bien plus qu’un homme, c’est un symbole. D’un style qui libère la femme, d’une nouvelle approche de la mode, mais également de la pop culture. Car le génie de cet avant-gardiste, c’est d’avoir su comprendre les besoins d’une époque et les insuffler à ses créations. Il est le premier à être sorti des rangs pour révolutionner un monde qui peinait à s’affranchir de certaines règles. Ce 1er août 2016, il aurait eu 80 ans. Décryptage du premier couturier pop.
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Même s’il est issu d’une famille bourgeoise, Yves Saint Laurent détestait la bourgeoisie – et le clamait haut et fort. Cette antipathie pour son milieu d’origine est le fruit d’une réflexion sur son époque et sur le monde qui l’entoure, qui ne correspond plus, selon lui, à certains codes bourgeois. Il a vite compris que la clé du succès, c’était de s’adapter plutôt que d’imposer.
Alors qu’il fait ses armes chez l’immense Christian Dior, c’est en prenant le contre-pied de son mentor et de toute une industrie qu’il arrive à s’installer comme pionnier d’une nouvelle ère. Ainsi, il décide que ce ne sera plus à la femme de s’adapter au vêtement, mais au vêtement de s’adapter à la femme. Au niveau de la coupe, mais pas seulement. Il veut également que le caractère et le style du modèle soient traduits en matières et en couleurs.
Un couturier en phase avec son époque
La femme objet qui se tient sagement dans un coin n’est pas pour Yves Saint Laurent. Au contraire, elle est l’égale de l’homme et peut donc s’habiller comme lui. C’est par le biais de cette réflexion qu’il est le premier à créer le smoking féminin en 1966. Il invente une nouvelle allure qui épouse la gestuelle d’une femme libre et indépendante, et qui résume l’intention d’Yves Saint Laurent : traduire l’atmosphère de son époque – et donc l’émancipation du sexe féminin. Sa garde-robe devient le miroir d’un style de vie.
“On a souvent dit que Chanel avait libéré les femmes. C’est vrai. Des années plus tard, Saint Laurent devait leur donner le pouvoir. Le pouvoir, on le sait, est détenu par les hommes ; aussi en s’inspirant du vestiaire masculin, en faisant glisser les épaules d’un homme sur celles d’une femme le caban, le tailleur-pantalon, la saharienne, la blouse normande, Saint Laurent le leur a transmis.
Il a œuvré socialement, plus que beaucoup d’autres, pour l’égalité des sexes et pour la reconnaissance d’une femme moderne, laquelle n’est pas un objet mais participe à la vie de son temps et affiche ses certitudes”. – Pierre Bergé
Au cours d’une interview en 1968, le couturier expliquait :
“Il y a une grande différence entre Mademoiselle Chanel et moi. J’adore mon époque. J’adore les boîtes de nuit, j’adore ce qu’elle appelle yéyéyé, j’adore les boutiques… enfin, j’adore tout ce qui fait notre époque, et tout cela a une énorme influence sur ce que je fais”.
Démocratiser la mode
Saint Laurent ne voulait pas d’une mode figée. Pour lui, la beauté réside dans le mouvement, la vie, la spontanéité. Il s’inspire des gens qui l’entourent et notamment de ses amies Loulou De la Falaise et Betty Catroux. Pour le couturier, la mode ne se limite pas aux podiums, il veut habiller la rue. Pour cela, quoi de mieux que de s’inspirer du vestiaire des classes populaires ? Ainsi, il réinvente des pièces traditionnellement portées par les hommes, des paysans ou des marins : jumpsuits, blouse, cabans, saharienne…
Le couturier souhaite habiller toutes les femmes, et pas seulement les riches clientes qui peuvent débourser des folles sommes pour s’offrir des tenues haute couture. Ainsi, sa boutique Saint Laurent Rive gauche, créée en 1966 à Paris, est la première boutique de prêt-à-porter portant le nom d’un couturier, et ouvre la voie à ce qu’est devenue la mode de nos jours.
“Les femmes de Saint Laurent sont sorties des harems, des châteaux et même des banlieues, elles courent les rues, les métros, les Prisunic, la Bourse”. – Marguerite Duras
Aujourd’hui, son influence est partout. Il a inventé un vestiaire si moderne et révolutionnaire que son empreinte s’étale dans toutes les vitrines : veste, pantalon de tailleur, pull, trench, short sont autant de pièces indispensables que l’on doit au premier couturier pop de son époque.
Inévitablement, l’audace d’Yves Saint Laurent lui a valu, tout au long de sa carrière, quelques scandales. Dans les années 60, ses blouses transparentes dévoilant les poitrines féminines font couler beaucoup d’encre dans la presse. Le couturier se fait également remarquer lorsqu’il décide de poser nu sous l’objectif de Jeanloup Sieff pour promouvoir l’image de sa première eau de toilette. Puis la même année avec sa collection inspirée des années 40 : ses manteaux de fourrure colorés et courts portés sur des jambes habillées de simples collants choquent les salons de couture.
Mais, encore une fois, le couturier a vu juste. Ce style est immédiatement adopté par la rue. En 1977, Saint Laurent baptise son nouveau parfum “Opium”. Une provocation assumée destinée, une nouvelle fois, à bousculer les codes établis.
Yves Saint Laurent et l’art
Yves Saint Laurent est l’un des premiers à avoir vraiment introduit l’art dans la mode. Et même si depuis toujours les couturiers s’inspirent des oeuvres de grands maîtres pour leurs créations (Balenciaga s’inspirait des tableaux de Goya par exemple), Saint Laurent est allé encore plus loin, comme l’analyse le site Manifesto XXI.
C’est en 1965 que la pop culture pénètre vraiment l’univers de la mode, et tout commence avec la robe Mondrian designée par Saint Laurent : une coupe courte et droite, dont les lignes géométriques des tableaux d’origine sont réinventées pour que le couturier construise sa robe. Plus qu’une copie, c’est une réinterprétation audacieuse de l’oeuvre de Mondrian que propose l’artiste, et la robe aux accents résolument pop devient l’un des premiers best-sellers mondiaux de l’histoire de la mode.
Après l’immense succès rencontré par sa collection Mondrian, Yves Saint Laurent signe l’année suivante un défilé Pop Art (1966) en hommage au pionnier du genre, Andy Warhol (qui avait réalisé la célèbre série de portraits du couturier). Rebaptisé le “Roi de Paris” par tous les magazines spécialisés, ce grand passionné et collectionneur d’art marque à tout jamais un tournant dans l’histoire de la mode, et continuera à rendre hommage aux grands maîtres de la peinture tout au long de ses collections (Matisse, Picasso, Van Gogh, Braque…).
“Ce que je veux c’est choquer, pousser les gens à réfléchir“, avait-il déclaré au magazine Vogue à l’issue de la présentation de son défilé Pop Art. Près de cinquante ans plus tard, le pari est réussi. L’héritage de celui qui a rendu la mode pop est voué à perdurer encore longtemps.
Article publié le 26 septembre 2014, mis à jour le lundi 1er août