L’artiste Trevor Paglen explore les fonds marins pour observer… le Web

L’artiste Trevor Paglen explore les fonds marins pour observer… le Web

L’artiste Trevor Paglen explore la dimension physique du Web et analyse les procédés de surveillance à travers son projet Deep Web Dive.

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Contrairement à ce que l’on peut penser en regardant les premières images de la vidéo, Trevor Paglen n’observe pas les poissons mais le Web. Pour son projet, Deep Web Dive, suivi par The Creators Project, il filme une partie de l’infrastructure sous-marine d’Internet, pour ainsi dire, la surveillance mondiale. Il visite les fonds marins pour examiner les câbles qui canalisent le flux de données et le trafic en ligne. Un outil que les agences de surveillance utilisent pour surveiller et stocker les informations numériques.

Spécialiste du “surveillance art”, Trevor Paglen a reçu cette année le prix de la fondation Deutsche Börse pour la photographie. Son but est de rendre visible les infrastructures de la surveillance et du pouvoir. Ses précédentes œuvres présentaient des images de bases secrètes de l’armée américaine ou les trajectoires orbitales des satellites. L’espionnage du gouvernement et la collecte massive de données sont des sujets complexes et invisibles que l’artiste veut matérialiser en les rendant physiquement visibles.

Oui, on peut toucher Internet

En général, on pense que le cyberespace est complètement intangibles, que nos données sont stockées dans le cloud et qu’elles sont impalpables, ce qui leur donne une dimension inaccessible. Cette fausse impression masque l’impact réel de la surveillance. En montrant les infrastructure (bâtiments, câbles, satellites) qui servent la surveillance, Trevor Paglen, démontre la dimension physique du Web.

Pour ce projet, il n’a pas choisi n’importe quel tube au milieu de l’océan. Le documentaire est filmé au large de la côte de Fort Lauderdale, en Floride, un lieu où plusieurs réseaux se croisent. Ces nœuds stratégiques intéressent tout particulièrement les agences nationales de surveillance, avec qui plusieurs entreprises privées collaborent.

Proche de la réalisatrice Laura Poitras, Trevor Paglen a participé en 2013 au documentaire Citizenfour, consacré au lanceur d’alerte Edward Snowden. Ce dernier avait révélé des documents classés secret défense par la NSA (National Security Agency). L’équipe de tournage était alors allée le retrouver à Hong Kong pour ce documentaire à la portée historique.

Je cherche à apprendre à lire les moments historiques que nous vivons et documenter ce genre de changement de l’écosystème, a expliqué Trevor Paglen à The Creators Project. 98 % des données mondiales transitent sous l’océan.” Une évolution culturelle et sociétale dont l’artiste veut témoigner et révéler la face cachée.

Une réalité qu’on ne connaît que très peu. En revanche, les gouvernements et les agences de surveillance mondiales en savent beaucoup sur nous. En France, la loi sur le Renseignement votée en juin 2015 a autorisé la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) à avoir accès à de nombreuses données transitant par Internet. Les communications internationales sont ainsi visibles grâce à ces câbles.

Voyage au centre des “tubes”

En 2012, Andrew Blum, journaliste pour Wired, explorait déjà dans son livre Tubes: A Journey to the Center of the Internet (Tubes : voyage au centre de l’Internet) la dimension physique du Web et la surveillance des données. Dans ce livre, il parcourt le monde en suivant ces “tubes” dans lesquels nos données voyagent.

“J’ai la confirmation avec mes propres yeux qu’Internet est beaucoup de choses, dans de nombreux endroits. Mais une chose est certaine, presque partout, il y a des tubes. Il y a des tubes sous l’océan qui relient Londres à New York. Des tubes qui relient Google à Facebook. Il y a des bâtiments remplis de tubes, et des centaines de milliers de kilomètres de routes et des voies ferrées, à côté desquelles se trouvent des tubes enterrés. Tout ce que vous faites en ligne se déplace à travers un tube. À l’intérieur de ces tubes (en gros), il y a des fibres de verre, à l’intérieur de ces fibres il y a de la lumière. Dans cette lumière codée, il y a nous, de plus en plus.”