Ce matin, Shaka Ponk a été décoré par Aurélie Filippetti chevalier des Arts et Lettres. Derrière les sourires, les poignées de main et les discours, une récompense qui n’a plus de sens pour un groupe insignifiant.
En 1957, soit deux ans avant de devenir le premier ministre des affaires culturelles, André Malraux a une idée. Il imagine une distinction républicaine en hommage aux artistes, non seulement français, mais du monde entier.
Une décoration honorifique qui récompenserait…
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..les personnes qui se sont distinguées par leur création dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde.
Ce titre, c’est l’ordre des Arts et des Lettres. Cette récompense très institutionnelle marque la reconnaissance du pays à l’égard de personnalités exceptionnelles. La preuve : il y a même une très sérieuse association des Arts et des Lettres qui l’atteste : les décorés sont des personnes “qui ont rendu des services éminents à la Culture Française et qui contribuent activement à son rayonnement”.
Aujourd’hui, on apprenait l’élévation du groupe Shaka Ponk, t-shirt “We don’t give a fuck” de sortie, au rang de chevalier des Arts et des Lettres par la main d’Aurélie Filippetti. Pourtant, Shaka Ponk, c’est le vide.
Shaka Ponk : un groupe vide de sens musical
Le vide musical, d’abord. Se targuant de jouer du rock, la formation en a sûrement oublié l’essence quelque part. Sur le papier, il y a bien des guitares ou une batterie. Mais à l’écoute, c’est aussi lisse et sans âme que la musique de David Guetta – lui aussi chevalier des Arts et des Lettres. La faute à une production vulgaire, calibrée pour que les lycéens puissent écouter leur album en qualité mp3 à la sortie de l’école depuis les minuscules enceintes de leur smartphone. Et trouver ça potable.
Exemple. En deux petites journées, le tout dernier single du groupe intitulé “Wanna Get Free” totalise plus de 700 000 vues sur YouTube. Que peut-on entendre ? Un refrain qui arrive avant 45 secondes et dont la composition tourne autour de quatre accords très célèbres, une débauche de basses electro, des samples dans tous les sens et pléthore de visuels dénués du moindre message.
La liste de griefs est longue.
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Mais Shaka Ponk, c’est le vide de sens, aussi. Ce sont des paroles faussement rock, faussement rebelles, sans aucune subtilité de fond (n’abordons pas la forme, on ne tire pas sur une ambulance), un plat réchauffé au micro-ondes de rébellion adolescente imaginée par des vieux qui n’y croient plus eux-mêmes.
Il suffit de se pencher sur quelques paroles du groupe pour s’en rendre compte. Celles de “Let’s Bang”, tiré de leur album The Geeks and the Jerkin’ Socks (2011), au hasard :
Hey you’re the one I like
I wanna share your love tonight
I wanna smoke your special thing
Let’s Bang bang bang
You’d better do your dance
You’d better take that chance
You’d better move your butt
You gotta show me what you got
You wanna check this man
De quoi faire passer les petites histoires sans prétention de La Femme pour des élucubrations d’intellectuels et les sympathiques rimes de Florent Marchet pour la réincarnation de la poésie de Serge Gainsbourg. Pourtant, selon Aurélie Filipetti, Shaka Ponk a bel et bien “rendu des services éminents à la Culture Française” et a participé au “rayonnement” de celle-ci.
Et de rajouter sur Twitter :
Shakaponk chevaliers Arts et Lettres: une énergie rock/numérique inédite, une popularité gagnée sur scène, un lien fort avec le public
— Aurélie Filippetti (@aurelifil) 18 Mars 2014
D’autres personnalités ont été distinguées de la même récompense créée par André Malraux. Comme Nikos Aliagas, présentateur de la soupe populaire du télé-crochet, la Star Academy. Comme David Guetta, digne héritier musical s’il en est de la nation de Claude Debussy, Alain Z. Kan ou bien Noir Désir. Comme Christophe Maé, symbole à lui tout seul de la vacuité musicale désespérante qui règne sans partage sur les ondes dites mainstream.
Être chevalier des Arts et des Lettres : quelle valeur ?
Au final, il ne faut donc pas en vouloir à Shaka Ponk. Pas même à certaines majors d’abrutir décennie après décennie des générations d’ados avides de chansons faciles à comprendre, faciles à reprendre, faciles à aimer. Dans l’absolu, le travail d’une maison de disques est de vendre de la musique… peu importe laquelle.
Non, vraiment. S’il s’agit de projeter sa déception, c’est sur le personnel qui décide de l’attribution de l’Ordre de Chevalier des Arts et des Lettres. C’est le Ministère de la Culture qui est à blâmer. Shaka Ponk se trouve élevé pêle-mêle au même rang que William S. Burroughs, Pierre Cardin, Raoul Cauvin, Clotilde Courau, Nguyên Lê, Pascal Rambert ou Cate Blanchett.
La liste de personnalités ayant imprimé peut-être plus durablement leur nom dans l’Histoire, la vraie, est longue elle aussi. Mais la musique française en est-elle à un tel degré de déliquescence que Shaka Ponk soit reconnu comme leurs pairs ?
Samaha Achoun, Frah Charon, Mandris da Cruz, Steve Desgarceaux, Ion Meunier et Cyril Roger, cette tribune ne vous vise pas personnellement. Elle vise un système qui continue à distinguer ceux qui crient plus fort que les autres. Les lettres, je ne sais pas. Mais l’art, ce n’est pas cela.
Pas étonnant que la presse anglo-saxonne (Vanity Fair, pas plus tard qu’aujourd’hui) s’en prenne à la culture française lorsque les institutions de notre pays placent Shaka Ponk en vitrine de notre cher “Made in France”.