En images : malgré l’hiver glacial, des réfugiés syriens retrouvent un peu de chaleur en Arctique

En images : malgré l’hiver glacial, des réfugiés syriens retrouvent un peu de chaleur en Arctique

Reportage auprès de réfugiés accueillis en Norvège, aux confins du cercle arctique, à 5 000 kilomètres de chez eux. 

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Il est 15 heures. La nuit tombe sur Kirkenes, petite ville norvégienne du bout du monde, située à 500 kilomètres au-delà du cercle polaire. Ce jour-là, dans la salle communale, on célèbre le retour du soleil, qui avait disparu depuis 2 mois, hiver oblige. Une journée de réjouissances sous l’égide de la Croix-Rouge, qui réunit toutes les générations. La nouveauté cette année, ce sont ces dizaines de familles originaires de Syrie qui trouvent sans mal leur place au milieu des habitants. Et pour cause : certaines sont là déjà depuis des mois.

Dès la fin août, alors que la Hongrie finissait d’installer des barbelés à sa frontière, le mot a circulé sur Facebook et dans les journaux : il existerait une ultime chance d’accéder à l’espace Schengen, donc à l’Europe. Un passage étroit, la frontière entre la Russie et la Norvège, à 90° de latitude nord. Entre septembre et novembre, pas moins de 5 500 demandeurs d’asile se sont empressés d’emprunter cette “route polaire”. De l’autre côté de la frontière, ils ont pu poser leurs valises à Kirkenes, 3 500 âmes au dernier recensement, avant d’être répartis dans des centres d’accueil improvisés un peu partout dans la région.

À vélo sur la route polaire

À quelques pas de la place centrale, où se dresse la statue d’une femme en guenilles qui sauve ses enfants des flammes, une exposition de photos organisée dans le cadre du Barents Spektakel relate les jours d’effroi de 1945. La ville, alors occupée par les nazis, a disparu sous le déluge des bombes de l’Armée rouge. La simple vue de ces clichés suffit à remémorer aux anciens l’odeur du brûlé et la peur au ventre qui a marqué leur jeunesse.

Pendant trois ans, Rana et sa famille ont vécu à Damas avec leurs valises bouclées, prêts à déguerpir. Son mari Mustafa, opticien, a continué à travailler tant qu’il a pu. Certains soirs, il devait rester terré dans sa boutique pendant des heures, en attendant que les tirs cessent. Souvent, ils dormaient dans la salle de bains, car dans les maisons syriennes, c’est là que se trouve le grenier.

Les migs, les avions de l’armée de Bachar Al-Assad, ont bombardé sans relâche la Ghouta, banlieue de Damas dont sont originaires Rana et sa famille. Fief de l’Armée syrienne libre, leur quartier a payé un lourd tribut pendant la guerre civile. Chaque jour un voisin ou une connaissance perdait la vie. “Là bas, mourir de mort naturelle tient du miracle”, ironise Rana.

Elle a trois enfants : Hayat, Yaman et Muhammad. Hayat, son aînée, était enceinte lorsque Bachar Al-Assad a bombardé la Ghouta avec du gaz sarin. Sa fille Julia est née avec une malformation. Pour continuer à vivre, il leur a fallu partir, vendre tout ce qui leur restait pour payer leur voyage : 2 000 euros par personne.

D’abord jusqu’à Beyrouth, en avion, puis, de là, Istanbul. Ensuite, il a fallu débourser 250 euros par personne pour le visa et 500 euros pour l’avion jusqu’à Moscou, qu’ils ont atteint au mois de novembre. Rana raconte les regards bien peu amènes des autres voyageurs, à cause, pense-t-elle, du hijab qu’elle et sa fille aînée portent sur la tête.

Pour 100 euros, ils se sont ensuite envolés pour Mourmansk, la plus grande ville du Nord de cette partie de la Russie. Ils ont ensuite été conduits jusqu’à la frontière, qu’ils ont traversée à vélo, en plein hiver. La Russie en interdisant le franchissement à pied, les passeurs, côté russe, ont mis tout le monde sur des vélos. Pour ce dernier tronçon, ils ont tout de même soutiré 800 euros aux migrants.

Peur d’être renvoyés en Syrie

Pour Rana et sa famille, il s’en est fallu de peu. Ils franchissent la frontière le 27 novembre. Dès le 29, les contrôles se durcissent. Au vu du nombre croissant de demandeurs d’asile, le gouvernement norvégien a fait adopter des mesures plus strictes et l’a fait savoir sur les réseaux sociaux  pour dissuader les candidats au départ. Parmi ces mesures, le fait de considérer que les personnes ayant un visa russe en cours de validité puissent sans risque être renvoyés vers la Russie.

Or, de l’autre côté de la frontière les conditions d’accueil laissent à désirer. La Fédération de Russie qui compte 143 millions d’habitants n’a accordé le statut de réfugié qu’à 1 050 personnes en 2015. Tandis que la Norvège, 5 millions d’habitants, a, elle, offert l’asile à plus de 5 000 personnes.

À défaut d’infrastructures dédiées en Russie, les demandeurs d’asile croupissent dans la rue ou dans des hôtels surpeuplés, quand ils ne sont pas incarcérés pour avoir franchi illégalement la frontière ou dans l’attente d’être expulsés. Selon Amnesty International, la Russie n’excluerait pas même, de reconduire des Syriens à Damas, en zone de guerre, au mépris du droit international.

