Collier ne s’est pas rendu compte à quel point ce mot était chargé de significations. Il était fier de ce qu’il avait fait et il pensait que tous les Noirs ayant lu son article allaient dire : “que vous êtes brillant, sympathique et intelligent”.
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Pourtant, l’éditeur, pressentant le scandale à venir – il faut dire que l’usage du mot “nigger” est interdit à New York depuis 2007 – avait jugé bon de contrebalancer l’article avec juste en dessous, un autre papier intitulé “The Headline Offends Me”, soit “Le titre m’a offensé”, signé par un chroniqueur afro-américain, Alvin Hall.
George Capsis raconte ainsi comment sa rédaction a été divisée depuis le début. “Alvin a eu une réaction convulsive et immédiate par rapport au titre. Il a réagi avec fureur, et s’est précipité immédiatement pour écrire ce papier“. Et en effet, on peut lire dans son article :
Pour moi, le simple fait de voir le N-word dans un titre ou dans un article me fait froid dans le dos. Je ressens de l’indignation, un dégout et une colère viscérale. La décision de l’utiliser est malavisée selon moi. Je ne vois pas comment son utilisation peut être bénéfique à quelqu’un, et il me blesse profondément.
Ce contrepoint n’a visiblement pas suffi à apaiser les tensions. L’éditeur reconnaît que même une personne, aussi respectueuse qu’elle soit, ne peut utiliser ce terme si elle n’est pas noire. D’autres vont encore plus loin, comme le site Politicus Usa, qui écrit que c’est même donner une raison de plus aux racistes d’utiliser ce terme dégradant. Car oui, le président Obama a dû faire face à une opposition fondée sur sa couleur de peau depuis qu’il a été élu président. “Les républicains ont utilisé ses origines comme un outil politique pour diviser le pays“. Somme toute, il est important de le dénoncer, mais sans dépasser les limites.
Le mot “nigger” ne passe plus aux Etats-Unis
Il est intéressant de voir qu’en relayant l’information, les médias américains n’écrivent pas “nigger” tel quel, remplaçant tour à tour le terme par “N-word”, “Nig-r”, ou encore en floutant le mot en question dans les photos. S’ils utilisent de telles astuces, c’est bien parce que c’est un mot tabou pour des raisons – comme vous vous en doutez – historiques.
En effet, le terme “nigger”, tout comme ses homonymes français “nègre” et espagnol “negro”, naît au XVIème siècle pour qualifier les esclaves à la peau noire. Le terme se démocratise ainsi au XVIIIème siècle, en même temps que la traite des Noirs et le commerce triangulaire, et prend une connotation péjorative et extrêmement raciste.
Alors si le mot “nigga” est chose courante – alors qu’il se prononce pratiquement de la même manière – c’est bien parce que la signification et le siècle dans lequel il est apparu n’ont rien à voir avec ceux de “nigger”. Selon le Urban dictionary, la meilleure définition serait celle du célèbre rappeur Tupac disparu en 1996 :
NIGGER – un homme noir avec une chaîne de l’esclavage autour du cou.
NIGGA – un homme noir avec une chaîne en or autour du cou.
Mais la symbolique va beaucoup plus loin. En effet, en se réappropriant cette notion à la fin du XXème siècle alors que l’esclavage est aboli depuis 1865, “nigga” permet de montrer une part d’émancipation de la part des afro-américains et rappelle que le racisme n’a plus lieu d’être. D’abord repris par de nombreux rappeurs, le mot s’est petit à petit démocratisé si bien qu’aujourd’hui, “nigga” est utilisé simplement pour se dire bonjour, montrer qu’on est potes, qu’on est des “bro” ou qu’on fait partie d’un même crew.
Cependant, si le journaliste avait utilisé le terme “nigga”, la polémique aurait été certainement la même puisque, telle une revanche, le mot n’est pas toléré dans la bouche d’une personne blanche, sauf grande exception.
Preuve qu’on ne rigole pas aux États-Unis avec l’Histoire, lorsque le dernier Tarantino, Django Unchained est sorti l’année dernière, beaucoup d’Américains avaient reproché les nombreuses occurrences du mot “nigger” dans tout le film, considérant qu’il devait être banni, même si l’histoire se déroule à la fin du XIXème siècle. Il faut croire que si tout le monde s’insurge ainsi, c’est bien parce qu’aux États-Unis “le racisme a changé, mais il n’a pas pour autant disparu“.