Sorti le 22 juin au cinéma, Le Monde de Dory mérite le détour. S’il ne se hisse pas au niveau des meilleurs Pixar, il reste un film touchant devant lequel on ne s’ennuie jamais. Et soulève quelques questions diverses et variées…
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On a vu Le Monde de Dory, d’Andrew Stanton, et pour résumer rapidement :
- Il fait partie des bons Pixar, c’est un film bien produit, touchant, divertissant…
- … même si c’est une suite assez mécanique du premier opus et qui réutilise de nombreuses ficelles de celui-ci.
- Les gags visuels — apportés par une ribambelle de nouveaux personnages plutôt drôles (dont un certain Gérard qui s’insérerait bien dans le casting de L’Âge de glace) — fonctionnent nettement mieux que ses quelques répliques humoristiques, dans un film qui semble parfois un chouïa trop bavard pour son propre bien ;
- Le doublage français est nickel, que ce soit côté doubleurs professionnels ou invités prestigieux. Ça fait toujours quelque chose de trouver Franck Dubosc simple et juste dans un film, mais il l’est ici. Même Kev Adams se défend bien.
- La musique est très belle (même si quelqu’un a mis du Sia dans mon Dory).
- Il y a une courte scène post-générique qui ne parlera qu’à ceux qui ont vu Le Monde de Nemo.
C’est un film qu’on vous conseille sans souci, on en ressort satisfait mais pas spécialement bouleversé, avec quelques questions en tête.
D’où vient Hank, le mystérieux poulpe bougon du film ?
C’est sans doute le meilleur personnage inédit du Monde de Dory : le poulpe Hank fait plaisir à voir dès sa première apparition à l’écran. Bénéficiant d’un camouflage naturel lui permettant de devenir quasiment invisible ou de prendre la couleur de son choix, il est également capable de se mouvoir hors de l’eau. Ce qui lui permet de transporter Dory à travers le parc aquatique du film. Sa présence était a priori dictée par des aspects pratiques — les capacités de Hank permettent clairement de dynamiser l’action hors de l’océan — mais heureusement, le script n’a pas oublié de le doter d’une personnalité.
On ne connaît rien du passé de Hank. Toutefois, contrairement aux autres animaux marins, il n’a aucune envie de rejoindre la mer : s’il conclut un pacte avec Dory, c’est seulement dans l’espoir d’être envoyé dans un aquarium à Cleveland où il pourrait finir ses jours en solitaire. Hank a “de mauvais souvenirs” de ses jours au grand large — ils ont conduit la pieuvre rouge à perdre un de ses huit tentacules et à se méfier de tout. Comment est-ce arrivé ? Qui est ce poulpe et quels sont ses réseaux ? On est sincèrement curieux à ce sujet.
Résultat : s’il devait y avoir un troisième film dans le même univers, on signerait pour Le Monde de Hank. Nemo (et son père Marin) puis Dory (et ses parents) ayant déjà eu les faveurs d’un long métrage, ce serait la suite logique de la série, la piste idéale pour trouver un bout de scénario à développer. Même si, dans la plus grande tradition Disney/Pixar, on apprendrait sans doute que Hank est orphelin depuis toujours et que ses rêves ont été piétinés par la triste réalité de l’existence. Et puisqu’on parle de suites, la transition est toute trouvée…
Pixar est-il condamné à produire des suites de ses succès passés ?
Ronchonner sur les suites à répétition, c’est un sport international. Parfois perçues comme un manque de créativité, d’ambition et de courage, les suites prennent paradoxalement le risque de devenir “l’épisode de trop”. Et pourtant… Quand bien même des suites du studio ont déjà un peu (Monstres Academy) ou beaucoup déçu (Cars 2), le public en redemande : Toy Story 3 a rapporté davantage au box-office que ses deux prédécesseurs réunis, et Le Monde de Dory a d’ores et déjà battu le record du meilleur démarrage pour un film d’animation aux États-Unis.
Cela fait déjà des années qu’on se demande si Pixar n’a pas perdu de sa superbe, au point que la question commence à ressembler sérieusement à un marronnier, mais elle se pose avec une acuité particulière après visionnage du Monde de Dory. Aussi émouvant soit-il, le film n’échappe pas à une forme de redondance après le premier épisode : il en reprend beaucoup de personnages, de thématiques et de situations. Dans Le Monde de Nemo, Marin cherche son fils ; Le Monde de Dory inverse certes la logique de base du film en plaçant Dory à la recherche de ses parents, mais un troisième volet pourra difficilement se permettre de suivre encore une structure similaire.
Les cadres de Pixar ont promis par le passé que le studio alternerait des années à suite et des années à nouvelle licence, ce qui paraît plutôt vital — ne serait-ce pour ne pas lasser le public. Le hic, c’est que les derniers projets originaux de la boîte n’ont qu’à moitié convaincu : après un Vice-versa sympathique mais inégal, et un Voyage d’Arlo considéré comme le plus mauvais Pixar jamais produit, le calendrier à venir du studio inclut un univers inédit (Coco, prévu pour 2017) et trois suites : Cars 3 (eh oui), Toy Story 4, et Les Indestructibles 2.
Contraint à la fois d’atteindre certains objectifs de rentabilité ET de justifier sa différence par rapport aux studios Disney (dont les nouveaux projets battent tous les records, de La Reine des Neiges à Zootopie), Pixar risque de plonger le doigt dans un engrenage qui risque de lui faire du mal quand il aura atteint “l’épisode de trop” avec toutes ses licences…
Comment font-ils pour nous faire ENCORE pleurer au 17e long métrage ?
