L’argent est en train de bouter les artistes hors de Londres

L’argent est en train de bouter les artistes hors de Londres

À cause des promoteurs immobiliers, des investisseurs et des coupes dans les budgets, la nouvelle génération d’artistes londoniens risque bien de devoir quitter la ville. Que peut-on faire pour éviter le pire ? 

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Même une institution comme l’art londonien n’est pas à l’abri d’être menacée d’extinction. Avec l’embourgeoisement de leurs quartiers, les artistes risquent purement et simplement d’être éjectés de la capitale britannique. Ainsi, l’année dernière, la galerie The Fleming Collection, située dans le quartier de Mayfair, a dû fermer ses portes. Il faut dire que les loyers montent en flèche et que même d’anciennes galeries d’art de West End, prospères depuis le XVIIIe siècle, se voient contraintes de mettre la clé sous la porte.

Être un artiste à Londres devient de plus en plus difficile. La ville, qui a toujours été considérée comme une plaque centrale de la création et de l’innovation, est à présent laissée aux mains des agents immobiliers et des investisseurs. Si l’on ajoute à cela les compressions budgétaires, il finira par ne pas rester d’autre solution à la nouvelle génération d’artistes que de tout simplement quitter la ville.

Tout cela n’est pas neuf, c’est vrai. Mais il semblerait que nous nous trouvions à un point charnière de la crise, comme l’a expliqué Nicholas Serota, directeur des musées et des galeries Tate, lors d’une conférence de la Fédération des industries créatives à la Tate Britain cette semaine:

“Durant ces vingt dernières années, Londres a été considérée comme l’un des hauts lieux de la création. Ce statut est aujourd’hui menacé.

Il y a cinquante ou soixante ans de cela, il était possible pour un jeune artiste britannique de vivre et de travailler à Notting Hill ou à Camden Town. Frank Auerbach, Lucian Freud, Bridget Riley, David Hockney, tous vivaient au cœur de la ville.

Et même il y a vingt ans, les jeunes artistes pouvaient s’installer en ville, se former, ouvrir un atelier et ensuite remporter le prix Turner comme l’on fait les artistes allemands Wolfgang Tillmans et Tomma Abts. Mais aujourd’hui, tout cela n’est plus possible.

De jeunes artistes qui pensaient venir ici y renoncent, tout simplement parce que Londres est devenue trop chère. Et ça, ça doit nous faire réfléchir.”

Si cette situation a des conséquence symboliques, elle débouche également sur une détresse bien plus tangible, de graves problèmes financiers et l’explosion de communautés qui se voient forcées de partir.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

Malheureusement, pour 99 % de la population, Londres est aujourd’hui dirigée par l’économie. C’est ce que souligne le critique spécialisé en architecture Rowan Moore. Si c’est une excellente chose pour les investisseurs, cela représente une catastrophe pour les artistes. Et au bout du compte, ce sont évidemment les moins nantis qui paient les pots cassés.

Des quartiers artistiques autrefois en plein essor comme Hackney, Peckham, Dalston ou New Cross se sont embourgeoisés et sont aujourd’hui envahis par des épiceries fines, de luxueuses agences immobilières et des pubs gastronomiques.

Les artistes, les créateurs et les designers finissent par n’avoir d’autre choix que s’en aller. Beaucoup vont alors dans les villes de Margate, Glasgow ou encore Bristol. D’autres quittent carrément le pays et s’envolent pour Berlin, Amsterdam ou Detroit en quête d’une vie meilleure. Et pour ceux qui restent, les choses ne vont guère mieux. On compte ainsi environ 600 ateliers d’artistes à Hackney et on estime qu’environ 35 % d’entre eux seront menacés dans les dix années à venir car, ici, tout ce qui ne rapporte pas est appelé à disparaître.

En revanche, pour les quelques rares artistes qui ont la chance d’être fortunés, les opportunités sont florissantes. Ils se voient ainsi proposer de somptueux espaces d’exposition, comme la Delfina Foundation ou l’espace hors les murs du Victoria & Albert Museum au Parc olympique de Londres. Mais les artistes au compte en banque bien fourni ne sont qu’une petite poignée, ne l’oublions pas.

Le gouvernement britannique semble échouer à envisager l’avenir de la ville et n’a pas l’air de trouver utile de subventionner les initiatives destinées à rendre les ateliers d’artistes plus abordables. Ainsi, en novembre 2015, le conseil du quartier de Southwark a rejeté les plans proposés par le collectif artistique Bold Tendencies visant à transformer un parking en 800 ateliers au loyer abordable. L’affaire n’était sans doute pas assez rentable.

Il est vrai que les élus du Parti conservateur passent leur temps à couper dans les budgets municipaux, ce qui n’aide évidemment pas à promouvoir l’art et la création. Si l’on peut comprendre certains mécanismes, le résultat reste dommageable et on pourrait se demander si la capitale n’est pas en train de faire passer systématique l’art après son capital.

Qu’est-ce qu’on peut faire?

Aujourd’hui, celui qui incarne le mieux l’espoir d’un renouveau artistique à Londres se nomme Sadiq Khan. Candidat du Parti travailliste à la mairie, il a affirmé lors de cette conférence au Tate vouloir soutenir l’industrie artistique de Londres s’il était élu. Son projet prévoit de construire des zones dédiées aux artistes dans lesquelles ceux-ci pourraient trouver des espaces accessibles et bénéficier de subventions.

Désireux de laisser toute sa “souveraineté culturelle” à Londres, le candidat du Parti travailliste et député de la circonscription de Tooting a ainsi expliqué à l’auditoire :

“Il est à présent temps d’investir pour l’art et la culture dans notre ville. L’argent public, de plus en plus rare en ces temps difficiles, ne suffira pas. [Nous devons] sensibiliser les résidents les plus nantis de la ville afin d’augmenter les dons et dynamiser le domaine artistique et culturel.

Nous sommes ici, à la Tate Galerie, construite par Sir Henry Tate. Un industriel, un homme de ces générations victoriennes qui ont largement contribué au développement de la culture, des arts et de l’enseignement grâce à de généreuses donations.”

Le projet du candidat semble très prometteur et sa volonté de protéger le capital artistique de Londres a l’air sincère. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il ait été entendu…

Peut-être, n’est-il pas trop tard ? Et si nous décidions rendre à César ce qui appartient à César, et aux artistes londoniens… leur ville ?

Traduit de l’anglais par Erika Lombart

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