C’est ce que redoute par dessus tout Ashraf, 28 ans, originaire de Lattaquié dans l’Ouest de la Syrie, le fief de Bachar Al-Assad :

“Ils ont mon nom à la frontière. J’ai fui pour éviter d’être enrôlé dans l’armée régulière. Si je retourne là-bas, je serais considéré comme déserteur, et exécuté.”

Arrêté dans la ville de Bodø, sur la côte ouest de la Norvège, il attend depuis une vingtaine de jours dans l’un de ces préfabriqués alignés le long de la clôture de l’aéroport de Kirkenes, d’être raccompagné à la frontière.

À l’intérieur de ce centre, il décrit des conditions de vie “horribles” : à 18 par pièce, 3 douches et 3 toilettes pour plus de 200 personnes. Des gardes chiourmes pour empêcher de se resservir lors de la distribution des repas. Impossible de laver ses vêtements ni même de prendre une douche chaude, encore moins d’acheter des cigarettes ou des recharges de téléphone.

Des habitants de la région mobilisés pour les réfugiés

L’organisation, à but lucratif, Hero, qui gère ces installations et quelques centaines d’autres dans le pays, facture entre 30 et 70 euros la nuitée par personne à  l’État norvégien. Du côté des pouvoirs publics, le maire de Kirkenes Rune Rafaelsen se dit “choqué” et “honteux” de ces pratiques, qui dérogent selon lui à la tradition d’accueil et d’hospitalité des gens du Nord. Et bien plus encore aux engagements de l’État qui se doit de fournir aux demandeurs d’asile un habitat décent, de quoi se vêtir et des soins de base.

Face à cette situation, un réseau de citoyens baptisé Refugees Welcome to the Arctic se mobilise pour empêcher à tout prix les expulsions et offrir l’hospitalité à certains d’entre eux. Ces derniers temps, il bravent de plus en plus souvent l’interdit, quitte à se réfugier en ultime recours dans l’église (“kirk“, en norvégien) du centre de Kirkenes. Quant à Ashraf et aux autres, ils ont trouvé leur salut dans la fuite, et vivent désormais ailleurs en Norvège ou en Europe.

Alors que le gouvernement cherche à attirer des jeunes diplômés dans la région, les écoles du coin, qui étaient sur le point de fermer, se repeuplent en accueillant par dizaines des jeunes Syriens. “Ces gens pourraient prendre part au renouveau de la région”, note Heidi, qui gère pour le compte du Directorat norvégien de l’immigration un centre d’accueil situé un peu plus loin sur la route de l’aéroport.

Dans cet hôtel encaissé au fond d’une vallée, qui voit affluer l’été les amateurs de la pêche au saumon, sont installées des familles à qui on a reconnu le statut de demandeur d’asile. Là nous retrouvons Rana et sa famille. “Je n’imaginais même pas qu’un tel endroit puisse exister sur terre”, confie la maman qui a pris son courage à deux mains pour sortir faire quelques pas dans la neige.

“Au début, beaucoup de personnes dormaient toute la journée, en attendant désespérément le lever du jour”, qui n’interviendra que fin janvier, raconte Heidi, du Directorat de l’immigration. Dans la salle de restauration collective aux murs couverts de lattes de bois, chacun s’occupe comme il peut. Trois bornes d’accès à Internet tournent à plein régime. On boit du thé en écoutant Fairouz. Dehors, les enfants emmitouflés dans leurs doudounes dévalent les remblais de neige avec ou sans luge, et s’amusent avec les stalactites décrochées des gouttières.

“Nous voulons recommencer à vivre”

“Ici, c’est comme en Syrie, toutes les communautés vivent en bonne intelligence : les chrétiens, les chiites, les sunnites et les alaouites”, assure Rana. Pourtant, chacun prie dans sa chambre, à l’abri des regards. En montrant un papier accroché au mur, la mère de famille raconte :

“En arrivant on a demandé la direction de la Mecque, puis on a trouvé sur Internet les heures de prière, qui changent tous les mois.”

Après un silence, elle se sent obligée de préciser :

“Vous savez, les musulmans ne sont pas de meurtriers, hein ? Le Coran interdit de tuer des gens. Avec Daech, c’est comme si tous les fous furieux assoiffés de sang de la terre s’étaient donné rendez-vous en Syrie.”

Nouvelle pause. Rana finit par ajouter :

“Ici aussi, il y a parfois des tensions, mais rien à voir, évidemment. C’est juste que nous vivons les uns sur les autres depuis des mois sans rien faire. Parfois, les enfants se chamaillent. Quand vous allez sortir d’ici tout le monde va se précipiter pour savoir ce que vous vouliez. Il ne se passe jamais rien.

Certains ici sont tristes ou en colère, mais pourquoi le serions-nous ? Nous sommes ensemble, et nous sommes en sécurité. Je me dis ça tous les matins, et je remercie le Ciel.”

Le 31 mars, tout le monde aura déménagé. Deux familles seront logées à Kirkenes, les autres un peu partout dans la région. Hayat aimerait reprendre ses études. Son mari qui avait trois emplois en Syrie voudrait pouvoir conduire une voiture et aller travailler dans une grande ville.

Mais, en priorité, ils doivent faire soigner leur fille qui souffre d’asthme et d’une malformation de la lèvre à la suite des bombardements à l’arme chimique :

“Maintenant que nous sommes là, nous voulons apprendre, étudier, travailler, recommencer à vivre.”