IBM dévoile le “premier ordinateur quantique commercial”

IBM dévoile le “premier ordinateur quantique commercial”

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Bientôt dans vos salons. Crédit : IBM

L’IBM Q System One, ordinateur de 20 qubits dévoilé au CES, est un superbe symbole, mais l’informatique quantique est encore loin devant nous.

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Bientôt dans vos salons. Crédit : IBM

Les titres nous ont fait sursauter : au CES 2019, IBM a présenté l’IBM Q System One, “le premier ordinateur quantique commercial”. Quoi ? Comment ? OK, on clique. Waouh, c’est beau. Mieux : quand on ferme les yeux et qu’on imagine à quoi devrait ressembler un “ordinateur quantique”, c’est à ce genre de sculpture abstraite noire et polie, au squelette de carbone et de verre, qu’on pense. Bravo aux designers d’IBM, cette chose suinte la SF et c’est exactement ce qu’on demande au “premier système d’informatique quantique universel totalement intégré conçu pour l’usage scientifique et commercial”, selon les mots d’IBM. OK, je crois que je suis amoureux.

Hum… bon, fini de s’extasier devant le packaging. Comment ça fonctionne, ce machin-là ? OK, une architecture hybride entre un ordinateur classique et des systèmes quantiques qui permettent de stabiliser la bête à 20 qubits de puissance de calcul. Ah. D’accord. Cette œuvre d’art pondue par les ingénieurs d’IBM est peut-être sublime, mais mon ordinateur portable embarque plus de puissance de calcul. Et pour le côté “commercial”, autant vous dire qu’IBM n’a pas prévu de le vendre en grande surface. En fin de compte, le Q System One est un énième prototype, qui nous approche un peu plus du futur de l’informatique – et qui nous rappelle, douloureusement, la distance phénoménale qu’il nous reste à parcourir.

0,1, 0 et 1 : l’ordinateur quantique

Pour comprendre pourquoi on peut légitimement être déçu après l’annonce d’IBM, il faut comprendre ce que signifie un “ordinateur quantique”. Un ordinateur traditionnel fonctionne grâce à des transistors, des sortes de minuscules interrupteurs, qui composent les processeurs et permettent d’effectuer des opérations de calcul dans un langage binaire composé de bits, soit des 0 et des 1 à la suite (pour une position ON et OFF du transistor). L’augmentation de la puissance de calcul des micro-processeur, grâce à la diminution de la taille des transistors, est certes phénoménale, mais il est des choses que le système ne permettra jamais de calculer, peu importe sa puissance – la prédiction de flux financiers, la modélisation de molécules, les relations inconnues entre les nombres premiers, etc…

L’ordinateur quantique, lui, peut théoriquement résoudre ces énigmes. Voilà comment ça marche: grâce à un système de laser et/ou de refroidissement à une température proche du zéro absolu (qui génère un effet appelé superconduction), les bits d’un ordinateur quantique tirent parti d’une propriété quantique, la superposition. Elle permet à une particule d’exister simultanément dans deux états (un photon de lumière, par exemple, se comporte à la fois comme une particule et comme une onde) tant qu’aucun observateur ne vient la perturber. Cette propriété, c’est ce que vous connaissez par l’expérience du chat de Schrödinger, simultanément mort et vivant dans sa boîte opaque jusqu’à ce que vous l’ouvriez pour vérifier.

En état superposé, les deux possibilités offertes par le bit (0 et 1) deviennent quatre possibilités avec un qubit (0, 1, 01, 10). Un facteur de multiplication par quatre paraît peu, mais c’est inimaginable : un ordinateur de 300 qubits offre plus d’états différents qu’il n’y a d’atomes dans l’Univers. Une puissance de calcul infinie, qui permettrait de simuler absolument n’importe quoi pour débloquer les secrets de la matière, des nombres, de la réalité – bref, l’outil de calcul ultime.

L’ordinateur quantique, ici, maintenant

Depuis les années 2000, d’immenses progrès ont été faits et l’ordinateur quantique commence à prendre forme à mesure que les contraintes techniques, comme la stabilisation des fragiles qubits, sont vaincues. Depuis deux ans, la course aux qubits est devenue un sprint dingue entre entreprises (Google en est, évidemment), et le record actuel est détenu par l’entreprise chinoise IonQ, qui dévoilait le 11 décembre une machine de 160 qubits dits “stockés” et 79 qubits “piégés” grâce à une nouvelle approche. Une puissance de calcul qui ridiculiserait le plus puissant de nos super-ordinateurs binaires.

Il reste cependant un gros problème : on ne sait pas comment concevoir les programmes qui iraient avec. Et pour les ingénieurs chargés d’y arriver, bosser sur un ordinateur quantique est très frustrant. Plus il y a de qubits impliqués, plus l’ensemble est fragile, et la moindre variation, même infinitésimale, détruit toute l’architecture. Or, redémarrer un ordinateur quantique prend un temps fou – plusieurs jours, voire plusieurs semaines. C’est là qu’intervient le prototype d’IBM, censé prendre le contre-pied des expérimentations instables.

En mêlant les architectures traditionnelles et quantiques, le Q System One garantit quelque chose de nouveau : la stabilité. Interrogé par The Verge, le responsable du projet Bob Sutor explique qu’un redémarrage se fait “en quelques heures”, ce qui devrait considérablement accélérer la recherche. D’autre part, IBM assure qu’il dispose de tous les composants physiques de rechange en cas de panne et que l’architecture du système est prévue pour être mise à jour et augmenter les capacités de calcul de la bête sans perdre en stabilité, à mesure que la technologie avance.

Bref, le Q System One est fait pour inspirer confiance en l’informatique quantique et démontrer la tangibilité de son existence – mission accomplie, et avec une élégance rare. La machine ne sert peut-être à rien en termes de puissance, mais elle existe, stable, ici et maintenant. La méthode fonctionne. L’ordinateur quantique personnel capable de révéler les secrets de l’Univers attendra encore, mais tout est prêt pour l’accueillir.