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Meurtre, sexe et alcool : dans l’enfer d’un week-end d’intégration

Meurtre, sexe et alcool : dans l’enfer d’un week-end d’intégration

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Par Louis Lepron

Publié le

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À l’occasion de la sortie du film WEI OR DIE, en avant-première sur Konbini, on a posé quelques questions à son réalisateur, Simon Bouisson. Avec son aide, on a édicté les six commandements qui ont été à la source d’une fiction pas comme les autres.
Cette fiction, elle plonge le spectateur, à l’aide de différents médiums proposés de manière interactive sur la Toile (des smartphones, un drone, des caméras plus classiques) dans les affres d’un week-end d’intégration, dont on sait dès le départ qu’il a tourné au drame. L’idée ? Faire que le lecteur devienne défricheur, flic, enquêteur, afin de comprendre ce qu’il s’est réellement passé.

1. Une idée tu auras

La première question qu’on a donc posée à Simon Bouisson, c’est celle de son projet. D’où vient-il ? Un mélange entre soirée, CNC et un univers qui collait au format :

Le point de départ, c’était à une soirée à laquelle je participais à Paris. Des personnes discutaient et j’ai pensé à la possibilité de récupérer ces images pour retranscrire différents points de vue. Lorqu’on a approché le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour recevoir des financements, il a fallu qu’on établisse une histoire crédible.
Septembre 2013, une info a fait la une : lors d’un bizutage qui se déroulait en Belgique, à Liège, une étudiante française a frôlé la mort. Refusant de prendre de la bière, elle est contrainte de boire de grandes quantités d’eau, jusqu’à s’effondrer, victime d’un œdème cérébral. C’est de là qu’est partie notre envie de raconter un week-end d’intégration.
C’est l’univers idéal pour établir une fiction. Le fond et la forme collaient, étant donné qu’il nous permettait de mettre en place l’aspect “found footage” [un genre cinématographique popularisé par le film Projet Blair Witch, ndlr] et de sentir qu’on est en train de voir de vraies images de week-end d’intégration. D’ailleurs, quand on a pensé la communication de WEI OR DIE, on a pensé mettre en ligne des images qu’on avait tournées, comme s’il s’agissait de vidéos qui avaient fuité.

2. Une fiction tu réaliseras

Une fiction parfois très réaliste, voilà comment Simon Bouisson caractérise WEI OR DIE :

Après la diffusion du trailer, il y a eu deux types de réactions. Ceux qui défendent leur bout de gras, comme certains BDE qui se donnent beaucoup de mal pour faire des WEI dignes de ce nom. Et ceux qui n’ont pas fait ce genre d’écoles et qui affirment : “Regardez ces sauvages, l’élite de notre société, regardez d’où elle vient”.
Ce qu’il faut avoir en tête, c’est qu’il s’agit d’une fiction, ce qui implique qu’il y ait une exagération des situations, parfois dramatiques. Pour autant, si c’est une fiction, il n’y a pas un élément dans le film qui n’est pas tiré d’un fait réel.
On a tapé “WEI” sur YouTube, on a maté des heures et des heures de rush, sans compter les actualités qu’on a compilées. WEI OR DIE est un mashup de toutes les pires dérives de ce type d’évènement. Je dis ça mais j’ai aussi rencontré beaucoup d’étudiants en école de commerce qui, quand je leur ait fait lire les premières versions de scénario, m’ont dit que je ne me rendais pas compte de la folie, à quel point ça pouvait aller très loin, à tel point ça pouvait par exemple baiser dans tous les coins.

3. Un rituel tu décriras

Après des mois de recherche, le réalisateur a pu se faire une idée un peu plus précise des WEI :

Le WEI est tellement un rituel que tu ne le remets pas en question. Il y a une normalité à accepter certains comportements. Ce qu’on raconte avec WEI OR DIE, c’est la manière dont un groupe, alors que ses individualités sont tout à fait normales, devient monstrueux. Malgré tout, je ne jette pas la pierre, je pense que c’est parfois drôle et la plupart du temps les dérives sont ludiques. Après, chaque école, chaque BDE, a ses habitudes.
Car tous les WEI ne sont pas comparables. Par exemple, ceux en école de médecine peuvent être trash : on balance des tampons alors qu’il y a du sang de règle dessus, on t’envoie même de la merde. Mais psychologiquement, ils sont moins durs que ceux en écoles de commerce, et ce pour une raison : il y a l’enjeu des réseaux.

