Médiateurs de l’ombre, les attachés de presse du cinéma font le lien entre les films, leurs équipes et les journalistes. Un exemple simple : si vous pouvez regarder et lire nos interviews, c’est souvent parce qu’un attaché de presse, assurant la promotion d’un film, nous a invités à le découvrir en projection presse avant sa sortie et nous a permis d’obtenir une interview selon notre souhait.
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Interlocuteurs privilégiés du plan de communication d’un film situés au milieu de tout ce beau monde, les attachés de presse jonglent avec les directives des producteurs, les attentes des distributeurs, les caprices des acteurs, les ego des journalistes et les plannings millimétrés de chacun, avec une énergie insoupçonnée.
Ils exerçaient depuis des années ce métier par passion mais depuis plus de deux mois la profession est (presque) à l’arrêt. L’épidémie du coronavirus a interrompu les sorties de films, fermé les salles de cinéma, coulé le box-office et annulé de nombreux festivals, dont Cannes, pendant lequel les attachés de presse indépendants font souvent le gros de leur chiffre d’affaires annuel.
“Notre métier va devoir changer. Ça fait un peu peur mais il va falloir s’adapter”
Ophélie Surelle, attachée de presse indépendante depuis quatre ans, s’est mise à son compte parce qu’elle avait besoin d’autonomie et de prendre des initiatives. Elle déplore cette situation critique pendant laquelle elle a vu ses projets se réduire comme une peau de chagrin :
“Je suis dans une situation où je travaille à mon compte, donc je travaille tout le temps pour avoir des rentrées d’argent régulières. Avant le Covid, je travaillais beaucoup, donc j’ai pu profiter de cette période pour lever le pied mais j’ai aussi perdu six projets, dont le festival de Cannes, pendant lequel j’avais l’opportunité d’accompagner des compositeurs de musique pour la SACEM ou de promouvoir la réalité virtuelle avec Cannes XR pendant le Marché du Film.
Juste après, j’avais aussi le festival d’Annecy, qui se déroulera en ligne… mais sans moi. Tout au long de l’année, j’ai donc une dizaine de projets mais le cœur de mon activité se concentre sur les mois d’avril, mai, juin voire juillet. C’est une période pendant laquelle je réalise 60 % de mon chiffre d’affaires”.
Face à cette situation inédite, entre perte de revenus sèche et effective et projets avortés, émergent des alternatives virtuelles, comme le festival d’Annecy qui se déroulera exceptionnellement en ligne cette année. On murmure aussi le regroupement des Festival de Cannes, de Berlin, de Venise et de Toronto sous la bannière We Are One : A Global Film Festival, une manifestation gratuite sur Youtube qui se déroulera du 29 mai au 7 juin.
Ces événements numériques permettent donc de faire vivre un écosystème d’un point de vue économique, mais rien ne remplacera la dimension humaine et l’expérience collective des salles de cinéma, et du métier de “RP”.
Celia Mahistre, attachée de presse depuis 10 ans, s’est mise à son compte l’été dernier et comptait sur les festivals pour faire des rencontres professionnelles et se positionner dans l’industrie. L’annulation du Festival de Cannes en physique n’est pas qu’un coup dur pour son travail, c’est aussi une source de questions sans réponses :
“J’aurais préféré un festival physique, mais je comprends que ce ne soit pas possible. Un festival numérique, ça me fait un peu peur, même si c’est un challenge. J’appréhende un peu comment va se faire la stratégie autour. Comment va-t-on pouvoir faire les interviews et toute la logistique ? Comment faire exister un film quand il ne sera disponible qu’avec un lien ? C’est une stratégie à aborder avec tous les distributeurs, avec les producteurs et les réalisateurs. Je pense que notre métier va devoir changer. Ça fait un peu peur, mais il va falloir s’adapter car il ne faut surtout pas que ça s’arrête.”
