Le samedi 15 octobre, les personnes trans, intersexes et leurs soutiens défilaient dans les rues de Paris à l’occasion de l’Existrans 2016. Au cours de cette vingtième marche, Konbini a parlé transphobie et difficultés du quotidien avec ses participants. Reportage.
À voir aussi sur Konbini
Paris 10e : Rue du Faubourg-du-Temple, devant le café le Zorba et le Sephora du métro Belleville, une foule diverse attend sagement le départ de la vingtième édition de l’Existrans sur les beats du tube electroclash de Sexy Sushi “J’aime mon pays”. Le soleil illumine les têtes et les pancartes “Mon corps, mon genre, ta gueule”.
Une jeunes fille du mouvement Trans of color lives matter fait quelques mouvements de voguing. Il y a des jeunes, des vieux, des trans, des intersexes, des handis, des putes, des pédés, des bis, des gouines, des blancs, des arabes, des noirs, des latinos et des asiats. Quelques élus écologistes et socialistes parisiens ont même fait le déplacement.
Comme chaque année depuis 1997, aux environs de la mi-octobre, les personnes trans, intersexes et leurs soutiens, ont en effet pris l’habitude de défiler dans les rues de la capitale pour revendiquer des droits : un changement d’état civil libre et gratuit, la santé ou la sûreté. En 2016, cette marche militante, aux cris de “Trans, des droits, des lois, qui respectent nos choix”, a cependant une saveur particulière, la veille d’une nouvelle Manif pour tous…
Le jeudi 13 octobre, en adoptant en dernière lecture le projet de loi Justice du XXIe siècle, les députés ont pour la première fois inscrit dans le code civil une procédure qui fixe les modalités de modification de l’état civil pour les personnes dont le genre ne correspond pas au sexe mentionné sur leurs papiers d’identité. Mais cette procédure démédicalisée (parce qu’elle ne requiert plus l’obligation pour les personnes de fournir des certificats médicaux prouvant des “modifications irréversibles” de l’apparence physique) est loin de satisfaire la communauté transgenre, qui réclame un changement d’état civil libre et gratuit sur simple déclaration en mairie.
Ces revendications sont évidemment la conséquence des difficultés que rencontrent ces personnes dans leur vie de tous les jours, des discriminations quotidiennes et de la transphobie systémique. Comment ces personnes vivent-elles la non-conformité de leur état civil avec leur genre vécu ? Quelles difficultés rencontrent-elles ?
Konbini a tendu le micro à quatre jeunes et moins jeunes transgenres. Des femmes, des hommes, binaires ou non-binaires qui ont au moins un point commun : l’exaspération de devoir sans cesse justifier leur genre et leur transidentité.
Misha : garçon trans, 21 ans, en recherche d’emploi à Strasbourg
“Nos droits sont inexistants. Les gens pensent qu’on a obtenu des avancées incroyables alors que nos vies sont toujours entre les mains des juges et de personnes qui nous sont extérieures, qui vont jusqu’à refuser notre changement d’état civil. On me dit que ma transidentité est une phase, que je fais ça pour me distinguer des “gens normaux”. C’est dur à supporter.
Il faudrait supprimer la mention du sexe sur les papiers d’identité. Ça ne sert à rien pour nous identifier quand il y a la photo, les prénoms et noms. Aujourd’hui, sans des papiers conformes à mon genre, j’ai l’impression d’avoir sans cesse à expliquer ma vie, des choses très personnelles que je ne devrais pas raconter à un employé de la Poste ou à un contrôleur dans le train. Cela peut me mettre en danger. Et le plus gros problème, c’est la mise en danger de soi-même.
Au quotidien, la transphobie ce sont des actes violents. On serait dans le faux si on disait qu’il n’y avait que ça. Il y a énormément de violence verbale, même de la part des proches ou des membres de ta famille qui ne cherchent pas à blesser mais qui n’ont pas encore tout assimilé et qui blaguent sur ton identité. Quand j’étais jeune, la première personne trans que j’ai vue à la télé, on s’en moquait, on disait : ‘C’est un homme qui porte une robe, que c’est rigolo.’ C’est chiant de devoir tout le temps se justifier.”
Camille : femme trans, 58 ans, bibliothécaire à Rueil-Malmaison
“Pourquoi nous marchons ? Comme depuis une vingtaine d’années, nous marchons pour le droit absolu de nous définir par nous-mêmes et non pas par rapport à un cadre patriarcal et normé. Jusqu’à récemment en France, on ne pouvait changer son état civil que sous la contrainte d’un parcours psychiatrisant et à condition d’une réassignation sexuelle. C’est d’une violence absolue et totalitaire !
C’est paradoxal, mais ça se passe en France dans une démocratie. Ici, on est aussi là pour défendre ceux ou celles qui souhaitent d’accéder à une identité de genre masculine ou féminine, sans toutes ces contraintes synonymes de vieilles lunes.
Sans regard moral là-dessus ni stigmatisation, j’en ai marre de voir à quel point dans les médias, on réduit la problématique trans à la prostitution et à la précarité. Certes, c’est une réalité : les filles, souvent des étrangères, sont sans-papiers et leur seul moyen de subsistance est la prostitution. Il y a aussi des Françaises qui se prostituent pour les mêmes raisons d’exclusion. Mais on ne devrait pas envisager le problème trans sous le seul angle de la prostitution.
