Partant du constat que les bandes dessinées dites “féminines” sont de plus en plus nombreuses et qu’elles ont une fâcheuse tendance à véhiculer des poncifs d’un autre temps à propos des femmes, certaines auteures se sont insurgées et ont créé BD égalité. Ce collectif propose une page intitulée “Paye ta bulle”, qui fait justement payer le prix fort aux goujats.
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En politique, à l’université , à la télé, partout… Et même en BD, donc. Depuis 2013, celles femmes se sont regroupées au sein du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme pour lutter contre les stéréotypes qui gangrènent leur profession. Du classique “vous qui êtes une fille” au débile “ce sera plus facile parce que t’es une fille” en passant par les très dérangeants “c’est un bien beau métier pour une femme“, la page Paye ta bulle de leur site ne manque pas d’exemples pour légitimer le combat mené depuis plusieurs années par ces artistes engagées. La plupart des témoignages sont anonymes afin d’en protéger les auteures. Certains font rire, d’autres exaspèrent, choquent, provoquent, mais tous valent le détour. L’illustratrice Marion Montaigne s’insurge avec raison :
“J’en ai marre des expos et prix pour “la BD de femme”. Ça fait expo ou prix “handisport”. “Tiens, petites femmes, on vous a fait un petit bassin où vous baigner ! Hoo regardez les gens !! Les filles aussi savent nager ! Comme c’est mignon !””
Parmi la longue listes de femmes adhérant au projet, on retrouve aussi la célèbre Pénélope Bagieu, qui a réussi à se faire un nom unanimement reconnu dans le milieu de la bande dessinée, malgré des idées reçues très ancrées dans certains esprits.
Non, la bande dessinée féminine n’est pas un genre narratif
Le sous-titre de Paye ta bulle en dit long : “Sexisme ordinaire, violences et harcèlement.” Et la page tient ses promesses… elle regorge de témoignages de type :
“Je trouve qu’il y a parfois une sorte de tendresse digne de celle qu’on a pour un enfant qui nous refile un collier de nouilles, quand une fille sort une BD. Du genre, la critique sortira des adjectifs style “piquants, frivoles” et trouvera ça bien joli joli, c’est bien brave petite. Même si c’est de la grosse daube.
On m’a déjà déjà dit que je n’avais pas la “tête de mes dessins”, que ce n’était pas possible parce que “je ressemblais à une enfant”. Sinon un auteur à qui j’ai fait des dessins m’a dit : “C’est un bien beau travail, tu peux retourner jouer à la marelle.” J’aurais été un jeune homme, je ne pense pas qu’il m’aurait dit de retourner jouer au foot. Et moi, je ne lui ai pas dit de retourner à sa pétanque.”
Au-delà des remarques sexistes malheureusement “classiques” qu’une femme peut subir dans n’importe quel milieu professionnel, ce qui dérange également ces créatrices est la dénomination de “bande dessinée féminine”. Ces témoignages laissent transparaitre un réel besoin de ne pas considérer la BD féminine comme un genre littéraire en soi. Arguant qu’il n’existe pas de nouvelle “féminine”, de conte “féminin” ou de roman “féminin”, elle refusent catégoriquement l’appellation, souvent imposée par les éditeurs ou les vendeurs à des fins commerciales, de “BD féminine”, d’autant plus qu’on ne dira jamais “BD masculine”.
“Tu ferais mieux de faire des gosses”
Voilà ce que s’est entendu dire une jeune femme lorsqu’elle a annoncé à un célèbre auteur vouloir se lancer dans l’édito. Une autre témoigne : “Je ne compte plus les discussions d’auteurs qui commencent jovialement, sympathiquement, et qui se terminent brusquement dès lors qu’ils comprennent qu’ils ne me baiseront pas.”
Au-delà des remarques ouvertement sexistes, les préjugés et comportements très maladroits se font nombreux. À l’instar d’une jeune auteure qui raconte, toujours sur le site de BD égalité, avoir été totalement transparente lors d’une soirée mondaine aux côtés de son coscénariste, alors que tout le mérite lui revenait :
“Putain, tu dessines bien pour une fille !”
Et Mozart, quelqu’un lui a dit “Putain, tu composes bien pour un mec !” ? Et De Gaulle, est-ce que quelqu’un l’a félicité pour le travail accompli malgré le handicap-testostérone ?
Du coup, comment réagir pour faire bouger les choses ? Ne pas relever ? S’insurger ? Insulter ? Florence Dupré la Tour, célèbre dessinatrice de BD qui a sorti l’année dernière Cruelle aux éditions Dargaud, a un point de vue sur la question : “Il me semble, après les avoir pratiquées, que la plainte ou l’accusation sont improductives. Je ne crois finalement qu’à la valeur de l’exemple.”
En bonus, juste pour le plaisir :
“Mon éditeur a trouvé très marrant que je commande un croque-madame pour le repas (ben ouais, quand t’es lesbienne, c’est tellement drôle…”
“Bon, au moins t’es pas moche, on pourra faire des photos pour la promo.”
“Tu devrais signer avec ton nom complet, car uniquement ton prénom ça fait pute.”
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