Pour Catherine Giraud, attachée de presse depuis 15 ans notamment pour la Quinzaine des réalisateurs, une section parallèle du Festival de Cannes, ces alternatives virtuelles ont leurs limites :
“En tant qu’attachée de presse, je peux reconnaître que le festival en ligne est pratique car il est ouvert à tous mais si je me place en tant que réalisateur, c’est terrible. On peut prendre l’exemple d’un documentaire qu’un cinéaste a passé dix ans à réaliser : ne pas pouvoir présenter son film en public et ne pas assister à ça, c’est très frustrant. Ça peut donc être une voie à explorer mais ça ne remplacera jamais une salle et une rencontre de celui qui l’a fait avec son public.”
CLAP, symbole de solidarité professionnelle
Pour répondre à ces questions et faire perdurer ce métier, avant tout humain, Laurence Granec, attachée de presse depuis 30 ans, a fondé l’association CLAP (Cercle libre des attachés de presse cinéma) à la mi-mars 2020. Grâce à ce rassemblement solidaire qui ne concerne que les petites entreprises et les indépendants, les attachés de presse espèrent être aidés financièrement pour traverser cette crise et donner plus de visibilité à une profession déjà précaire.
Ces dernières semaines, la présidente de CLAP Laurence Granec et ses collaboratrices Viviana Andriani (la trésorière) et Chloé Lorenzi (la secrétaire générale) ont écrit des lettres au CNC pour s’enquérir des aides dont ils pourront bénéficier tout en illustrant la diversité et la complexité de leur statut, en remplissant de nombreux questionnaires.
Certains attachés de presse sont rattachés à des structures, certains travaillent dans des agences, d’autres sont indépendants ou travaillent sous contrat pour des festivals… Si les uns peuvent prétendre à l’aide de fonds de solidarité auprès de l’État, tous n’ont pas pu être soulagés par ces 1 500 euros d’aide.
Ophélie Surelle, qui vient d’adhérer à l’association, pointe les contradictions de l’État qui “valorise l’indépendance mais qui ne suit pas les ambitions de chacun.” Si les membres de cette profession ne sont pas tous égaux face à cette situation, cette crise a entraîné un élan de solidarité, ce qui n’était pas une évidence selon Catherine Giraud également membre de CLAP :
“C’est un métier très concurrentiel donc jusqu’à il y a peu, cela n’allait pas de soi qu’on se rassemble. Il a fallu cette crise pour qu’on se rassemble et comme nous n’avons jamais été un syndicat, nous n’avions pas le droit à cette voix. Pourtant, nous avons tous des idées très précises sur ce que pourrait devenir le cinéma à court, moyen et long terme.”
Depuis son lancement cette initiative collective a fait couler beaucoup d’encre et a entraîné une mobilisation dans l’industrie du cinéma. En agissant en groupe, les attachés de presse gagnent en visibilité, et c’est ce qui fera avancer les choses. Pour Celia Mahistre, cette structuration permettra avant tout aux attachés de presse de se protéger :
“Même si c’est un métier fragile, c’est un métier important. Nous sommes déjà soutenus par les distributeurs et les producteurs qui savent que sans nous, la sortie d’un film est compliquée. Cette association, c’est une reconnaissance de mon métier, que je fais depuis 10 ans. “
Avec ce rassemblement inédit, Ophélie Surelle voit aussi l’occasion d’échanger avec ses pairs dont elle se trouvait parfois isolée en tant qu’indépendante, afin “d’aborder des questions administratives, juridiques et économiques.” pour mieux anticiper l’avenir.
“On ne vend pas la culture comme on vend du yaourt”
De son côté, Murielle Monclair a fondé Cartel en 2008 après avoir passé une dizaine d’années chez Fox. Cette agence de communication RP, event, digital et social media dont le cinéma occupe une grande part de leur activité fonctionne avec une vingtaine de collaborateurs. Ces attachés de presse sont donc trop nombreux pour adhérer à CLAP, mais ils soutiennent de loin cette association.
D’un point de vue financier, si les agences et les attachés de presse indépendants ne sont pas dans la même situation critique, Murielle Monclair décèle également un manque de reconnaissance de la profession :
“Nous avons un gros volet digital dans notre activité, donc nous sommes encore moins reconnus. Nous ne faisons pas partie du processus de création des films ce qui fait qu’il y a une certaine logique à ce qu’on ne soit pas sujets à l’aide à la création car on arrive dans la phase de promotion du film. Nous n’avons pas non plus d’interlocuteur centralisé qui nous lie directement au ministère de la Culture.
