Pour un nouveau discours amoureux

Pour un nouveau discours amoureux

Si les mots permettaient de changer notre manière de vivre nos histoires d’amour.

À voir aussi sur Konbini

Avez-vous déjà remarqué à quel point notre façon de parler de l’amour peut paraître ridicule ? Cette expérience émotionnelle soit-disant sublime, on en parle parfois avec douleur, négativité et dégoût, car elle fait de nous des êtres niais, dégoulinants de sentimentalisme.

Nous “tombons” amoureux, comme si nous étions victimes d’une chute, plutôt que de commencer volontairement une relation avec quelqu’un que nous apprécions et que nous désirons ; nous devenons alors des imbéciles aveuglés par cette adoration ; notre santé mentale est affectée par cet état appelé “être fou amoureux” ; les mots que nous utilisons pour décrire nos expériences amoureuses façonnent la conception même que nous avons de ces actes passionnels… c’est-à-dire que nous les considérons comme la célébration grandiose de la souffrance.

Cela peut sembler bizarre de décrypter ainsi des façons de parler déjà bien établies. Mais ce statu quo de la pensée et du langage amoureux, somme toute bien métaphorique, a une incidence sur notre expérience de l’amour. À en juger par les innombrables relations dysfonctionnelles qui ont existé et qui existent encore aujourd’hui dans le monde entier, il n’y a rien de positif là-dedans.

Ma première relation sérieuse fut une folie pure (aussi cliché que ça puisse sonner). En plus de mon angoisse classique d’adolescente, de mes problèmes psychologiques et de mon tout nouveau désir, ma première relation versait clairement dans la folie. Désolée. C’est pas de notre faute, on avait 15 ans. Mon premier copain et moi avons vécu dans une atmosphère de fusion et de dévotion pendant deux ans.

Inconsciemment, j’ai toujours choisi les relations un peu destroy. Est-ce que c’était dû à une vision un peu naïve de l’amour que j’avais piochée dans les livres, les films et les séries romantiques ? L’amour doit-il toujours être sauvage et imprévisible ? Pour moi, à l’époque, sûrement. Ça semble débile maintenant que j’ai appris des manières plus saines de penser l’intimité. Beaucoup pensent de la même façon. Plus une relation procure de la douleur, plus l’amour est intense. C’est n’importe quoi.

L’écrivain Mandy Len Catron a une théorie pour expliquer pourquoi beaucoup d’entre nous voient l’amour comme une autoroute vers la folie. Dans un TED talks intitulée A Better Way To Talk About Love (“Une meilleur façon de parler de l’amour”), elle souligne que notre manière de parler d’amour a d’énormes répercussions sur notre façon de le vivre.

“Nos métaphores font souvent de nous les victimes de circonstances imprévues et inévitables”, explique-t-elle. Quelque chose ne tourne pas rond dans notre langage.

“On vit l’amour à la fois de manière biologique et culturelle. Notre biologie nous indique que l’amour est bon en activant les circuits de la récompense dans notre cerveau. Elle nous indique que l’amour est douloureux après une dispute ou une rupture, quand elle retire le circuit de la récompense. De fait, une rupture est un peu à l’amour ce qu’un sevrage est à la drogue.”

La souffrance fait indéniablement partie de l’amour. Les ruptures peuvent parfois ressembler à des deuils. Mais, comme Mandy Len Catron le souligne, dans une culture qui valorise la monogamie pour toute la vie : “On dirait qu’on veut un peu tout et son contraire : on veut l’amour fou, et on veut qu’il dure toute une vie.”

Mais l’amour ne doit pas toujours être ce no man’s land paradoxal contenu quelque part entre le bonheur et la tristesse. Personne ne veut y perdre la santé. Mandy Len Catron cite Metaphors We Live By, un ouvrage qui suggère que la solution à ce dilemme se trouve dans les mots que nous employons. Les linguistes Mark Johnson et George Lakoff, auteurs de ce livre suggèrent de considérer l’amour comme une œuvre d’art collaborative. Rigolez pas, Wendy Len Catron explique :

“Johnson et Lakoff parlent de tout ce que suppose le travail collectif sur une œuvre d’art : du compromis, de la patience, et des objectifs partagés. Ces idées ressemblent beaucoup à la manière dont nous nous investissons dans les relations à long terme. Mais cela peut également marcher pour d’autres types de relations.”

Si c’est l’amour qui fait marcher le monde, qui arrête les guerres et transforme les ennemis en amis, essayons au moins de préserver sa complexité.

À moins que vous ne préfériez vous enfoncer dans une spirale de dépression toute tracée par le langage, on vous conseille de vous débarrasser de ces expressions toutes faites. Vous pourriez même finir par réussir à parler de l’amour de façon positive. Être amoureux vous rend idiot, mais on devrait plutôt s’en réjouir que de s’en plaindre.

Nous avons besoin de descriptions plus réalistes, y compris dans les mots. Les romances hollywoodiennes nous présentent toujours des relations qui commencent incroyablement, connaissent des turbulences avant le happy end final. La vie ne ressemble pas aux films. Nous avons besoins de représentations plus fidèles de l’amour.

Comme l’explique Mandy Len Catron “si l’amour est une œuvre d’art collaborative, c’est aussi une expérience esthétique. L’amour est imprévisible et créatif et nécessite de la communication et de la discipline. C’est frustrant et exigeant. L’amour suppose de la joie et de la souffrance. Chaque histoire d’amour est différente”.

Regardez la conférence de Mandy Len Catron sur l’amour en intégralité sur le site Web du TED.

À lire -> Nodless, un court-métrage lumineux sur une histoire d’amour destructrice