Pris à tort par de nombreux journaux comme une “interdiction” de consulter ses mails pro le week-end, le “droit à la déconnexion” inscrit dans la Loi El Khomri fait couler beaucoup d’encre aux États-Unis et au Royaume-Uni.
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Lauren Collins est journaliste au New Yorker. Observatrice des coutumes des pays européens et donc de notre pays la France, elle s’est intéressée à la loi El Khomri, sujet de désaccord aujourd’hui entre le gouvernement et une grande partie de l’opinion – d’après un sondage paru fin mars, 71 % des citoyens seraient contre. Mais ce qui l’intéresse plus encore, c’est l’article 25 du texte qui inscrit pour la première fois dans la loi le principe de “droit à la déconnexion”.
Ça l’inspire, même. Dans un article qui bat en brèche l’image du Français paresseux et anti-productif (c’est assez rare pour qu’on la remercie, et c’est faux par ailleurs), Lauren Collins explique que les Français ne tiennent pas à être dépendants de l’usage professionnel du smartphone, et que c’est tant mieux : “Il y a un aspect métaphysique attirant dans la reconnaissance que tout – nos outils et par extension nous-mêmes – ne peut pas toujours être sur ‘on’ […] Le droit à la déconnexion est en réalité le droit à être oublié entre six heures du soir et neuf heures du matin”, écrit-elle.
Or, qu’est-il prévu exactement dans ce fameux article 25 ? Que lors de la négociation annuelle dans les entreprises d’au moins 50 salariés, employés et patron devront obligatoirement se mettre d’accord sur “l’utilisation des outils numériques en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congés”.
Le dialogue est privilégié afin de s’adapter aux différentes sociétés et à leurs besoins, et les deux parties doivent donc s’accorder. Ainsi, concrètement, les solutions iront du blocage des e-mails pendant certaines plages horaires aux simples engagements mutuels entre salariés et supérieurs hiérarchiques, comme l’explique Next Inpact. Mais en aucun cas la République ne s’apprête à passer une loi rendant illégal tout e-mail professionnel envoyé après 18 heures.
“Une réponse française à quelque chose contre lequel nous luttons tous”
D’ailleurs, à défaut d’accord, le texte précise que c’est l’employeur (et l’employeur seulement) qui définit les modalités du droit à la déconnexion. Or, malgré tout, c’est l’une des rares mesures à faire consensus entre syndicats et gouvernement, chacun y voyant un avantage. De son point de vue de citoyenne américaine, Lauren Collins y voit carrément une loi en avance sur son temps :
“Une étude récente sur les salariés américains révèle que 67 % d’entre eux sont victimes de ‘vibrations fantômes’ anxieux que quelqu’un tente de les contacter, alors même qu’ils ne sont pas dans leurs heures de travail. Le droit à la déconnexion, on le voit, n’est pas un problème français, mais une réponse française à quelque chose contre lequel nous luttons tous.”
Or tous les médias anglais et américains ne sont pas aussi bienveillants face à cette mesure et certains sont même plutôt circonspects. Pour commencer, la plupart des journalistes anglo-saxons expliquent à leurs lecteurs que lire ses e-mails pro le weekend deviendra bientôt “illégal” – ce qui est un peu trop simple. Ainsi en est-il du New York Mag, qui voudrait bien que le gouvernement américain s’empare d’une telle idée.
Le Washington Post, lui, pèse le pour et le contre. Interrogé par le quotidien, Jon Whittle, chercheur britannique qui étudie l’impact de la technologie digitale sur l’équilibre de la vie professionnelle, prétend que cette loi ne va encore pas assez loin… voire, pourrait produire l’effet inverse : d’après lui, certains employés pourraient se sentir encore plus stressés à l’idée d’être submergés de mails une fois de retour au bureau.
“Une balle dans le pied”
Puis le journal cite un codeur informatique, initialement interrogé par la BBC, qui raconte qu’avec le rythme de travail tardif que lui impose son emploi, une telle loi serait comme “se tirer une balle dans le pied”. Selon ce Français, cette nouvelle règle sera “complètement inapplicable”.
En fait, c’est de l’autre côté de la Manche qu’on perçoit une pointe d’hostilité envers cette mesure, accusée d’ajouter à la paresse proverbiale des froggies. Ainsi le 24 mai, le Daily Mail écrit que “la France va même prochainement voter une loi qui interdira aux employés de consulter leurs mails professionnels les soirs et week-end”, diantre.
Dans un autre article, le tabloïd britannique établit une connexion troublante entre cette mesure et la semaine de 35 heures, comme pour faire remarquer que, quand même, les Français n’en rament pas une, c’est bien connu.