On reconnaît bien ici la patte du réalisateur de Nemo et de Wall-E. Le Monde de Dory ne lésine pas sur les séquences émotion. Comme le premier opus, il démarre d’ailleurs illico sur un flashback déchirant et chaque fois qu’on plonge dans les souvenirs de Dory, les larmes ne sont pas très loin. Néanmoins, contrairement à Nemo et Wall-E, ce cru Pixar 2016 est bavard jusque dans ses moments émouvants, et il les distille plutôt que de les concentrer en un seul endroit inoubliable (façon Toy Story 3).
Est-ce que Pixar ne serait pas tombé dans le piège du tire-larmes facile ? La recette est connue : un personnage attachant, de grands yeux émotifs, une petite musique triste et un sentiment de perte ou d’abandon, et le tour est joué. Le début de Là-Haut, la fin de Wall-E comme celle de Toy Story 3 sont la preuve que Pixar maîtrise son sujet. Mais si les moments émotion de Dory fonctionnent toujours, on se demande quand même un peu s’il n’y a pas un peu de manipulation émotionnelle là-dessous.
Car aussi touchantes soient-elles, les scènes de flashback du film ne font pas dans la subtilité : “Bébé Dory” est presque uniquement constitué de gigantesques yeux perdus et d’une voix mignonne, comme s’il était conçu à 100 % pour nous faire pleurer. On sent un peu le subterfuge, même si la perte de mémoire récurrente du personnage donne une connotation particulière à ces moments. C’est OK pour cette fois, Pixar, mais on espère que le studio ne donnera pas l’impression à l’avenir de saupoudrer moments drôles et moments tristes sur la trame de son scénario…
Pourquoi, en 2016, des cinémas continuent-ils de ne pas projeter le court métrage en intro des films Pixar ?
En voilà une vraie question.
La version courte, froide, purement économique : pour pouvoir proposer davantage de séances dans une journée.
La version longue : on a vu Le Monde de Dory en séance du matin à l’UGC Châtelet, sans se douter de rien. Les publicités arrivent, les bandes-annonces aussi, puis le film démarre… Attendez, le film ? Où est donc passé le court métrage Piper aux mérites tant vantés par Pixar, et dont les premières images laissaient présager d’un résultat tout à fait adorable ? Pour être honnête, on n’est pas totalement nés de la dernière pluie et on avait déjà vu des Pixar amputés de leur court métrage par le passé. Mais on pensait naïvement que cette époque sombre était révolue…
Si vous allez voir Le Monde de Dory dans la même salle, par exemple, sachez donc que le court métrage associé au film n’est diffusé qu’avant la dernière séance du soir. Histoire d’aller au fond des choses, n’écoutant que notre courage, on a appelé le service client d’UGC pour leur poser avec candeur la question fatidique : “Pourquoi ne diffusez-vous pas le court métrage ? N’avez-vous pas de cœur ?”
Ce à quoi on a obtenu la fameuse réponse courte vue ci-dessus. Et c’est bien dommage. J’étais pourtant prêt à pleurer AUSSI devant Piper.
Autres questions en vrac :
- Qu’est-il arrivé aux requins du premier film ?
Sont-ils occupés sur le tournage du prochain Sharknado ?
- Le Monde de Dory va-t-il trop loin dans l’improbable ?
Il se passe des choses assez absurdes dans la dernière partie de ce film. Un peu façon Sharknado, justement.
- Pixar est-il prisonnier d’une esthétique développée à l’époque du premier Toy Story ?
Ce Dory alterne les plans magnifiques et des séquences étrangement datées (hors de l’océan surtout). Il rappelle en cela Vice-Versa, qui était étrangement “plat” artistiquement parlant. Quand on compare l’efficacité tranquille de ce Pixar à l’animation incroyable de vivacité de Kung-Fu Panda 3, par exemple, on se demande si DreamWorks n’a pas dépassé techniquement les animateurs de Pixar. C’est particulièrement frappant quand des êtres humains débarquent dans le cadre. Avec le premier Toy Story, le studio a créé un standard esthétique pour l’animation 3D qui, après des années de bons et loyaux services, paraît désormais un peu anachronique…
- Quel message véhicule Le Monde de Dory côté “protection de l’environnement” ?
Le film brouille un peu les pistes à ce sujet, au point qu’on ne sait plus très bien où il se situe. Le Monde de Dory sera logiquement accusé, comme son prédécesseur, de favoriser la pêche massive de poissons-clowns (tel Nemo) ou de poissons chirurgiens (tel Dory), pour faire plaisir aux enfants et aux fans du film qui voudraient en avoir dans leur bocal à la maison — au risque de pousser ces espèces à l’extinction. Et s’il dissémine quelques exemples de pollution humaine (un déchet plastique par-ci, une réplique laconique par-là), ce n’est qu’un aspect très survolé du long métrage, comme si celui-ci ne savait sur quel pied danser.
Une large partie du film se déroule dans un centre aquatique côtier, qui est surtout présenté comme un hôpital pour poissons, qui sont soignés avant d’être relâchés à la mer. C’est un lieu décrit de manière étonnamment neutre, surtout de la part du réalisateur de Wall-E : on cherche l’ironie, la critique sociale, avant de se rendre compte que Le Monde de Dory n’a vraisemblablement aucun message politique. Une belle occasion manquée…