La très discrète Penelope Fillon se trouve depuis quelques semaines au centre de l’attention médiatique. Alors qu’elle se trouve empêtrée dans les affaires de son mari, on a un message pour Penelope.
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Pour qui vais-je voter dans deux mois et demi ? Impossible de répondre à cette question plus difficile qu’une dissert’ de philo, tant je me suis habituée à voter contre et non pour. J’aimerais bien voter pour quelqu’un qui me représente. Ça changerait. Mais je suis une femme de 25 ans, autant dire, une espèce inconnue en politique. Ça fait soixante-treize ans que les femmes peuvent se présenter aux élections et dans les têtes d’affiche qu’on voit tous les jours dans les journaux, ça pue la testostérone. Voter Marine Le Pen ? La seule femme qui a une chance de l’emporter a le pire des programmes en matière de droits des femmes. On tourne en rond.
Mais depuis quelques semaines, le prénom le plus médiatisé est bien celui d’une femme : “Penelope”, comme ils l’appellent tous familièrement. La femme de François Fillon aurait touché près de 900 000 euros comme attachée parlementaire, selon les révélations truculentes du Canard enchaîné. Une femme qui a élevé cinq enfants, supporté (dans tous les sens du terme) un mari Premier ministre et travaillé des années durant dans l’ombre secrète de son homme présidentiable sans même le savoir. Respect.
Ah, Penelope. Ce doux patronyme me fait penser à mes cours de français. Pour moi, c’est la femme d’Ulysse dans la mythologie grecque. Celle qui a attendu pendant vingt ans son héros de mari parti conquérir le monde défaisait toutes les nuits la tapisserie qu’elle tissait le jour, pour passer l’ennui. On lui a même donné le nom d’une maladie, le “syndrome de Pénélope”, qui désigne celui ou celle qui défait son propre travail sans s’en rendre compte.
C’est peut-être ce qu’elle a fait, Penelope, pendant les meetings de son mari. S’ennuyant terriblement, elle a peut-être jeté tous les dossiers, gommé tous les discours, raccroché le téléphone. Il n’y a pas de quoi lui en vouloir. C’est un sale boulot que d’être la femme d’un député et, en plus, son attachée parlementaire. Regardez Dominique, l’épouse de Patrice Carvalho, député PCF de l’Oise, elle “nettoie aussi les chiottes de la permanence”, comme s’en vante son mari.
Pourtant, c’est François le Monsieur Propre chez les Fillon. Sa probité, il en a fait son image de marque. S’opposant à son rival, Nicolas Sarkozy, dans la course de la primaire de la droite, François Fillon s’est positionné en candidat clean. Serait-ce grâce à Penelope ? Après tout, “il faut être une femme pour faire le ménage”, comme nous le disait Valérie Pécresse.
Moi aussi, Penelope, je veux te dire que je t’aime
Et puis, François le sourcilleux ne ressemble pas vraiment à l’imberbe Monsieur Propre qu’on connaît. Alors, fictif ou pas fictif l’emploi qu’il a donné à sa femme ? Il ne veut pas nous le dire. Pourtant, en octobre dernier, il s’affichait fièrement avec son slogan “le courage de la vérité” (par ailleurs piqué à Arnaud Montebourg). En 2007, il a même écrit un livre intitulé La France peut supporter la vérité. La France oui. François Fillon non. Ça ne donne pas vraiment envie de voter pour lui, alors pourquoi ne présente-t-il pas Penelope à sa place ?
Penelope Clarke, alias Penny, originaire du pays de Galles, n’a rien d’une idiote. Après des études de français et de droit, elle obtient son concours d’avocate haut la main. Elle a 18 ans quand elle rencontre François Fillon dans un dîner au Mans. “Ça n’a pas été un coup de cœur automatique”, confie-t-elle à un média britannique. On la comprend. Mais sept ans plus tard, ils se marient au pays de Galles. À cet instant, Penelope Clarke ne le sait peut-être pas, mais elle perd une partie d’elle-même pour devenir Penelope Fillon. Elle n’exercera jamais son métier d’avocate pour élever leurs cinq enfants. Dans une vidéo datée de 2007 tournée lors d’un entretien pour le Sunday Telegraph et diffusée par Envoyé spécial, elle fait part de son ennui profond et raconte qu’elle vient de s’inscrire à des cours de littérature anglaise pour passer le temps.
La politique, c’est pas vraiment son truc. Mais grâce ou plutôt à cause de son mari, elle est quand même obligée d’en faire un peu. Élue conseillère municipale dans la Sarthe en 2014, elle prend part à la campagne de son mari fin 2016. À 61 ans, elle devient ambassadrice du mouvement “Les Femmes avec Fillon” qui propose un programme pour “la liberté des femmes”. Projet phare du mouvement : permettre aux femmes d’élever leurs enfants en leur permettant de travailler à distance (travailler et biberonner en même temps sans voir personne de la journée, quelle chance !) En somme, un nouveau statut pour les mères de famille, comme le proposera François Fillon lors d’un meeting. Car pour François, une femme est avant tout une mère et une épouse.
Et pourquoi pas une femme politique aussi ? Sur le site de campagne du candidat, quand on lui demande ce qu’elle ferait “pour changer les choses”, Penelope Fillon répond : “Je m’engagerais au service de la justice sociale.” En somme l’exact opposé de son mari. Penelope présidente ? Impossible. Depuis le début de l’affaire, elle n’a même pas le droit de s’exprimer.
Alors que les militantes Les Républicains brandissent des pancartes “Je suis Penelope”, moi aussi, j’ai envie “d’être” Penelope. J’ai envie de délivrer cette femme de son château de Sablé-sur-Sarthe. Cette femme au regard triste, qui a versé des larmes sincères au dernier meeting de François Fillon bien que celui-ci ne les utilise pour sa com’. “Je veux dire à Penelope que je l’aime”, scande-t-il. Moi aussi, Penelope, je veux te dire que je t’aime. Tu n’as rien demandé et on ne sait même pas si tu étais vraiment au courant de tout ça. Dans ton interview au Sunday Telegraph, tu dis “je n’ai jamais été son assistante”, alors si tu savais que tu étais payée pour ça, pourquoi ne pas avoir menti ? Par bêtise ? “Je ne suis pas si stupide”, proclames-tu dans cette même interview, et je te crois.
Tu es tout ce que je redoute d’être un jour. Une femme emmurée dans le silence, une femme éteinte qui semble ne plus contrôler sa propre existence, une femme soumise aux ambitions de son mari, n’ayant jamais pu exercer son métier. Penelope Clarke ne sera jamais avocate, et encore moins présidente. Elle restera la femme de Mr. Nobody, à défaut d’avoir pu être Madame Tout-le-Monde.
Un article écrit par Virginie Cresci