Et de souligner un “ascenseur social” fulgurant, composé d’alcool, de jeux et parfois de bizutages :

Je trouve intéressant de réfléchir à cette pression, à cette angoisse, à l’idée de débarquer dans un ascenseur social : en 24 heures tu vas vivre ce que certains mettent cinq ans à traverser, pour ceux qui ne passent pas par ces rituels. Si tu ne t’intègres pas dans l’école, tu ne t’intègres pas dans la vie. Je ne veux pas que WEI OR DIE soit un film de prévention, mais qu’il questionne ces phénomènes, qu’il questionne l’angoisse de la jeunesse.
Dans le cadre de mes recherches, j’ai tenté de participer à l’un d’eux, mais toutes les écoles ont refusé, elles avaient peur. Pour une interview, j’ai essayé de faire venir un participant, mais je n’en ai trouvé aucun qui veuille témoigner. À la différence d’un militaire qui va désapprouver et critiquer les bizutages à l’armée, aucun étudiant sorti d’un WEI n’osera parler.
Pourquoi ? Parce qu’au cours de sa vie il ne quittera jamais ses réseaux, il sera toujours entouré de la même bande, de la même organisation, et ce sera mal vu de cracher dans la soupe. Je peux comprendre que quand tu es un 2A, tu te sens un peu le chef de l’école, tu veux faire comprendre aux petits nouveaux qu’ils sont sur ton terrain. Quand ces mêmes 1A ont passé le rite, ils savent qu’ils vont le reproduire quelques mois plus tard. Avec forcément l’idée de faire mieux, parfois d’aller plus loin.

4. Le “rapport choquant aux filles” tu déploreras

Mais s’il y a bien un aspect qui a marqué le réalisateur au cours de ses recherches, c’est la place des femmes dans les week-ends d’intégration :

Le plus choquant dans tout cela, c’est le rapport aux femmes, la misogynie : elles prennent très chers, plus que les garçons, qui sont potaches ou crades entre eux. Les filles, c’est de l’ordre de l’humiliation.
Ce n’est pas lors de ces week-ends que l’image de la femme est la mieux préservée. Finalement, ces environnements universitaires représentent déjà les milieux qui seront, dans les années à venir, aux postes de pouvoir [20,8%, c’est par exemple le taux de femmes présentes dans les conseils d’administration du CAC 40, ndlr].

5. Des références tu utiliseras

Pour les références, Simon Bouisson n’hésite pas à citer Harmony Korine comme Abdellatif Kechiche :

Je ne vois pas en quoi WEI OR DIE va donner une mauvaise image des week-ends d’intégration. Ça va juste lever le voile sur un évènement qu’on connait peu, car aucun film ou documentaire n’a été réalisé sur le sujet.
En tête, j’avais La Crème de la crème pour le contexte, soit une école de commerce. Mais j’ai surtout eu en tête Harmony Korine, le réalisateur de Spring Breakers, une référence incontournable, The Bling Ring de Sofia Coppola ou encore, pour le côté formel, Projet X ou Very Bad Trip pour remonter le temps. En France, on a eu droit à Babysitting dans le même style.

Pour ce qui est de caster les comédiens, mes références étaient plus portées vers Abdellatif Kechiche ou Maurice Pialat. J’ai fait en sorte de dénicher des acteurs qui soient ouverts, prêts à sortir du texte, avec une capacité à improviser. Parfois, les comédiens étaient en état de transe. Je voulais un cinéma de vérité.

6. Organisé tu seras

Bon. Et côté organisation, ça s’est passé comment ?

Trois ans et demi pour monter le projet, soit plus long qu’une fiction traditionnelle. Il a fallu vendre et tester le dispositif. En tout, ça a coûté 450.000 euros pour 11 jours de tournage et 90 minutes d’images, soit environ 9 minutes par jour. Devant la caméra, 15 comédiens principaux et 150 figurants. Si au début la fiction se réalise à travers des médiums de qualité médiocre, comme des smartphones, on évolue progressivement vers un matériel plus professionnel.
On avait l’idée que les gens allaient oublier le format lorsqu’on rentre dans la nuit. L’aspect interactif compte beaucoup dans mon projet, le fait de devenir responsable de la narration. On a choisi un univers capable d’attirer les spectateurs, de le mettre en situation.