J’ai l’impression qu’aux yeux des institutions, on fait partie d’une grosse masse d’agences de communication, quel que soit le secteur d’activité dans lequel on évolue. Alors qu’en réalité, on ne vend pas la culture comme on vend du yaourt. Le cinéma, c’est vraiment un sujet particulier. CLAP est donc une très bonne initiative. Il faut qu’il y ait une voix commune et un organisme commun pour que l’on soit reconnu. À terme, je pense qu’on a tous intérêt à se réunir car nous allons avoir la même problématique.”
Objectif : un retour imminent dans les salles de cinéma
Si les attachés de presse sont aujourd’hui privés de travail et vivent au jour le jour, certains parviennent à sortir leur film directement en VOD. Parmi eux ? Celia Mahistre, qui explique que cette stratégie a surtout anéanti des mois de labeur :
“Je travaillais depuis le mois de janvier sur L’oiseau de Paradis, un film qui devait sortir en salle le 15 avril. À cause du manque de visibilité lié au coronavirus, le film a été repoussé sans cesse à des dates différentes. Il a finalement été décidé que le film sortirait le 24 mai en VOD sur les plateformes. Et à cause de ces changements de dates successifs, je n’ai pas pu avoir autant de mensuels et les hebdos que j’aurais voulus. Le film n’a donc pas pu bénéficier de la visibilité que j’aurais souhaitée”.
L’objectif est clair pour Murielle Monclair, qui a stoppé brutalement son travail de promotion sur le Mulan en live action de Disney : il faut que le public retourne aux cinémas et que les salles rouvrent – une décision désormais actée depuis le jeudi 28 mai pour le 22 juin prochain.
Pour l’instant, la fondatrice compose avec les dates de sorties communiquées sans être officielles, afin de pouvoir se positionner et anticiper :
“Nous nous préparons à donner envie aux gens d’aller au cinéma. Mais nous allons devoir faire face à plusieurs typologies de films et différents publics. Je pense que nous n’avons pas encore assez de recul là-dessus. J’espère qu’il y aura des réflexions qui seront menées à ce propos en France.
Nous sommes d’ailleurs en train de contacter l’ensemble des acteurs de la communication cinéma pour initier une prise de parole commune afin que nos métiers, nos sociétés mais surtout nos difficultés face à la crise soient reconnus officiellement.”
Alexis Rubinowicz, attaché de presse chez Paramount, a également dû interrompre la sortie de Sans un Bruit 2 quelques jours avant le confinement. Avec ses équipes, il travaille actuellement sur la remise en route du film :
“On est en train de remettre Sans un bruit 2 sur des rails pour le 9 septembre, la nouvelle date de sortie prévue en salles. Maintenant, je ne sais pas ce qu’il se passera : est-ce qu’il y aura un junket [organisation d’interviews physiques pour les journalistes, ndlr] ? Est-ce que nous ferons un “Zoomket” [junket virtuel sur l’application Zoom, selon une expression empruntée à Didier Allouch, ndlr] pour la sortie européenne ? Est-ce que nous ferons des interviews par téléphone pour les mensuels ? On verra. En tout cas, on est à fond pour relancer le cinéma et redonner envie aux gens d’y aller”.
Et de préciser :
“Je pense que tout le monde aura une certaine appréhension à retourner en salles. Nous avons peur de sortir, comme au moment des attentats, mais il va falloir réapprendre à vivre et y retourner. En tant qu’attaché de presse, j’espère que la profession va se remettre en route, sur ses deux jambes. Qu’on va tous pouvoir retravailler, communiquer sur de beaux projets et donner envie aux gens de venir se divertir.”
Selon les dernières déclarations d’Édouard Philippe ce jeudi 28 mai lors de la présentation de l’acte II du déconfinement, les cinémas rouvriront dès le 22 juin selon un encadrement très strict des mesures sanitaires – un moment qui sera décisif pour l’ensemble de l’industrie avec, en son cœur, les attachés de presse comme Ophélie Surelle, qui a “hâte de revenir à la réalité”.