Concernant le scénario d’un impact significatif d’astéroïde sur la Terre, la question n’est pas tant de savoir “si”, mais “quand” : voilà, en substance, ce qu’a affirmé Jim Bridenstine, patron de la Nasa, lors d’une intervention en ouverture de la Planetary Defense Conference (PDC) le 29 avril diffusée via Twitter. “Nous devons faire comprendre aux gens que ce n’est pas Hollywood”, a rappelé Bridenstine au sujet du rassemblement, qui comporte entre autres un exercice d’anticipation d’impact afin de vérifier la capacité de réaction de la communauté internationale. “Notre but final est de protéger la seule planète capable, à notre connaissance, d’héberger la vie.”
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Selon lui, la menace d’une collision d’astéroïde catastrophique pour notre existence est trop souvent écartée “dans un gloussement”, la faute à une série de films catastrophe des années 1990 et 2000 (c’est toi que je regarde, Michael Bay) qui auraient totalement désensibilisé le grand public à la réalité d’une telle menace.
Bridenstine l’affirme, il n’y a pas du tout de quoi rire, et vous feriez même mieux de vous habituer à la perspective d’une collision significative — mais pas fatale — d’ici la fin de votre existence. “Ces évènements ne sont pas rares ; ils se produisent”, a-t-il asséné devant un parterre de chercheurs justement réunis pour s’entraîner à répondre à une telle éventualité. (Si vous voyez fleurir des infos sur la variante “Un astéroïde va heurter la Terre très bientôt”, schémas à l’appui, ne paniquez pas : c’est un simple exercice, et c’est même écrit en rouge sur lesdits documents.)
De Toungouska à Tcheliabinsk
À vrai dire, pour imaginer le genre de dégâts qu’occasionnerait une collision “significative” d’un astéroïde avec la Terre, pas besoin de se fader à nouveau Deep Impact : le 15 février 2013, un météore d’environ 20 mètres de diamètre et d’un poids de 10 000 tonnes entrait dans l’atmosphère à près de 19 kilomètres par seconde et explosait quelque part entre 20 et 40 kilomètres au-dessus de la ville russe de Tcheliabinsk, libérant une énergie équivalente à 30 fois la bombe d’Hiroshima. Les ondes de choc libérées par le superbolide (oui, ça se dit) brisent les fenêtres et ébranlent près de 3 000 bâtiments sur une zone de 90 kilomètres à la ronde. On dénombrera 1 000 blessés légers.
Si l’événement de Tcheliabinsk a marqué les esprits, notamment car le météore a été filmé par plusieurs habitants de la région, il fait pourtant figure de détail comparé à l’autre grande collision d’astéroïde de l’histoire moderne : l’événement de Toungouska, survenu le 30 juin 1908. Au petit matin, en plein milieu d’un territoire désertique de Sibérie, quelques témoins décrivent une boule de feu dans un ciel sans nuages. Quelques minutes plus tard, une explosion indescriptible retentit. À 1 000 kilomètres de là, l’observatoire d’Irkoutsk enregistre un séisme de magnitude 4,5 à 5.
Sur place, l’explosion aplatit instantanément 20 kilomètres de forêt, soit 60 millions d’arbres ; l’onde de choc est ressentie jusqu’en Europe de l’Ouest et aux États-Unis. Si les théories les plus farfelues circulent encore au sujet de l’origine de l’événement, la plus probable est celle d’un météore, dont l’explosion aurait libéré une énergie équivalente à plusieurs centaines de bombes H. En cent ans, deux météores d’ampleur ont donc explosé dans l’atmosphère terrestre. Sans occasionner de victimes. Statistiquement, ça fait beaucoup, même si tout aussi statistiquement, un météore a peu de chances de tomber sur une zone habitée, puisque la moitié de l’humanité se concentre sur 1 % du territoire…
Aucun risque, mais une détection insuffisante
Étonnamment, les prédictions alarmistes du patron de la Nasa ne correspondent pas aux observations… menées par sa propre agence. Sur son site, relève Numerama, l’agence indique en effet qu’elle “ne connaît aucun astéroïde ou aucune comète dont la trajectoire l’amène actuellement vers une collision avec la Terre”.
