Rage Against the Machine est le seul groupe à avoir réussi la fusion entre rap et rock

Rage Against the Machine est le seul groupe à avoir réussi la fusion entre rap et rock

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Par Aurélien Chapuis

Publié le

Alors qu'il annule sa venue en Europe cet été, retour sur l'héritage du groupe californien vingt-deux ans après son dernier album.

Le groupe Rage Against the Machine vient d’annoncer l’annulation de sa tournée européenne 2022. Scott Ian, immense leader du groupe Anthrax, a annoncé dans une interview pour The National Student que le groupe californien est pour lui l’inventeur du genre rap metal. Mais depuis quand le rap et le rock se côtoient ? RATM est-il vraiment le lanceur d’une nouvelle ère musicale ? Retour sur ce grand mélange des genres avec une question cruciale.

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Dans les années 1980 aux États-Unis, deux mouvements musicaux grandissent côte à côte en se croisant parfois du regard : le punk hardcore, résurgence extrême du rock montée par les Ramones, et le rap, bras armé urbain de la culture noire américaine. Des groupes comme Bad Brains, Fishbone ou même Funkadelic testent déjà une fusion des deux côtés dès les 70’s, mélangeant jazz, reggae, funk avec des guitares électriques lourdes.

Mais c’est Suicidal Tendencies, The Red Hot Chilli Peppers en Californie puis surtout les Beastie Boys qui vont totalement modifier cette vision. Les Beastie Boys partent des circuits punk hardcore new-yorkais pour aller vers une version hip-hop de cette énergie électrique, lancée par Rick Rubin.

Rick est d’ailleurs le connecteur le plus important de ces deux mondes, à la fois architecte de la brutalité métal technique du Reign in Blood de Slayer comme de la rythmique minimaliste du Radio de LL Cool J.

Le label Def Jam sera vraiment un déclencheur de ce rapprochement entre les deux mouvements en signant le premier album Beastie Boys donc, Licensed to Ill, et des morceaux comme “Rock Hard” qui sample AC/DC. Rick Rubin et Russel Simmons arrangent aussi la rencontre entre Run DMC et Aerosmith pour le morceau “Walk this Way”, le véritable tournant du style rap rock.

Au début des années 1990, tout s’accélère. Toujours sur l’impulsion de Rick Rubin, Public Enemy utilise un sample de Slayer puis collabore avec le groupe de trash metal Anthrax, des proches de Metallica. Les Red Hot Chilli Peppers sortent le mastodonte Blood Sugar Sex Magik avec énormément de rap comme le single “Give It Away”. Et la totalité de l’album est produite par… Rick Rubin.

Le groupe hardcore Biohazard s’allie au sombre Onyx pour lancer la bande-son du modeste film Judgment Night. Cette BO devient alors le vrai témoin de ce lien entre rap et rock, croisant l’électricité de Sonic Youth, Faith No More, Pearl Jam et Slayer avec les rimes brûlantes de Run DMC, Cypress Hill, De La Soul et Ice T. Sûrement un déclic pour Ice T, qui réalisera ensuite six albums avec son groupe Body Count, entre gangsta rap et heavy metal.

C’est à cette période qu’un groupe se monte en Californie. Formé à partir des groupes funk metal Lock Up de Tom Morello et punk hardcore Inside Out de Zack de la Rocha, Rage Against the Machine est nommé à partir des paroles déjà très révolutionnaires et virulentes de Zack.

Dès 1991, les membres de la formation travaillent sur leur premier album éponyme qui va devenir une véritable bombe sonique. Et cette formule va justement éprouver toutes les expérimentations faites auparavant dans le rap rock.

Le guitariste Tom Morello mélange facilement de puissants riffs métalliques avec des effets wah-wah à la Parliament ou Nile Rodgers. Il utilise son instrument comme une platine de DJ, expérimentant des scratchs artificiels ou des textures totalement nouvelles.

Zack de la Rocha, de son côté, est un cocktail énervé de Chuck D, frontman de Public Enemy, et KRS One. Énergique, extrême et engagé, Zack va devenir la voix d’une génération, celle qui a grandi en écoutant à la fois du rap et du métal, celle, qui a adopté le grunge, urbaine et en marge.

