Cet artiste américain s’est promené pendant huit heures dans Paris, en marchant avec ses Stan Smith neuves dans chaque merde de chien qu’il rencontrait.
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L’une des choses les plus désolantes de la vie tient à l’incroyable quantité de merdes de chien laissées à l’abandon dans les rues, pour que les mouches s’y nourrissent et que les humains marchent dedans. La plupart d’entre nous — si on a la possibilité de repérer l’étron fumant avant de l’écraser de nos semelles — fuient les merdes de chien comme la peste, tout en fulminant contre les gros flemmards qui ne prennent la peine de se baisser pour ramasser les œuvres de leur toutou.
L’artiste franco-américain David Joseph-Goteiner, faisant un beau doigt d’honneur au statu quo proclamé par la société, s’est promené pendant huit heures dans la capitale française, en marchant dans chaque merde de chien qu’il rencontrait. Le tout pour une obscure “expérience” sociale anticapitaliste. Il a documenté l’exercice par une vidéo au joli titre : Une dérive dans la merde de Paradis.
Mais ce n’est pas tout : comme pour adresser un fuck supplémentaire au consumérisme (et pour briser le cœur des hipsters), il ne portait ni une vieille paire de bottes en caoutchouc, ni d’insubmersibles Doc Martens, mais une paire d’Adidas Stan Smith flambant neuves, achetées exprès pour l’occasion.
L’artiste, âgé de 24 ans, explique que les trottoirs de Paris, comme ceux de nombreuses capitales, sont salis par les chiens. C’est en partie ce qui l’a inspiré pour sa petite expérience. Ça et la haine des produits standardisés, représentés par les Stan Smith.
Sans itinéraire ni carte, David s’est dirigé vers les endroits qu’il “sentait bien”. Au long de son parcours de 25 kilomètres, il a marché dans plus de 250 merdes de chien, récoltant au passage des regards (pour le moins) étonnés.
Même s’il s’intéresse à la complexité et aux sens plus profonds que recèle cette déferlante de merde, cet artiste né aux États-Unis préfère “laisser les spectateurs décider du sens par eux-mêmes”.
Donc, vous les fans de Stan Smith, vous les amoureux des crottes de chien, et vous qui avez un minimum d’humour noir, voyez quelles hauteurs spirituelles on peut atteindre, et ce simplement avec 250 merdes de chien, en lisant notre interview avec David ci-dessous.
Konbini | Qu’est-ce qui t’a donné envie de te filmer en train de marcher dans des merdes de chien partout dans Paris ?
David Joseph-Goteiner | La merde de chien et moi, c’est une longue histoire. Quand j’étais au lycée, j’ai travaillé pendant deux ans dans une crèche pour chien tous les week-ends. Dans ce travail, il fallait beaucoup ramasser derrière les chiens. C’est là que j’ai remarqué pour la première fois que la merde de chien… est à la fois drôle et dynamique à observer.
C’est nouveau pour moi de me décrire comme “artiste” et j’ai un peu peur des critiques, donc j’ai voulu faire un travail dont je savais qu’il serait critiqué afin de m’habituer à me faire ridiculiser en tant qu’artiste.
Tu dirais que la merde de chien te dégoûte ou plutôt que tu es intrigué par la merde et sa dynamique ?
Avant j’étais intrigué par le fait de marcher dans une merde de chien du point de vue théorique. Mais c’était théorique. Puis, ensuite j’ai marché dedans — et plus d’une fois — et je suis passé par des vagues d’émotions différentes : le dégoût bien sûr, mais aussi l’enthousiasme, le bonheur, l’amusement, la paranoïa et l’ennui. À présent, je suis encore plus intéressé par la merde. Mais il y aura toujours une part d’aversion.
“Mon moment le plus mémorable, c’est quand j’ai vu une femme faire semblant de ne pas avoir vu son chien faire ses besoins et puis s’en aller dans une rue pleine de monde”
Y a-t-il beaucoup de merdes de chien à Paris ?
C’est relatif. Il y a beaucoup de merdes de chiens à Paris, comparé aux villes américaines dans lesquelles j’ai vécu, comme Oakland ou San Francisco. Les Parisiens disent qu’il y a moins de merdes de chien aujourd’hui qu’il y a dix ans. Les amendes et les campagnes de communication ont encouragé les gens à ramasser.
Cela dit, mon moment le plus mémorable de toute cette journée, c’est quand j’ai vu une femme faire semblant de ne pas avoir vu son chien faire ses besoins et puis s’en aller dans une rue pleine de monde. Ça m’a énervé, mais j’ai vécu un truc très fort une fois qu’elle était partie en allant marcher dedans. C’était la merde la plus fraîche dans laquelle j’ai marché ce jour-là.
Dans combien de merdes as-tu marché ?
Plus de 250. Il y avait une rue à Montmartre, rue de la Bonne, plus exactement, juste à côté du Sacré-Cœur, dans laquelle étaient alignées plus de 20 merdes sur 50 mètres. Un véritable pôle d’excellence de la merde de chien.
Comment penses-tu que les propriétaires de Stan Smith vont réagir à ton “expérience” ?
Je suis impatient d’entendre leurs réactions. C’est une chaussure très blanche à l’achat, mais qui se salit très vite à l’usage. Les Stan Smith, comme les Converse, sont des chaussures au look vintage, il y a quelque chose de bizarre à les voir flambant neuves.
C’est complètement antithétique avec la culture des sneakerheads. Les gens achètent des Nike Air Yeezy ou des Jordan et les gardent immaculées (une fois, je me suis fait tabasser parce que j’avais éraflé les Jordan d’un gamin. Mais c’est le propriétaire qui décide comment il va salir ses Stan Smith, donc je pense que la plupart des gens respecteront ma décision.
Est-ce que tu comptes marcher dans les merdes de chien d’autres capitales ?
C’était spécifique à Paris, je déciderai en voyageant. Mais il y aura d’autres choses à venir avec les merdes de chien.
“J’aurais pu les nettoyer et me faire rembourser”
Est-ce que tu as gardé ces Stan Smith ?
Très bonne question. Oui, je les ai gardées, mais je ne les ai pas nettoyées, et je ne les ai pas portées depuis. C’est l’un des aspects de la performance qui m’a donné le plus de fil à retordre. J’aurais pu les nettoyer (même si je ne sais pas à quel point j’aurais pu les rendre propres) et ensuite j’aurais pu les rendre et me faire rembourser, comme le permet la politique de retour d’Adidas. J’aurais pu les porter, mais je n’aime pas l’idée de porter quelque chose qu’il est si courant de voir.
Je les ai gardées sous mon lit, dans leur boîte d’origine, avec l’étiquette dessus. Elles ne sentent pas, ou peut-être que je me suis habitué à l’odeur. Peut-être qu’elles ont envie que je les ressorte pour une autre dérive.
Traduit de l’anglais par Dario.