Intifada Rap : les visages du rap palestinien

Intifada Rap : les visages du rap palestinien

Intifada@Rap

Au départ, on a un ami en Angleterre qui, à l’époque, produit un disque de ce groupe qui s’appelle DAM [pour Da Arabian MC’s, ndlr]. Je vais les voir à Londres, j’en parle à Pierre avec qui je fais équipe depuis des années sur d’autres sujets et avec qui on avait l’habitude de choisir une ville ou un musicien comme angle. On décide que la clé du sujet va être l’émergence du hip-hop à l’époque en Israël / Palestine, avec toujours l’idée, évidemment, de raconter les préoccupations de la jeunesse palestinienne à la fin de la seconde Intifada.

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En novembre 2006, pendant onze jours, le duo enchaîne les rendez-vous et avale les kilomètres pour dresser le portrait de ce vivier créatif nouvellement né. En effet, si les premiers soubresauts d’un hip-hop palestinien remontent à la fin des années 1990, c’est véritablement au tournant du nouveau millénaire qu’il se développe et rencontre une première popularité.
De Ramallah à Lod, de Shu’Fat à Nazareth, du groupe DAM, première entrée dans ce milieu particulier au collectif ME7, de G-Town au rappeur Saz, alors que la Palestine s’embrase, la jeunesse vibre au rythme des basses rondes du hip-hop.
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D’après les deux journalistes, cette éclosion est aussi due à l’Internet haut débit. L’accès à une meilleure connexion permet aux MC’s locaux de découvrir les standards américains du genre. Ils s’en inspirent, l’imitent et finissent par créer leur propre lexique en réinvestissant le territoire de la musique populaire et folklorique.

On en était au moment où les mecs faisaient beaucoup de reprises. Ils commençaient aussi à composer leurs propres instrus avec l’idée de développer leur propre discours musical. Ils prenaient par exemple appui sur la musique traditionnelle locale et notamment une forme de poésie qui s’appelle le Zajal.

“Intifada@Rap”, le titre du reportage lors de sa première parution dans les colonnes du Nouvel Observateur, est le témoignage de l’ancrage politique et technologique de cette nouvelle scène. Mais loin de se limiter à ce kaléidoscope de portraits, le propos des deux journalistes est plus vaste.

Le ghetto en toile de fond

J.D |  Nous, on a rencontré un Israël que bien peu de gens connaissent et qui est assez éloigné de ce que les gens savent. Celui qui apparait dans l’oeil de jeunes Palestiniens : celui de l’exclusion, d’une situation proche de l’apartheid.
P.M | Des quartiers gangrénés par la drogue, par les ventes d’armes…
J.D | Et c’était une volonté forte de Pierre d’ancrer les artistes dans leur réalité, dans leur monde.

Au moment du reportage, le hip-hop, musique des masses éduquées, se fait peu à peu emblème du ghetto. La jeunesse palestinienne se met à l’heure de 2Pac et de 50 Cent. Les MC’s arborent les emblèmes du gangsta rap, les beats se font support de revendications des oubliés de l’état d’Israël. De ceux qui vivent une exclusion urbaine en plus de l’oppression politique.
Cette évolution sociologique a poussé les deux journalistes à visiter ces quartiers “sensibles”, comme le rappelle Jacques Denis :

En gros à l’époque ça commençait à toucher les gens du ghetto. C’est un peu le phénomène qu’il y a eu en Afrique de l’Ouest dix ans plus tôt où le hip-hop était essentiellement porté par des membres de la bourgeoisie consciente et s’est propagé au ghetto ensuite, notamment à Ramallah.

Girls power

Dans cette communauté naissante, on retrouve beaucoup de femmes. Un peu étonnant quand on compare à la faible féminisation du hip-hop dans l’Hexagone. Elles sont un maillon identifiable du rap palestinien. Pour Jacques Denis, loin des préjugés, cet investissement de la gent féminine est quelque chose de logique à la lumière de l’Histoire et de la tradition laïque de la Palestine : 

De ce qu’on en a vu, les femmes sont nombreuses à rapper et en plus, elles sont défendues ! Je pense à DAM, par exemple, qui a fait un texte sur la situation de la femme en Palestine. De manière générale, il y a une tradition laïque assez forte en Palestine que l’on doit à l’OLP et au FPLP, qui étaient des organisations à gauche. Ce qui n’est évidemment pas le cas du Hamas.

La situation de la femme était en train de changer avec l’arrivée du Hamas, Hamas qui fait un vrai travail d’action sociale et qui a récupéré comme ça les faveurs de ces jeunes mais qui a en même temps branché le virus de la religion.

À la lumière de ce dernier aspect, l’entreprise des deux journalistes gagne en profondeur. Par le rap palestinien, c’est un entre-deux qu’ils ont capturé. Le hip-hop comme le buvard de l’encre de l’Histoire.
Il est possible de se procurer le livre Intifada Rap par ici ou en se rendant directement à la librairie LO/A. Sur le même sujet, le documentaire Slingshot Hip-Hop sorti en 2008 s’attaque à la même thématique et met en scène, peu ou prou, les mêmes acteurs. Il est également disponible chez LO/A ainsi que sur Internet