Quand le harcèlement sexuel infeste la réalité virtuelle

Quand le harcèlement sexuel infeste la réalité virtuelle

Alors que le progrès réduit la frontière entre le digital et le réel, le harcèlement sexuel commence à contaminer la réalité virtuelle. Et les joueurs subissent.

À voir aussi sur Konbini

On ne devrait même plus faire les surpris, au fond : de tout temps, le harcèlement sexuel a su transformer les nouveaux outils de communication en armes, du Minitel à la webcam, de la fenêtre de chat au forum. Alors que la réalité virtuelle est en train de s’installer à la périphérie de notre vision, en attendant de remodeler notre définition du réel, ses pionniers sont déjà en train d’expérimenter pour nous ses possibilités… et ses risques. Malheureusement, les mondes qu’elle propose semblent déjà aussi hostiles que les précédents.

Dans un long et passionnant article, le Guardian s’interroge sur le cas d’une joueuse, Jordan Belamire, victime d’une agression sexuelle dans le jeu QuiVR. Alors qu’elle jouait tranquillement, un avatar nommé BigBro442 s’est soudain approché du sien pour “frotter virtuellement [ses] seins”. Quand elle s’est éloignée, l’avatar l’a suivie, “en faisant des mouvement d’agrippement et de pincement” près de la poitrine de son avatar, avant de répéter l’opération avec l’entrejambe de son personnage. Son histoire n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’autres, comme celui de cette joueuse d’Altspace paru le 26 mai sur Mic, qui décrit de véritables meutes d’avatars mâles en rut et illustre tout le travail qui reste à faire pour rendre le jeu vidéo moins hostile aux joueuses, plus particulièrement lorsqu’il revêt les atours du réel.

De l’interface textuel à l’Oculus Rift

Comme l’explique le Guardian, le harcèlement virtuel est quasiment le jumeau du jeu en ligne. Lorsqu’Internet s’appelait encore le “cyber-espace”, des joueuses relataient déjà des “agressions en ligne” dans des jeux n’ayant qu’une simple interface textuelle, avec des gamers piratant le code pour pouvoir noyer les femmes sous une avalanche d’obscénités. À mesure que ces communautés se sont agrandies et que l’expérience est devenue plus immersive, la gravité des actes a augmenté, et les messages salaces sont devenues d’authentiques campagnes de slut shaming, assez puissantes pour briser de (vraies) vies.

Puis, avec l’avènement de Second Life et des avatars, les actes ont succédé aux mots. Avec la réalité virtuelle, le monde du jeu vidéo s’apprête à pénétrer dans une étrange zone grise, suffisamment réelle pour que les agressions soient traumatisantes, mais pas encore assez pour qu’elles soient condamnables. Et une drôle de question éthique s’invite dans le débat : à quel moment une agression devient-elle “réelle” ?

Agression = contact ?

Selon Jesse Fox, professeur à l’Ohio State University qui étudie les implications sociales des mondes virtuels, la question de l’agression et de ses conséquences est particulièrement délicate lorsqu’il s’agit d’un avatar. À l’heure actuelle, peu d’études mesurent l’intensité du lien qui existe entre un joueur et son alter ego virtuel, mais pour Fox, “si vous vous identifiez beaucoup à votre avatar et que vous vous décrivez de manière fidèle, vous vous sentirez violé”. Si, à l’inverse, votre avatar est un guerrier elfe de huit mètres de haut, l’identification sera moins forte. La nouveauté, c’est que la réalité virtuelle offre une couche d’immersion supplémentaire, dans laquelle le joueur “habite” le corps numérique et où tout ce qui arrive est vécu à la première personne, sans possibilité de se “décorporer”. Et le sentiment de choc et de dégoût, une fois l’agression passée, se transfère aisément dans l’enveloppe physique.

Peut-on pour autant envisager une criminalisation de ce type d’agissement ? Peu probable, explique Mark Methenitis, avocat spécialisé dans l’application du droit dans les jeux vidéo via son (passionnant) blog Law of the Game. “Tout type d’agression sexuelle et de viol nécessite une sorte de contact physique, explique-t-il,. Et si la réalité virtuelle peut conférer ce type de sensation, inclure ces agissement dans les agressions serait une pente savonneuse.” Tout repose donc sur l’évolution de la technologie, à mesure que les corps des joueurs se couvriront de vêtement et prothèses haptiques — qui permettent de retranscrire les sensations ressenties dans le jeu, comme le vent, la pluie ou… la douleur (vous savez, un peu comme lorsque votre manette de jeu vidéo vibre quand vous vous crashez en voiture dans GTA). Il faudra bien, un jour, légiférer. En attendant, c’est aux développeurs de trouver des parades.

Super-pouvoir activé : protection de son intimité

Après tout, pourquoi ne pas retourner la virtualité à l’avantage des joueurs et joueuses ? Contrairement au monde réel où s’exercent les lois implacables de la physique et des pressions sociales, la réalité virtuelle doit pouvoir offrir des parades merveilleuses en cas d’agression. Boucliers magnétiques, capes d’invisibilité, pistolet désintégrant : l’imagination des développeurs est la seule limite. Dans le cas de Jordan Belamire, les responsables de QuiVR, Aaron Stanton et Jonathan Schenker, ont trouvé une solution à la fois inventive et efficace : le “geste de pouvoir”.

Désormais, dans QuiVR, lorsqu’un utilisateur se sent menacé ou agressé, il lui suffit de faire un mouvement spécial pour activer une “bulle personnelle” qui empêche quiconque de les approcher. Une manière de redonner le pouvoir aux joueurs tout en protégeant leur jeu de ce type d’agression. Prochaine étape : rendre le code open source, pour qu’il intègre  tous les univers de réalité virtuelle, commercialisé ou en développement, afin que ce qu’a vécu Jordan Belamire ne se reproduise plus, et que la question de l’agression virtuelle soit prise au sérieux par la communauté du jeu vidéo.