“Jupiter” et les médias : analyse de la com’ d’Emmanuel Macron

“Jupiter” et les médias : analyse de la com’ d’Emmanuel Macron

Le spécialiste de la communication Philippe Moreau-Chevrolet, président de MCBG Conseil, entreprise spécialisée dans la communication personnelle des dirigeants, a analysé pour Speech la stratégie utilisée par Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Élysée. Entretien.

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Speech | Comment jugez-vous le renouvellement de la stratégie de communication d’Emmanuel Macron depuis son élection ?

Philippe Moreau-Chevrolet | Emmanuel Macron a d’abord installé à l’Élysée ses équipes de campagne, ce qui est un schéma somme toute très classique. Il n’y a pas eu de réflexion particulière sur la manière dont il allait gérer la communication de l’Élysée, si ce n’est une réflexion de fond, très intellectuelle, qui lui correspond, qui fut de se dire : “Il faut que l’on restitue une forme de distance, de souveraineté, de respect de la fonction présidentielle”, qui avait été très endommagée sous Nicolas Sarkozy et François Hollande. Nicolas Sarkozy, parce qu’il était omniprésent dans les médias et qu’il a fait de grosses erreurs de communication avec l’épisode du Fouquet’s et les vacances sur le yacht de Vincent Bolloré. Sous François Hollande également, mais dans un style différent : en parlant aux journalistes sans arrêt.

Par conséquent, Emmanuel Macron s’est dit qu’il n’allait plus s’adresser aux journalistes en priorité, qu’il allait restreindre son accès aux médias, surtout communiquer via les réseaux sociaux et puis faire le moins d’interviews possible. Son arrivée à l’Élysée s’est caractérisée par un durcissement considérable des relations entre l’Élysée et la presse : on se regardait en chiens de faïence parce qu’il y avait cette croyance qu’on devait mettre de la distance et revenir aux habitudes du général de Gaulle. Il y a eu une vraie volonté de retourner vers le passé pour essayer de retrouver une présidence sereine et “hors du temps”. L’équipe de M. Macron a tenté de faire ça et cela s’est traduit par une chute record de sa popularité : on constate simplement que cette stratégie ne fonctionne pas. Le deuxième moteur est assez classique : de plus en plus, le Président qui arrive à l’Élysée se retrouve rapidement impopulaire donc on observe une tentative de relancer la communication pour trouver la formule qui marche. Emmanuel Macron est en train de tester des choses.

“Le vrai cerveau, le spin doctor d’Emmanuel Macron, c’est Brigitte Macron”

Il teste notamment un porte-parole. Il s’agit d’une vieille idée, elle fut élaborée par les équipes de campagne de François Hollande quand il pensait encore pouvoir se représenter en 2017. Cela faisait partie des “cartons” de François Hollande et Emmanuel Macron a repris cette idée, en confiant cela à un journaliste. Le problème que cela pose vis-à-vis de la stratégie de communication d’Emmanuel Macron, c’est qu’il y a deux systèmes qui cohabitent : on a toujours ce système hérité de la campagne électorale avec Sibeth Ndiaye et tous les communicants et attachés de presse de la campagne. Mais en outre, on a le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner, bien implanté, et on a désormais Bruno Roger-Petit dans un nouveau rôle de porte-parole de l’Élysée.

Par conséquent, pour l’instant il n’y a pas eu d’arbitrage : l’ancien système et le nouveau cohabitent. Il faut désormais voir si ça va être conservé comme ça et si de vraies décisions vont être prises. Pour l’instant, on se trouve dans une étape intermédiaire de la communication d’Emmanuel Macron, on sent qu’il se cherche sur ce plan et qu’il n’a pas encore trouvé la bonne formule. Mais dans tous les cas, la vraie personne qui pense la communication d’Emmanuel Macron, il s’agit de Brigitte Macron, c’est le vrai cerveau et ça, ça n’a pas changé : le spin doctor d’Emmanuel Macron, c’est Brigitte Macron.

Est-ce que la manifestation du 12 septembre pour protester contre le projet de réforme du Code du travail peut être l’occasion d’un changement de cap dans la stratégie de communication d’Emmanuel Macron ?

Toutes les épreuves qui vont arriver maintenant, dont la manifestation du 12 septembre, vont être des tests pour la communication de l’Élysée et on va voir les choix qui sont faits. Lors de la manifestation du 12 septembre et de son éventuel succès, qui l’Élysée va-t-elle décider d’envoyer au front ? Bruno Roger-Petit va-t-il uniquement s’occuper des réseaux sociaux ou va-t-il aussi prendre la parole dans les médias ? Christophe Castaner va-t-il jouer un rôle à ses côtés ? Vont-ils être complémentaires ?

