Pourquoi présenter des harceleurs de rue violents comme des “dragueurs éconduits” est grave

Pourquoi présenter des harceleurs de rue violents comme des “dragueurs éconduits” est grave

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Le quotidien régional Nord Éclair a publié ce 17 juillet un article intitulé “Roubaix – Les dragueurs éconduits ouvrent le feu sur un groupe de jeunes femmes”. La façon dont il présente et qualifie des faits graves de harcèlement de rue et de tentative de meurtre a été dénoncée en masse par les internautes, notamment sur la page Facebook Paye Ta Schnek.

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“Roubaix – Les dragueurs éconduits ouvrent le feu sur un groupe de jeunes femmes” titrait ce 17 juillet un article publié sur le site de Nord Éclair, un quotidien régional du nord de la France. Son chapô, petit texte introduisant l’article, continuait :

“Grosse frayeur dimanche matin pour des jeunes femmes abordées par trois individus, place de la Fosse-aux-Chênes. Le plan drague ayant tourné court, l’un des protagonistes a ouvert le feu en direction des victimes. Heureusement, personne n’a été blessé.”

Cette présentation très douteuse de faits graves a déchaîné les foudres des internautes. D’autant plus que l’article a été repris, avec la même expression de “dragueurs éconduits”, par Le Parisien dans son article “Roubaix : un groupe de dragueurs éconduits tire sur la voiture des jeunes femmes“.

“Le harcèlement est une violence” qui ne doit pas être légitimisée

Un post publié ce mercredi 19 juillet sur la page Facebook du Tumblr Paye Ta Shnek a également dénoncé ce traitement. Le Tumblr a été créé en 2012 par Anaïs Bourdet pour permettre aux femmes de témoigner sur le harcèlement sexiste dont elles sont victimes dans l’espace public, et d’en montrer l’ampleur et la gravité. Le site a eu un tel succès qu’il a donné lieu à un livre, financé grâce à une campagne de crowdfunding. Une grande aide à la sensibilisation au problème, qui ne semble pourtant toujours pas appréhendé correctement par les médias. Paye Ta Shnek dénonce au sujet de l’article de Nord Éclair un problème double. D’une part, la grande violence du harcèlement, avec des agresseurs qui en plus de harceler tentent de tuer leurs victimes. Et de l’autre, un média qui semble presque valider et normaliser leurs actes, et empire de ce fait la violence commise. Le post conclut :

“Dans un monde normal, on écrira : ‘Traumatisme dimanche matin pour des jeunes femmes harcelées par trois individus, place Fosse-aux-Chênes. Les victimes s’enfuient, l’un des harceleurs ouvre le feu dans leur direction.’
Le harcèlement n’est pas un ‘plan drague’. Des harceleurs ne sont pas ‘éconduits’. Le harcèlement est une violence. Il serait temps que l’ensemble de la presse le comprenne et cesse d’entretenir l’idée selon laquelle un homme est légitime à devenir violent quand une femme lui résiste ou le repousse.’

Le message de colère a été largement applaudi, recevant plus de 4 500 réactions et étant partagé près de 1 000 fois. Même si l’auteure du post a dû préciser son propos dans les commentaires pour quelques rares critiques :

“Un harceleur n’est pas un dragueur. La drague se pratique à deux, le harcèlement s’impose. Il est intolérable que des journalistes ne fassent toujours pas la différence et parlent de harcèlement comme si c’était un phénomène réciproque. Enfin, ‘dragueur éconduit’ place dans la tête de tout le monde que c’est le refus de poursuivre l’échange qui a engendré l’acte de violence. En filigrane : si elle avait dit oui, il ne lui aurait pas tiré dessus. Non, ce n’est pas tolérable. Pas une seule seconde.”

Des mots qui ajoutent aux violences faites aux femmes

Les critiques ont apparemment été entendues par Nord Éclair, mais pas jusqu’au bout : le titre a été modifié en “Roubaix – Les individus éconduits ouvrent le feu sur un groupe de jeunes femmes“. Un seul mot a donc été changé, puisque “dragueurs” a été remplacé par “individus”. Le terme “éconduits” demeure pourtant, conservant une idée de revanche “passionnelle”, d’excuse amoureuse minimisant la responsabilité des harceleurs de rue.

Il y a quelques semaines, Libération dénonçait le traitement fait par les médias des violences et meurtres féminicides avec un dossier consacré aux violences conjugales commises sur les femmes. Ces violences y étaient présentées comme un “meurtre de masse” — et le rôle des mots utilisés pour les rapporter dans les médias y était pointé du doigt. Sophie Gourion, créatrice du Tumblr Les mots tuent, écrivait précisément une tribune dénonçant le traitement journalistique des violences faites aux femmes. Elle y soulignait les euphémismes et justifications utilisées pour relayer les meurtres conjugaux, les violences conjugales et viols. Et derrière, la déconsidération des victimes :

“Les violences envers les femmes ne sont pas des faits divers mais des faits de société. Elles constituent de véritables violences de genre qui ne doivent rien au hasard.”

L’article de Nord Éclair a trouvé sa place sur le Tumblr, qui affiche en tête de son triste répertoire une citation du philosophe français Brice Parain : “Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde.”