Les Arts déco consacrent une exposition à la poupée la plus célèbre du monde. Divertissant, mais pas assez mordant.
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Évidemment, les cimaises sont roses. Très roses. Avant même de pénétrer dans le palais éphémère de la plus célèbre poupée au monde, on a déjà un avant-goût de ce qui a fait sa célébrité : une (prétendue) féminité affirmée, revendiquée, volontiers kitsch. Barbie, c’est l’essence du “féminin” tel qu’inventé par la société. Souriante, délicate, admirée et super bien foutue.
L’exposition aux Arts décoratifs revient sur la carrière de cette star blondissime, sacrée icône pop dès ses premiers pas dans les chambres des petites filles, en 1959. La genèse de cette Ève en plastique, résumée par le musée, tient en quelques phrases :
“C’est en regardant sa fille Barbara jouer avec des poupées de papier, lointaines descendantes des gravures de mode de la fin du XVIIIe siècle et des premières poupées en papier pour adultes du XIXe siècle, que Ruth Handler, l’une des fondatrices de Mattel, se met à rêver d’une poupée de mode en trois dimensions, d’une poupée mannequin.”
Pourtant, c’est avec le compte Instagram @BarbieStyles que s’ouvre le parcours. On devine que la marque, qui a coopéré avec le musée pour l’occasion, veut prouver qu’elle maîtrise les codes de l’époque. Des Barbie plus stylées les unes que les autres nous accueillent à bras ouverts. Détail qui a son importance, sur une trentaine de modèles, plongés dans la pénombre, seuls deux portent un pantalon.
Le destin de Barbie s’inscrit en rupture par rapport à l’histoire des poupées. Au XIXe siècle et au début du XXe, dans les familles riches, ces objets servent essentiellement à présenter des vêtements en version miniature. Pour faire joujou, les enfants des classes populaires se contentent de poupées de chiffon. À chaque fois, “la petite fille peut mimer sa mère et s’occuper de sa poupée comme d’un enfant”, explique-t-on.
À l’inverse, Barbie constitue une version adulte (quoique très idéalisée) des petites filles. Son visage n’est plus celui d’un enfant et sa taille réduite la rend facilement manipulable. Un des coups de génie de Barbie, c’est de proposer un physique nouveau tout en perpétuant la tradition de la poupée fashion qu’on habille et déshabille.
Inspirée d’une vignette dessinée allemande
Symbole de l’American Way of Life, la demoiselle n’est pas sortie tout droit du cerveau de son inventrice. Avant Barbie, Lilli, un personnage d’une vignette dessinée allemande créée pour le quotidien Bild, avait eu droit à sa version plastique. Un goodie dont s’est largement inspirée Ruth Handler.
Malgré quelques grincements de dents provoqués par la présence de seins chez Barbie, son succès est presque immédiat. La poupée se décline en plusieurs modèles, toujours filiformes, bien élevés et joyeux. La mise en scène de l’exposition joue avec ces codes de “pin-up chaste” tout en présentant différentes gammes de modèles.
Combien de modèles sont vendus et à qui ? Où Barbie est-elle commercialisée ? Quelles sont alors ses concurrentes ? Des modèles de poupées alternatifs existent-ils ? Nous n’en saurons rien, pas plus que sur les copies qui, on l’imagine, étaient nombreuses.
Concernant le volume de ventes, la seule information ciblée concerne ce modèle aux cheveux interminables, le plus vendu au monde (le nombre de produits écoulés n’est pas précisé).
L’enthousiasme du texte accompagnant les vitrines devient agaçant avec des messages qui relèvent davantage de la communication que de la mise en perspective historique :
“La poupée reflète les changements sociaux et culturels mais, également, suit l’évolution du rôle de la femme.”
“Son succès tient à la capacité de la poupée à suivre l’évolution de son époque pour se renouveler tout en restant la même.”
Que Barbie puisse jouer un rôle dans la reproduction sociale ou la perpétuation des stéréotypes de genre n’est jamais questionné, alors même que l’exposition promet d’apporter un éclairage “sociologique” sur ce personnage.
Aux Arts décoratifs, Barbie “a mille visages”, y compris afro-américains. Si un modèle de poupée noire existe bien depuis les années 1960, on ne saura pas à quelle échelle il a été distribué. Les polémiques plus ou moins récentes sur le manque de visibilité des minorités ou de la variété des physiques féminins sont évacuées en quelques lignes. Le mot même de “polémique” n’est jamais prononcé.
Barbie se refait donc une beauté aux Arts déco. Aux sujets qui fâchent on préfère substituer les réponses qui font consensus, à l’image de cette galerie de Barbie associée aux dizaines de métiers qu’elle a exercés, 150 au total. “Barbie est allée sur la Lune avant Neil Armstrong”, se félicite ainsi l’équipe.
En revanche, le discours se montre moins dupe sur l’aspect marketing des Barbie, forcées de se renouveler pour éviter quelque chose de bien plus terrible que le fait de passer de mode : tomber dans l’obsolescence. Sans la publicité, les emballages soignés, les objets dérivés, les campagnes médiatiques et publicitaires, la star des petites filles n’exercerait pas la même fascination.
Barbie a cela de fascinant qu’elle vit à la fois dans un univers parallèle, où la jeunesse est éternelle et les possibilités infinies, tout en étant ancrée dans le monde réel. Ce système unique, associé à une esthétique confinant parfois au délirant, confère à Barbie un statut à part dans la culture pop, propre à intriguer les artistes.
Andy Warhol et d’autres se sont ainsi emparés de cette figure pour créer des œuvres à part entière. Plusieurs travaux artistiques sont exposés, comme ce baby-foot très ironique ou cette déclinaison hindouiste de la jeune femme, non moins second degré.
La fascination-répulsion qu’on éprouve face à ce système en vase clos touche à son maximum à la fin de l’exposition. Face à ce ce dégradé de couleurs constitué de vêtements miniatures, le regard est saturé. Pas de place à la tristesse ni au doute. Depuis 1959, Barbie vend la vie en ultrarose. Heureusement, on n’est pas forcé de l’imiter.