Depuis près de 20 ans, la Nasa est chargée par le Congrès américain de détecter, d’ici 2020, 90 % des objets géocroiseurs de moins de 140 mètres de diamètre qui s’approcheraient à 50 millions de kilomètres de notre planète. En 2014, l’agence avouait son impuissance dans un rapport, reconnaissant un taux de détection d’à peine 10 % pour cette catégorie particulière de corps orbitaux, alors que la grande majorité des astéroïdes de plus d’un kilomètre de diamètre, capables d’annihiler toute vie sur Terre, étaient eux largement identifiés (pour info, sachez avant d’aller dormir qu’il y en a 897).
La situation s’est néanmoins améliorée ces dernières années grâce à de nouvelles techniques de balayage et des exercices grandeur nature. En 2017, notamment, la Nasa profitait du passage de l’astéroïde 2012 TC4 pour tester un prototype de système de détection basé sur un réseau de télescopes au sol, l’International Asteroids Detection Network. Le système avait alors parfaitement fonctionné. À l’heure actuelle, les différents outils d’étude des astéroïdes recensent 8 500 objets de moins de 140 m de diamètre, selon les chiffres de la Nasa. L’agence maintient en outre une base de données complète sur les potentielles menaces, si ça vous dit.
SpaceX à la rescousse ?
En attendant de perfectionner leurs techniques de détection et d’identification, les différentes agences spatiales se préparent déjà au scénario d’une collision potentielle. C’est tout l’objet de la Planetary Defense Conference de ce 29 avril, sixième exercice d’impact international, qui réunit pendant cinq jours la Nasa, le Bureau de coordination de défense planétaire, mais aussi l’agence spatiale européenne (Esa) : s’entraîner, prévoir, tester sa capacité de réponse opérationnelle. Si vous êtes curieux (et que vous voulez alimenter votre paranoïa latente), vous pouvez toujours vous pencher sur les rapports des années précédentes.
Le scénario ? Le 26 mars, des chercheurs découvrent un astéroïde géocroiseur, PDC 2019, dont l’orbite est potentiellement dangereuse (une chance sur 50 000) pour la Terre d’ici 2027. Après un mois de suivi, la probabilité de collision est d’1 %, limite qui déclenche la coopération internationale. PDC 2019 mesure entre 100 et 300 mètres de long — soit la taille d’un gratte-ciel. Suffisant pour raser n’importe quelle mégalopole mondiale. Les premières simulations d’impact, qui déterminent un “couloir de risque”, identifient les États-Unis et l’Afrique de l’Ouest. À partir de là, c’est à la communauté internationale de décider quoi faire pour nous éviter le désastre. Et vous pourrez suivre leurs réunions de crise en direct sur Twitter.
Des réunions, des plans, des hypothèses de travail… Et c’est tout. À l’heure actuelle, aucune agence ne dispose officiellement de programme de déviation ou de destruction d’astéroïde géocroiseur, même si la Nasa y travaille en enrôlant d’autres partenaires. Début avril, l’agence américaine a annoncé qu’elle financerait SpaceX à hauteur de 69 millions de dollars pour la mission Double Asteroid Redirection Test (DART). D’ici 2022, l’entreprise d’Elon Musk devrait foncer sur “Didymoon”, un astéroïde de 165 mètres de diamètre en orbite autour de l’astéroïde Didymos (qui se trouverait alors à peine à 11 millions de kilomètres de chez nous), et lui envoyer l’équivalent d’une auto-tamponneuse spatiale pour le dévier de sa course. Ne riez pas : pour l’instant, c’est à peu près tout ce que nous avons sous la main.