Emmanuel Macron dit vouloir “gouverner par ordonnance”, mais ça veut dire quoi ?

Emmanuel Macron dit vouloir “gouverner par ordonnance”, mais ça veut dire quoi ?

“Dès l’été, je souhaite que plusieurs textes soient présentés. La simplification, d’abord. Fin mai ou début juin, un projet de loi d’habilitation permettra au gouvernement d’agir par ordonnances. […] Je souhaite introduire dès l’été un projet de loi d’habilitation pour simplifier le droit du travail et décentraliser la négociation. Il s’agit de donner plus de place à l’accord majoritaire d’entreprise ou de branche, d’une part, d’encadrer les décisions des prud’hommes, d’autre part. Le tout par ordonnances, pour procéder de manière rapide et efficace.”

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Selon Le Monde, il ne s’agit pas d’un fait exceptionnel. En effet, François Hollande y a eu recours durant son quinquennat et, entre 2007 et 2012, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a utilisé cette méthode à 136 reprises. Pourtant, dès jeudi 11 mai, avant même que la passation de pouvoir entre François Hollande et Emmanuel Macron n’ait eu lieu, une tribune voyait le jour dans Le Huffington Post, intitulée “À Emmanuel Macron qui veut passer la loi travail II par ordonnances, c’est toujours non merci !” Cette lettre, cosignée par les candidats aux législatives de la France insoumise, Caroline de Haas et François Ruffin – le réalisateur de Merci Patron ! −, exhorte le président à “retrouver la voie de l’intérêt général” en renonçant aux ordonnances et invite toute personne qui le souhaite à signer leur pétition en ligne, sur un site intitulé www.loitravail.lol. Ils s’expliquent en ces termes :

“Pour contourner notre désaccord massif, il semble que vous ayez trouvé la solution. Plus rapide qu’un débat à l’Assemblée, plus facile qu’une négociation avec les syndicats et plus pratique que le 49-3 : les ordonnances. […] Pour quelqu’un qui affirme vouloir renouveler la vie politique, on peut dire que vous posez le décor.”

Le pouvoir exécutif se substitue au pouvoir législatif

Pour comprendre l’inquiétude de nombreuses personnes face à cette méthode, il faut en préambule rappeler qu’en temps normal, le gouvernement prononce des décrets, tandis que les assemblées législatives adoptent des lois, lesquelles ont toujours une valeur supérieure auxdits décrets. L’ordonnance bouleverse ce mode de fonctionnement. En effet, il s’agit une disposition prévue par l’article 38 de la Constitution de 1958 qui instaure la possibilité pour un gouvernement, si le Parlement lui en donne l’autorisation, de prendre des mesures “par ordonnance” au lieu de les faire passer par l’Assemblée nationale et le Sénat comme le veut l’usage lorsqu’on légifère.
Pour résumer, le Conseil des ministres se substitue à l’Assemblée nationale puisque l’on adopte des mesures sans qu’il y ait discussion préalable ou modification du texte par les députés ou les sénateurs. De manière plus détaillée, voici ce que dit le texte de loi à ce propos :

“Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. À l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.”

Il y a donc un délai durant lequel l’Assemblée doit adopter cette ordonnance afin qu’elle devienne loi. Si cela n’est pas le cas, elle a ainsi vocation à rester simple décret et donc à avoir une valeur inférieure à la loi. Le gouvernement doit en outre demander au Parlement son aval afin de gouverner par ordonnance. S’il accepte, cette disposition est instaurée via une loi d’habilitation, c’est-à-dire une loi qui définit le cadre, à savoir les domaines qui sont touchés par la mesure ainsi que la durée durant laquelle le gouvernement pourra gouverner ainsi. Si cela est validé par le Conseil d’État, le Conseil des ministres peut alors commencer à gouverner par ordonnance. Mais cela n’est pas fini : comme le précise L’Express, le président de la République doit ensuite signer ce texte et, comme expliqué précédemment, ce dernier devient loi si le Parlement le décide.

De l’importance d’avoir une majorité parlementaire en juin

On comprend donc aisément l’importance pour Emmanuel Macron que son mouvement, récemment rebaptisé La République en marche, obtienne une majorité parlementaire lors des élections législatives de juin. Dans le cas contraire, il est logiquement impensable que des députés de l’opposition lui donnent leur accord pour légiférer à leur place. Et étant donné la forte mobilisation qu’avait occasionné la loi Travail, on peut supposer qu’une autre modification du Code du travail, comme le souhaite Emmanuel Macron, rencontre de vives oppositions.
Jeudi 11 mai, La République en marche a dévoilé 450 candidats (sur 577 en tout) investis pour les élections législatives de juin prochain. Il faut désormais qu’Emmanuel Macron attende un peu plus d’un mois afin de savoir s’il lui sera possible de gouverner par ordonnance ou non.