LuxLeaks : une peine allégée pour les lanceurs d’alerte, mais une peine malgré tout

LuxLeaks : une peine allégée pour les lanceurs d’alerte, mais une peine malgré tout

Mercredi 15 mars, la Cour d’appel du Luxembourg devait se prononcer sur le cas de trois lanceurs d’alerte impliqués dans le scandale financier dit des LuxLeaks. Elle a choisi d’alléger leur peine. Il n’en reste pas moins qu’ils écopent d’une sanction.

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Les trois lanceurs d’alerte de l’affaire LuxLeaks ont été jugés en appel mercredi 15 mars et leurs peines ont été amoindries. Pour rappel, l’appellation “Luxembourg Leaks “, ou “LuxLeaks” en abrégé, désigne le scandale financier révélé en 2012 par le Consortium international pour le journalisme d’investigation (ICIJ), dont il convient de se remémorer les détails afin d’en comprendre davantage les enjeux.

Comme le rappelle France info, en collaboration avec de nombreux journaux du monde entier, cette organisation a dénoncé des accords établis entre le fisc luxembourgeois et le cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers, permettant à ce dernier d’obtenir des déductions fiscales pour ses clients, parmi lesquels figurent de grandes entreprises comme Apple, Amazon, Ikea, Heinz, Timberland, Axa, LVMH, BNP Paribas ou encore Pepsi. Près de 28 000 pages de documents avaient été mis en ligne sur Internet, mettant au jour les preuves de ce montage financier parfaitement illégal. Ces pratiques ont permis à ces multinationales de payer très peu d’impôts, voire pas du tout, pendant près de huit années, entre 2002 et 2010.

Mais ce sont les trois citoyens français à l’origine de cette divulgation qui ont été poursuivis dans le cadre de cette affaire : le journaliste Édouard Perrin, qui a révélé le scandale dans l’émission Cash investigation sur France 2, ainsi que deux anciens employés du cabinet de conseil en question : Antoine Deltour et Raphaël Halet, accusés d’avoir violé le secret professionnel en faisant fuiter des documents compromettants et top secret. Le 29 juin 2016, en première instance, Édouard Perrin avait été relaxé mais Raphaël Halet et Antoine Deltour avaient respectivement écopé de 9 mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende et un an de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende.

Mercredi 15 mars, la justice luxembourgeoise était amenée à se prononcer à nouveau dans le cadre d’une procédure en appel, au sujet des accusations qui pèsent sur les trois lanceurs d’alerte français, à savoir les motifs de “violation du secret des affaires, violation du secret professionnel, vol, blanchiment et accès frauduleux dans un système informatique” pour le cas des deux anciens employés et de “complicité” pour le journaliste M. Perrin.

Le prix du Citoyen européen

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Comme en témoigne ce communiqué de presse, le verdict de la Cour allège les peines prononcées, certes, mais les prévenus restent néanmoins condamnés. Ainsi, Antoine Deltour voit sa peine divisée par deux en écopant de six mois de prison avec sursis et l’obligation de payer 1 500 euros d’amende. Raphaël Halet doit quant à lui payer 1 000 euros d’amende mais voit sa peine de prison avec sursis disparaître. Enfin, le journaliste Edouard Perrin a obtenu la confirmation de sa relaxation, pour la seconde fois.

L’avocat de M. Deltour, maître William Bourdon, s’est exprimé à la sortie du prétoire. S’il a exprimé une “vraie satisfaction” car “pour la première fois, un juge d’un pays de l’UE accorde le fait justificatif de lanceur d’alerte pour acquitter Antoine [Deltour], s’agissant d’une des infractions principales qui lui a été reprochée, c’est-à-dire la violation du secret professionnel”.

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Le représentant du lanceur d’alerte a cependant indiqué regretter que certaines charges soient encore retenues contre son client, au regard de l’importance de son geste et des risques encourus lors de la démarche qui fut la sienne : “La cohérence aurait voulu qu’Antoine [Deltour] soit acquitté intégralement.”

C’est également l’avis d’Anne-Sophie Jacques, journaliste pour Arrêt sur images, qui a dénoncé, à juste titre, une décision “inique” mettant en lumière l’inefficacité de la loi Sapin 2, qui devait garantir aux lanceurs d’alerte une immunité et une sécurité pleines et entières :

“La loi Sapin 2 (adoptée en France l’an passé) censée protéger les lanceurs d’alerte n’a été d’aucun secours pour Deltour et Halet puisque l’optimisation fiscale n’est pas pénalement répréhensible. Même topo à l’échelle européenne : le projet de directive sur le secret des affaires estime que seuls les citoyens ayant révélé une faute professionnelle ou une activité illégale doivent être protégés. Pourtant, comme le signale Paul Moreira, journaliste et réalisateur de la société Premières lignes qui produit les Cash investigation, la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager a déclaré lundi dernier, deux jours avant le jugement en appel, que c’était ‘une bonne chose’ que les lanceurs d’alerte aient averti les autorités. Une bonne chose… sanctionnée.”

L’incohérence de ce verdict est également soulignée fait qu’Antoine Deltour a été récompensé par le prix du Citoyen européen en 2015, comme le rappelle cet article du Figaro. Il s’agit d’un prix décerné par le Parlement européen. Être à la fois condamné et salué pour strictement la même affaire relève de la schizophrénie. Cela envoie nécessairement des signaux contraires à toute personne potentiellement lanceuse d’alerte, qui ne sait toujours pas à l’heure actuelle si la justice la remercierait ou la punirait. Ce statut de lanceur d’alerte doit impérativement être précisé, qualifié et gravé dans le marbre de la législation européenne afin d’aller vers un idéal de cohérence et confiance.

Partageant vraisemblablement l’avis de l’éditorialiste d’Arrêt sur images, l’eurodéputée Europe Écologie-Les Verts (EELV) et ancienne magistrate Eva Joly a tenu à soutenir publiquement les lanceurs d’alerte :

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À la sortie du procès, mercredi 15 mars, des dizaines de personnes étaient venues témoigner de leur soutien aux trois hommes, applaudis, remerciés et accueillis en héros.