Non, M. Macron, tout le monde ne veut pas vivre dans une “start-up nation”

Non, M. Macron, tout le monde ne veut pas vivre dans une “start-up nation”

Sous le pseudonyme de Pierre-Frantz Mulette, un jeune ex-conseiller de François Hollande durant son mandat de président de la République livre sa vision de la semaine passée, à l’ère Macron.

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Vous ne le savez sans doute pas, mais cette semaine marque votre entrée dans un monde nouveau. La République française n’est plus, elle est devenue la start-up nation. Eh ouais Morray. L’Assemblée nationale est désormais remplie d’une majorité de députés du mouvement En Marche !, qui est LA start-up de la politique. Fondée dans un garage (enfin, au ministère de l’Économie) par un jeune parti de rien (enfin, un ancien conseiller du président de la République), démarrant dans l’indifférence générale (enfin, avec le soutien de Paris Match), la start-up En Marche ! a disrupté la politique française, balayant les vieux partis politiques tel un Amazon inarrêtable s’acharnant à grands coups de pieds sur la Fnac, Darty, les 3 Suisses et La Redoute réunis.

Mais ce n’est pas tout. Vendredi dernier, invité d’honneur de Vivatech (en gros, le salon de l’agriculture version technologies du futur, avec des robots à la place des vaches, mais sans Jacques Chirac pour leur tapoter le derrière), notre nouveau président a réaffirmé sa vision bien à lui de notre identité nationale : “I want France to be a “start-up Nation” […] a nation that thinks and moves like a start-up“.

En moins de temps qu’il n’en faut pour dire “RÉFÉRENDUM CONSTITUTIONNEL”, Emmanuel Macron a donc fait pivoter la République en mode start-up. Bon, il a peut-être dit ça because devant une salle d’entrepreneurs, comme il aurait déclamé : Je veux que la France ait le goût et l’odeur d’un camembert devant une réunion de fromagers, ou Je veux que la France ait la grandeur d’une perche à selfie devant un rassemblement d’instragrameurs. Allez savoir. Mais moi, j’ai la mauvaise habitude de prendre au sérieux ce que les gens disent, surtout quand ils sont présidents de la République. D’autant que ce n’est pas la première fois qu’il le dit. Et c’est quand même bizarre, de faire de la start-up le modèle de notre pays.

Une vieille dame comme la France, vous vous imaginez essayer de la déguiser en kid à baskets et sweat-shirt à capuche, jouant au baby-foot dans un coworking entre deux pitchs à des investisseurs ? Il me semble qu’on a depuis longtemps dépassé le stade de la création d’entreprise, pour filer la métaphore macronienne (dépôt initial de capital par un certain Clovis, il y a environ 1 500 ans). Et que cette ancienneté de la France, comme les employés dont elle a charge (vous, moi et les 60 et quelques millions d’autres), lui donnent un peu de plus de responsabilités qu’un business de 4 personnes lancé avec un financement participatif sur Ulule ou Kickstarter.

Penser et bouger comme une start-up“, nous intime la parole présidentielle. Je ne sais pas vous, mais moi, la direction de la France, je ne l’imagine pas en mode essai et erreur, en prenant les risques maximums pour faire le plus vite possible le plus de profits. Personnellement, quand je paie mes impôts à l’État, je ne me sens pas dans la peau d’un “capital-risqueur” misant comme au poker, dans l’espoir que la start-up France fera des bénéfices colossaux dont je toucherai les dividendes, et tant pis si ça plante, je réinvestirai ailleurs plus tard. Je n’aimerais pas non plus apprendre que la start-up France a mis la clé sous la porte, et voir ensuite son CEO, Emmanuel Macron, aller dans une “Fail Conference” expliquer comment il s’est trompé, mais comment il est plus fort encore maintenant GRÂCE À CELA.

Les comparaisons en disent toujours long sur l’état d’esprit de ceux qui les font. Notre président aurait pu dire je veux que la France soit une nation Wikipédia. Un modèle collaboratif, qui fait progresser le savoir de l’Humanité, librement accessible à tous, fonctionnant de manière assez démocratique – et non dans l’espoir d’enrichir monstrueusement ses quelques créateurs. Un modèle qui a quand même tellement bien réussi qu’il est aujourd’hui la première source de connaissance pour tous les Terriens qui ont accès à Internet. Pas mal comme objectif national, non ?

Mais non, pour la France de 2017 à 2022, ce sera le modèle STARTEUPE qui prévaudra. Il faudra quand même s’interroger un jour sur cette fascination – à sens unique – des politiciens pour l’entreprise. Vous remarquerez qu’on n’entendra jamais un patron déclamer je veux que mon groupe devienne une entreprise-mairie et pourtant, au quotidien, un bon maire fait à la fois office de PDG de la voirie, PDG des écoles, PDG de la police, etc., affrontant une diversité sans égale de problèmes complexes. L’entreprise n’est pas une valeur en soi, il y en a de bonnes et de mauvaises ; peut-être que des start-up régleront demain la faim dans le monde, comme dans les vidéos TEDx, mais actuellement, celles qui pèsent dans le game ont eu l’idée renversante de mettre un pouce bleu, ou des filtres vintage, sur les photos de soirée de vos amis. Peut-être un peu léger, comme modèle, pour la patrie des Lumières ?

En attendant, le CEO de la start-up France peut se prévaloir d’un premier gain de productivité : dimanche dernier, il a suffi de moins d’un électeur sur deux pour élire nos députés. On n’arrête décidément pas le progrès.