La justice relaxe un prévenu qui avait refusé de débloquer son téléphone en garde à vue

La justice relaxe un prévenu qui avait refusé de débloquer son téléphone en garde à vue

La cour d'appel de Paris a tranché : un gardé à vue peut refuser de donner son code de déverrouillage sans risquer des poursuites.

Les forces de l’ordre peuvent-elles vous menacer de poursuites si vous refusez de leur fournir votre code de déverrouillage de téléphone portable lorsque vous êtes en garde à vue ? Depuis 2001 et la mise en application du premier texte de loi sur la question, renforcé le 3 juin 2016, la justice française fait des allers-retours.

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Le 10 janvier 2018, rappelle l’avocat Aurélien Bêche dans un post de blog, la Cour de cassation était la première à s’interroger sur la compatibilité de cette incrimination avec la présomption d’innocence et le droit à ne pas s’auto-incriminer, garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.

L’instance avait le nez creux, puisque le 17 avril 2018, on apprenait que le Conseil constitutionnel, contre l’avis du représentant du gouvernement, avait statué sur le fameux article 434-15-2 du Code pénal en le jugeant “conforme à la Constitution”, ce qui signifiait concrètement que, oui, la police pouvait bien vous poursuivre devant la justice si vous refusiez de lui transmettre votre code. Refuser, c’était s’exposer à 270 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement.

À l’époque, l’avocat du suspect (dans une affaire de trafic de drogue) avait tenté de faire valoir le droit à garder le silence, protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), sans succès. “Vous avez droit au silence, mais donnez-nous le code de votre téléphone”, déplorait alors un de ses confrères au Monde.

Une QPC avant la cour d’appel

Depuis, la justice a de nouveau fait volte-face. Le 11 juin, Le Parisien révèle que le 17 avril dernier, la cour d’appel de Paris, saisie dans une affaire de trafic de stupéfiants, a pris un arrêt qui va (partiellement) contre l’avis du Conseil constitutionnel.

Après avoir refusé de remettre aux autorités les codes des trois téléphones portables en sa possession lors de son interpellation, le prévenu avait été jugé une première fois en septembre 2018 pour “refus de remettre aux autorités judiciaires ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie”.

Son avocat, Me Karim Morand-Lahouazi, avait d’abord tenté de déposer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à laquelle s’était notamment jointe l’association La Quadrature du Net, qui n’avait pas tranché sur la question des codes de déverrouillage. C’est finalement la cour d’appel qui lui a donné raison en relaxant le prévenu, tout en confirmant la condamnation pour trafic de drogue.

Deux décisions importantes pour l’avenir

Au milieu de ce bras de fer judiciaire, c’est le statut du code PIN et des codes de déverrouillage qui fait débat. La formulation du texte de loi, trop vague, définit une ” convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie”. Le 17 avril, la cour d’appel de Paris a conclu deux choses importantes, comme l’explique Le Parisien.

La première, c’est qu’aucune autorité judiciaire n’a formulé de réquisition pour obtenir du prévenu le déverrouillage du téléphone, celui-ci ayant seulement refusé d’obéir à la demande du fonctionnaire de police pendant son audition. La seconde, peut-être plus importante, c’est qu’un code de déverrouillage de téléphone portable “ne permet pas de déchiffrer des données ou messages cryptés et, en ce sens, ne constitue pas une convention secrète d’un moyen de cryptologie”.

C’est déjà ce que disait le Conseil constitutionnel le 30 mars 2018 après la QPC, rappelle sur Twitter l’avocat Alex Archambault. La cour d’appel de Paris a refusé de faire l’amalgame entre code de déverrouillage et moyen de chiffrement. Et cette fois-ci, pronostique Le Parisien, la décision pourrait faire jurisprudence.

En juin 2019, la situation est donc la suivante : si vous êtes gardé à vue, les fonctionnaires de police n’ont pas le droit de vous demander votre code de smartphone et de vous menacer de poursuites si vous refusez. La procédure devient en revanche légale dès lors qu’une réquisition judiciaire est produite par un procureur, un juge d’instruction ou un officier de police judiciaire (OPJ).

Refuser vous expose encore à des poursuites… Mais tout dépendra de l’appréciation des juges sur le statut de votre code de déverrouillage. Vous trouvez ça complexe ? C’est loin d’être terminé. D’autant que la question similaire du déverrouillage forcé par l’empreinte digitale ou le visage commence doucement à s’inviter dans les décisions de justice…