“Fuck you, I won’t do what you tell me”

Sur ce premier album de dix titres, tout est tellement bien mélangé qu’on arrive plus à voir les modèles ou les influences. Les rythmiques sont millimétrées, les boucles sont présentes, la voix s’intègre au milieu comme un instrument à part entière. Et bien sûr “Killing in the Name” et son mantra répété à la fin devient un hymne.

Monolithe et compact, l’album prend un essor incroyable sur scène. Rage Against the Machine devient directement une valeur sûre en festival, les musiciens du groupe étant des monstres de live.

D’ailleurs, quasiment tous les clips du groupe sont des montages faits à partir d’images de guérillas urbaines et d’extraits de concerts, montrant la puissance folle de leur musique et la communion avec un public à leur image. Exit les cheveux longs et blousons de cuir à papa, bonjour les baggys, T-shirts de skate et sneakers.

En 1996, quatre ans après le brûlot de l’album éponyme, RATM sort une suite, Evil Empire, portée par l’énorme déflagration “Bulls on Parade”. Alors que l’accueil des fans sera plus mitigé que sur le premier, Evil Empire est un bijou d’arrangements, de mix et de production.

Tout est plus réussi que sur le précédent. Des morceaux comme “Revolver”, “Year of The Boomerang” ou “People of the Sun” sont extrêmement ambitieux dans leurs structures et sonnent comme des véritables frappes chirurgicales.

Les expérimentations de Tom et les fulgurances vocales de Zack sont à leur plus haut niveau, tout comme les puissantes lignes de basse de Tim Commerford et la batterie démente de Brad Wilk. Le tout est produit par Brendan O’Brien, l’ingénieur son qui a bossé avec Rick Rubin sur Blood Sugar Sex Magik des Red Hot. Cette identité sonore devient une nouvelle norme dans la musique électrique de la fin des années 1990.

Le groupe poursuit sur sa lancée en 1999 avec The Battle of Los Angeles, un album urgent sur fond de fin de siècle, entre espoir et désolation. Dans le même esprit qu’Evil Empire, ce troisième album a moins de moments forts. Les tensions dans le groupe se font sentir, qui vont aboutir d’ailleurs à une pause indéterminée de la formation à l’orée des années 2000.

Les renégats du funk, du rap et du rock

Ils termineront tout de même leur incroyable parcours des années 1990 avec un dernier disque, Renegades. Composé uniquement de reprises, cet opus montre justement toutes les influences éclectiques de RATM : des classiques rap d’Eric B & Rakim, EPMD, Cypress Hill ou Afrika Bambaataa, des coups de poing punk hardcore comme le groupe straigh edge Minor Threat ou encore des standards rock comme Bruce Springsteen, The Stooges, The Rolling Stones, Devo ou MC5.

Mention spéciale pour la reprise d’un morceau de Volume 10, rappeur underground californien très sous-estimé. Et ce superbe point final est produit par… Rick Rubin, déjà à la manœuvre sur les American Recordings de Johnny Cash, trois volumes depuis 1994 souvent composés de reprises. Rick est toujours là, il veille sur son rap rock.

Mais alors qu’est-ce qui fait que Rage Against the Machine reste le meilleur mélange entre rap et rock ? Justement, c’est qu’on n’en aperçoit pas les ficelles. Parce que Tom Morello remplace le DJ, souvent artificiel dans ce genre de formation. Parce que Zack rappe vraiment et a d’ailleurs posé ensuite sur de véritables morceaux hip-hop. Parce que l’énergie et la rythmique du groupe sont aussi hardcore que rap. Parce qu’ils sont le vrai chaînon manquant entre Public Enemy et The Ramones.

Bien sûr, il y eut ensuite énormément de mélanges, notamment dans le nu-metal porté par Linkin Park, Limp Bizkit ou Kid Rock. Mais le rap était souvent une donnée qu’on venait intégrer en plus dans un système musical déjà établi. Il ne fait pas partie totalement de l’ADN de ses groupes. Cela reste du rock qui touche au rap de temps en temps.

Alors que Rage Against the Machine ne peut pas exister sans les deux éléments. Tout est prévu dans leur fonctionnement pour faire cohabiter ces deux univers, les rendre cohérents et authentiques. Avec RATM, l’étiquette fantoche “rap rock” devient réelle.