Dans mon parcours de transition, j’ai accepté le deal d’être contrainte parce que je voulais que les choses se fassent rapidement et parce que je voulais prouver aux gens censés évaluer mes intentions qu’ils se trompaient. Mon genre est une chose, mais ma vie amoureuse en est une autre. Ça leur trouait le cul de voir qu’une femme comme moi aimait une autre femme. C’était, pour le médecin qui me suivait, totalement impossible à concevoir.
La transphobie, c’est comme le sexisme. Je ne sais pas si on est plus insulté en tant que personne trans ou en tant que femme. Il y évidemment les insultes que l’on imagine et que je tairai. Par ailleurs, au boulot, je n’ai jamais eu le soutien de mes camarades quand j’étais victime de propos insultants. Au fond, comme une femme qui se fait insulter ou qui se fait abuser, on te dit ‘Ferme ta gueule, tu l’as un peu cherché’. Pourtant, je ne suis pas responsable de ce que mon identité de genre provoque dans la tête des autres.”
Léona : trans non-binaire, 21 ans, étudiant.e en anglais à l’université de Rennes
“Je marche pour demander un changement d’état civil complètement démédicalisé et déjudiciarisé, pour que l’on puisse juste aller en mairie pour changer la mention du genre sur son état civil et qu’on ne soit plus obligé de dévoiler toute notre vie privée devant un juge. Je le fais aussi pour avoir d’autres options qu’homme ou femme à l’état civil, ou pour qu’on supprime tout simplement cette mention du sexe qui ne sert à rien.
J’en ai marre du cisexisme, qu’on dise qu’avoir un pénis, c’est être un homme et avoir un vagin une femme. C’est ce qu’on entend à longueur de temps. Quand on ne rentre pas dans ce schéma-là, on ne se sent pas validé, ça fait mal et on ne se sent pas accepté. C’est pour ça qu’il faudrait éduquer les gens à ce qu’est la transidentité, qu’il faudrait arrêter d’assigner un genre aux enfants dès la naissance puisque pour ceux qui ne se retrouvent pas dedans, ça prend du temps de se rendre compte qu’on peut être autre chose que ce qui nous a été assigné. Et puis, il faudrait sensibiliser les gens à la grammaire non-binaire et neutre. Le masculin n’est pas la forme neutre en français.
Quand je fais une commande en ligne, je ne peux pas forcément aller la retirer à la poste. Comme ma carte d’identité ne reflète pas mon vrai nom, je suis obligé d’ignorer ma propre identité ou de demander à quelqu’un d’autre d’aller chercher un colis à ma place. À la fac, je suis obligé de reprendre mes profs sur la liste d’appel à chaque fois qu’on prononce mon mauvais nom. Je me suis arrangé avec l’université de Rennes cette année, donc ça va un peu mieux, mais je n’aurais malheureusement pas un diplôme à mon nom. Enfin, j’ai du mal à trouver un boulot car je ne peux pas m’inscrire à Pôle emploi.
La transphobie, c’est quand on m’appelle monsieur, quand on dit ‘il’ pour parler de moi, quand on me dévisage, quand on rigole de moi dans la rue car je ne suis pas une ‘vraie fille’. La transphobie, c’est aussi plus subtil. C’est de ne pas avoir des papiers à mon nom car cela m’empêche de vivre les mêmes choses qu’une personne qui ne subit pas ces formes d’oppression.”
Ori, garçon trans non-binaire de 22 ans, termine ses études d’éduc’ spé à Paris
“Pour moi, c’est primordial d’être à l’Existrans. Il n’y a qu’une fois par an qu’on peut se rassembler pour revendiquer nos valeurs, lutter contre un État répressif, contre des lois qui n’apportent rien pour améliorer la sécurité, la santé et la vie des personnes trans et intersexes.
C’est fatiguant de devoir répéter en permanence qui on est, à partir du moment où on dit qu’on est un garçon ou une fille trans parce ce qu’on n’a pas forcément les traits du genre auquel on appartient. J’en ai marre de ceux qui me disent qu’il n’y a pas de problèmes avec mon identité mais qui ensuite font exprès de mégenrer mon nom. Il y a encore beaucoup à faire pour améliorer le quotidien des personnes trans. L’association Acceptess-T a par exemple lancé une pétition pour simplement pouvoir récupérer un colis à la poste, ce que beaucoup d’entre nous ne peuvent pas faire.
Quand on est travailleur social, on nous dit qu’on ne peut pas ramener ses ‘problèmes’ avec soi au travail. Dans mon boulot, je ne peux ni me présenter comme étant trans, ni me présenter comme étant un mec. Résultat : je suis obligé de me considérer dans l’identité qu’on m’a assigné à la naissance pour travailler. On m’a dit qu’il n’y avait pas de problème pour m’appeler à l’oral par mon prénom, mais dans les bases de données, sur le trombinoscope et sur les feuilles d’appel, on ne veut pas changer mon prénom de naissance, ce qui fait qu’on m’assigne un genre qui n’est pas le mien.
La transphobie prend des formes très différentes. C’est souvent des insultes, des agressions, c’est aussi la peur de devoir montrer mes papiers ou ma carte d’étudiant, de devoir en permanence justifier mon genre, de parler de mon identité et la peur des réactions derrière.”
Photos Florian Bardou