La manifestation du 12 septembre va être un vrai test dans la communication de l’Élysée. Emmanuel Macron a repris ses communicants de campagne, les a installés à l’Élysée avec la volonté de couper le cordon ombilical entre le Président et la presse, de rompre avec les années Hollande. Mais l’on n’est plus non plus dans le cas Nicolas Sarkozy qui, lui, en rajoutait en permanence dans les médias. On a tout coupé mais on s’est aperçu que cela ne fonctionnait pas : la presse est devenue hostile et la popularité chute.

“Quand vous voulez être Jupiter, vous ne le dites pas, vous le faites”

La “formule” Jupiter n’est vraisemblablement pas la bonne. En fait, cette façon de communiquer était maladroite à deux niveaux. D’abord parce que quand vous voulez être Jupiter, vous ne le dites pas, vous le faites. Le fait de commencer à dire et à commenter la communication de l’Élysée, ça l’a de facto beaucoup affaiblie. La seconde chose qui n’a pas fonctionné est le fait que le Président est devenu le centre de l’édifice de l’exécutif, on n’a plus le moyen de communiquer via le Premier ministre. Cela n’est pas gérable, on ne peut pas tenir les journalistes à distance de cette façon-là. Il faut donc bricoler là-dessus et Bruno Roger-Petit sera là pour ça. Il a l’avantage d’être un ancien journaliste, d’avoir fait de la télévision et par ailleurs, il maîtrise les réseaux sociaux. C’est un polémiste, quelqu’un qui sent les choses. Sa qualité principale est de sentir le vent tourner et de savoir à quoi les journalistes vont s’intéresser à l’avance. Il est capable de donner une sorte de boussole sur ce qui va faire l’actualité. Et tout l’enjeu de l’Élysée est de contrôler l’agenda médiatique, c’est leur seule ambition et obstination.

À ce propos, dans le Journal du Dimanche, Nicolas Sarkozy déclarait : “Le calendrier du président de la République est simple : c’est tout de suite. Tout ce que vous ne faites pas en juillet, vous ne le ferez pas en septembre, et tout ce que ne vous faites pas en septembre, vous ne le ferez pas en décembre. Voilà pourquoi le calendrier n’attend pas.” Pensez-vous justement que cela est possible de se créer un calendrier soi-même, de rattraper ce qu’on n’a pas fait pendant l’été ou c’est trop tard pour Emmanuel Macron, il doit avancer ?

Il y a deux façons de maîtriser l’agenda médiatique : anticiper, c’est-à-dire savoir à l’avance ce que vont être les intérêts des publics, des Français et des médias, de savoir où va finalement le vent pour être capable d’imposer son message, de préparer très à l’avance ce qu’il faut pour être dans le débat, avec ses thèmes à soi, son vocabulaire à soi. Anticiper constitue un exercice très compliqué. Ou alors, on crée des événements, comme Nicolas Sarkozy l’a fait, mais cela s’est retourné contre lui parce qu’il l’a mal fait et trop fait. Il faut imposer en permanence des nouveautés, entraîner les journalistes sans arrêt dans une direction différente. C’est la stratégie choisie par Donald Trump. Typiquement, constamment, avec le président des États-Unis, on est dans un coup de force médiatique : il impose des actualités, des thèmes, des déclarations complètement sensationnelles.

Cette stratégie suppose d’être en permanence capable de produire du contenu fort, dissonant, intriguant pour les médias, et cela au risque de perdre de sa crédibilité ou d’en faire trop comme Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas un exercice très simple. Ceux qui y sont très bien parvenus, qui ont eu une bonne utilisation des réseaux sociaux, ce sont Barack Obama et Justin Trudeau. Et ce sont typiquement les modèles qu’essaye d’imiter Emmanuel Macron. Ça n’est pas chose facile et c’est pour cela qu’il a tant de mal.

Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’autant aux États-Unis et au Canada, la communication est parfaitement professionnalisée avec des entourages de gens qui sont souvent des personnes jeunes, formées à la communication, autant en France, on a des entourages très politiques. Une grande partie de l’entourage d’Emmanuel Macron provient de celui de Dominique Strauss-Kahn. Un entourage très politique et par conséquent, pas forcément très professionnel. Ces gens travaillent sur la communication du Président mais parfois avec un agenda et un regard politiques qui biaisent beaucoup l’exercice.

Pour moi, la solution passe donc nécessairement par une professionnalisation. Il faut de grosses équipes avec une vraie visibilité sur l’opinion, sur les sondages, et puis des speechwriters formés pour ça, payés pour ça et surtout, assumés en nombre. Dans un registre similaire, François Mitterrand, à l’époque, s’était constitué une équipe d’au moins trois communicants dont un, Jacques Pilhan, qui avait une agence complète à son service pour étudier l’opinion, produire des études, etc.

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