Trois semaines après les attentats, plusieurs médias français mettent en lumière la personnalité controversée du chanteur. Pour qui, pour quoi ? Chez Konbini, on pense que c’est un faux débat.
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Alex Hoffman le décrit comme un “Diable repenti” dans son documentaire The Redemption Of The Devil. En trois semaines, Jesse Hughes, leader de Eagles Of Death Metal, est passé de chanteur-trop-cool-peace-and-love-j’adore-sa-moustache à “rockeur pas si cool”, pour reprendre l’expression de Télérama, dont l’article publié jeudi 3 décembre a inspiré bon nombre de médias, comme Slate.fr, Le Point.fr, Closer.fr, Le Soir.be ou encore Les Inrocks, entre autres.
En lisant ces articles, on tique un peu. D’abord, parce que ça fait belle lurette qu’on connaît la personnalité sulfureuse de Jesse Hughes. Né dans la conservatrice Caroline du Sud, Jesse Hughes revendique ces racines “South”, bien qu’il ait grandi en Californie. Son public savait qu’il avait en face de lui un musicien républicain tendance tête brûlée, prédicateur de la “liberté absolue”, plutôt qu’un frontman bien comme il faut tout droit sorti du Saint Martin’s College.
Le documentaire The Redemption Of The Devil, disponible en ligne, met en lumière ses facettes les plus sombres : Jesse Hughes est pro-armes, anti-avortement, fan de Donald Trump… Oui, certes. Et alors ? Les rockeurs ne sont pas tous des anges, on le sait. Lemmy de Motörhead collectionne les objets nazis, Dave Mustaine de Megadeth est un complotiste anti-Obama, Johnny Ramone des Ramones était gaga de Reagan, Gene Simmons de Kiss ne serait pas contre une petite dictature, etc.
Dans le cas de Jesse Hughes, on imagine que ce qui choque, c’est le fossé entre ce qu’il prêche (“La paix, l’amour et le death metal”, selon le titre du premier album du groupe) et qui il semble être dans la vraie vie. Mais résumer Jesse Hughes à ses opinions politiques n’a pas grand sens : ce n’est pas pour les écouter penser qu’on va voir les groupes de rock sur scène, mais pour les voir jouer.
Si on grattait un peu, la moitié d’entre eux nous paraîtraient limites, voire franchement cons. Mais s’ils étaient tous thésards en philosophie, membres du Parti socialiste ou militants associatifs pour la protection de la petite-enfance, il y a fort à parier qu’ils n’auraient pas la même fougue, la même liberté, la même insouciance, la même popularité.
Poser la question, c’est instiller un sous-entendu
Le documentaire The Redemption Of The Devil a été déprogrammé du Festival du film documentaire d’Amsterdam, quelques jours après les attentats de Paris. Motif : on y voit Jesse Hughes manipuler les armes et en faire l’apologie… De fait, certains font un rapprochement entre les kalachnikovs des terroristes et les “nombreuses armes” que Jesse Hughes possède.
Mais a-t-on réellement envie de tomber dans le débat lancé par Donald Trump au moment de Charlie Hebdo ? “Si les Français avaient le droit de porter des armes, tout ça ne serait pas arrivé”, gnagnagna. Il n’y a aucun rapport entre la légalité du port d’armes et une fusillade terroriste. Ces éléments appartiennent à deux sphères, et même à deux pays, différents. Ce n’est pas la culture de l’arme à feu qui a transformé Abaaoud et consorts en jihadistes.
Poser la question, c’est d’emblée instiller un sous-entendu, certes mince, mais l’instiller malgré tout : au fond, Jesse Hughes l’aurait bien cherché, puisqu’il aimait tant les flingues. Voire, si l’on pousse la logique au bout, ce serait injuste qu’il n’ait pas été tué ni blessé, et que tant de fans du groupe anti-armes, pro-avortement et anti-Trump l’aient été à sa place.
Etre pro-armes ne signifie pas être pro-attentats
Donald Trump est un abruti fini, je défends le droit à l’avortement et j’ai une sainte horreur des armes. Quand je croise un flic avec un fusil je change de trottoir (et depuis le 13 novembre, je me mets à chialer), mais je reconnais volontiers qu’être pro-armes ne signifie pas être pro-attentats. Corrélation ne fait pas causalité.
A la rigueur (et je prends mille pincettes en écrivant cela), si la fusillade avait eu lieu sur un campus américain, la question aurait mérité d’être soulevée. Mais pas ici, pas à Paris, où Jesse Hughes était avant tout le représentant d’un groupe appelé Eagles Of Death Metal, non le représentant de ses opinions politiques ou de sa position à l’égard des armes.
Quand j’ai vu l’interview du groupe à Vice, deux semaines après les attentats, j’ai regretté que le journaliste ne pose pas la question qui fâche. Les attentats ont-ils changé son regard sur les armes à feu ? Et puis je me suis dit qu’il était trop tôt pour lui demander. Que Jesse Hughes, qui pleure comme un bébé sur l’épaule de Josh Homme, s’exprimerait certainement sur ce sujet. Quand la pression serait retombée et que les larmes auraient séché.
Parce qu’il faut être sans ambiguïté sur ce point. Quand bien même Jesse Hughes serait le dernier des connards sur cette Terre, qu’il militerait pour la restauration de la monarchie en France ou défendrait la chasse au lion blanc, rien ne justifierait, jamais, d’aucune façon, sa mise à mort (médiatique). Pro-life ou pas, pro-Trump ou pas, pro-armes ou pas.