Ebola : comment j’ai contaminé Internet avec un zombie

Ebola : comment j’ai contaminé Internet avec un zombie

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Par Théo Chapuis

Publié le

En cinq étapes, pas une de plus, on s’est mis à la place du troll des Internets qui a réussi à faire croire à une bonne partie des réseaux sociaux que l’inquiétant virus Ebola avait le visage d’un zombie sorti d’un blockbuster. 

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1. L’introduction

Ebola, Ebola, Ebola. Ebola partout, Ebola tout le temps. Ça fait désormais depuis le mois de juillet que l’inquiétant virus traîne la morgue qui accompagne son nom dans les colonnes de l’actualité. Il faut dire qu’il évolue de manière préoccupante : Guinée, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Libéria, puis Nigéria, RDC… et même États-Unis.
Il court, il court, l’Ebola. Et il se débrouille plutôt bien, en plus. Selon l’OMS, à la date du 6 octobre, il aurait déjà emporté 3 439 personnes en Afrique de l’Ouest pour 7 478 malades déclarés. Mais si ce n’était que ça.
Le plus affreux, finalement, ce sont ces quelques images de pauvres hères touchés par la maladie et que tout le monde a pris grand soin de scruter avec la fascination du désespoir. Cet homme allongé et mourant, en pleine rue, duquel personne n’ose s’approcher pour lui venir en aide, pas même la police. Ou cet autre qu’on a tout simplement laissé devant l’hôpital et que personne ne veut aider… et que même ses parents ne veulent plus toucher. Malaise, hein ?

2. Le zombie

Finalement, l’horreur de cette contamination finit par ressembler de plus en plus à l’introduction d’un sacré nombre de fictions. Pour un peu, on se laisserait croire qu’Ebola est le premier stade d’une invasion de zombies globale. Depuis la trilogie Le Fléau de Stephen King à 28 Jours Plus Tard de Danny Boyle, ce ne sont pas les parallèles cinématographiques qui manquent.
Et la raison est assez évidente : depuis une quarantaine d’années, dans notre inconscient collectif submergé par des informations en tous genres, un fond grandit, progressivement, en nous : la peur d’une menace, sous la forme d’une explosion, d’une bactérie lâchée en plein métro, d’un virus vigoureux qui se baladerait à poil, dans l’air ; devant lequel nous serions tous égaux : le riche, le pauvre, le jeune, le vieux, le noir, le blanc, l’homme, la femme… Puisque les humains ne parviennent pas à se retrouver dans la paix, réunissons-les dans la mort !
Pas étonnant avec cette ambiance de merde que les zombies crèvent l’écran : l’œil vitreux, les pores dégoulinants, le zombie est l’être horrifique le plus en phase avec nos angoisses, réussissant au fil des années à s’adapter, à toutes les embrasser.
Du coup, j’ai décidé de prendre un film qui a bien marché histoire de répondre à cette “actualité Ebola”. C’est même le plus gros succès d’un acteur chéri par le tout Hollywood, Brad Pitt. Son nom ? World War Z, dont l’histoire est tirée d’un bouquin qui revient sur la progression d’un virus ayant transformé une bonne partie de la population mondiale, après son éradication. J’ai même lu sur Konbini que c’était pas terrible-terrible.

J’aurais pu prendre un bon vieux film de George A. Romero pour brouiller les pistes, mais non. Un bon blockbuster, au succès mondial, avec 540 millions de dollars de recettes, ça fera l’affaire.

3. La création

4. La diffusion

… qui prend très bien sur les sites satiriques/conspirationnistes, en général. Tiens, voilà déjà l’image reprise le 30 septembre par le site Big American News. Une adresse fiable ? Pas du tout, comme le prouvent cet brève alarmiste sur la proximité de Barack Obama avec Daesh ou encore cette enquête édifiante sur la démocratisation des sabres laser parmi les gangs.
Mais peu m’importe ! Il est déjà trop tard et l’infection galope désormais sur la toile comme une araignée pourchassant sa proie. La preuve : comme le montre cet article de Slate, la mention du “zombie Ebola” est de plus en plus populaire sur Twitter.
Rien de plus simple que de créer la rumeur, en soi. Résumons : il suffit d’extraire le fantasme du factuel, ajouter un brin de sensationnel, créer une image renvoyant à la pop culture et identifiable du plus grand nombre… ne reste plus qu’à souffler sur les braises de la peur. Le feu dévorant du hoax se nourrit alors de lui-même : nous sommes dans l’ère du partage numérique.

5. L’explication

Et quel plaisir de voir les médias devoir ensuite essuyer les plâtres à grands coups d’articles titrés “Non, il n’y a pas de d’invasion de zombies à cause d’Ebola”, comme si ça pouvait réellement être le cas.
Pourquoi j’ai fait ça ? Pour le plaisir de voir la bêtise s’emparer du plus grand nombre. Pour faire face au vertigineux pouvoir de propagation d’Internet dont le pouvoir de brouiller les pistes entre informations et rumeurs est absolument effrayant. Parce que plus c’est gros et plus ça marche. Parce que le trolling.
Parce qu’Internet, quoi.
Co-écrit par Louis Lepron et Théo Chapuis