Décès de Gordon Willis, légendaire directeur photo du “Parrain”

Décès de Gordon Willis, légendaire directeur photo du “Parrain”

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Par Constance Bloch

Publié le

De l’armée à la publicité

C’est pendant la guerre de Corée, au cours de son service militaire, que le jeune Willis fait ses armes en tant que photographe et caméraman dans l’armée. Il réalise alors de nombreux documentaires et y passe douze ans de sa vie. Après avoir mis un point final à sa carrière au sein de l’US Air Force, Willis revient à New York et intègre une agence de publicité dans laquelle il rencontre le directeur de la photographie Michael Chapman (Taxi Driver), qui œuvrera sous ses ordres pendant près de six ans.
Ce n’est qu’en 1970 que Gordon Willis travaille pour la première fois en tant que chef opérateur sur End of the Road d’Aram Avakian. Cette première expérience fructueuse lui permet de trouver sa voie et lance définitivement sa carrière dans le septième art. Deux ans plus tard, il se retrouve pour la première fois à collaborer avec Francis Ford Coppola sur Le Parrain, et son travail est largement salué par la profession et la critique.
Le réalisateur disait à son sujet :

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Il a un sens inné de la structure et de la beauté, un peu comme un artiste de la Renaissance.


Pour ce film, il utilise pour la première fois de la lumière verticale et forge ainsi l’univers visuel de la trilogie. Par la suite, il façonne la lumière des deux autres volets de la saga et s’associe entre temps à Woody Allen sur le film qui changera à tout jamais la carrière du réalisateur.
Les deux hommes que tout oppose (Willis étant réputé pour son extrême sérieux) vont ainsi collaborer sur le chef d’œuvre Annie Hall en 1977, et cette étrange association permet à Woody Allen d’étoffer son travail de réalisation et amorce une nouvelle phase de son œuvre, dans laquelle il révèle la diversité et la profondeur de son talent.

Une touche unique

Par la suite, Gordon Willis shootera sept autres de ses films :  Intérieurs, Manhattan, Stardust Memories, Comédie érotique d’une nuit d’été, Zelig, Broadway Danny Rose et La Rose pourpre du Caire. Ses éclairages les plus emblématiques restent ceux de l’inoubliable Manhattan. C’est d’ailleurs lui qui a eu l’idée de tourner en noir et blanc. Willis est également à l’origine de la photographie des films puzzles d’Alan Pakula, avec lequel il a collaboré à six reprises (notamment sur Klute en 1971 et pour le dernier film de sa carrière, Ennemis rapprochés, en 1997.)


Si les réalisateurs lui sont fidèles, ce n’est pas un hasard. Willis est réputé pour sa photographie sombre et unique, ce qui lui vaut le surnom de “Prince des Ténèbres”, employé pour la première fois par son ami Conrad L. Hall (qui a signé l’image de American Beauty). Parmi ses signatures esthétiques on retrouve celle qui consiste à ne pas constamment éclairer les yeux des acteurs et son goût de filmer durant les premières et dernières heures du soleil, pour donner aux images une atmosphère nostalgique. Par ailleurs, il était le maître incontesté des contrastes et domptait comme personne le passage de l’ombre à la lumière.

Les bons films ne sont pas faits accidentellement, tout comme la bonne photographie. Il peut y avoir de bonnes choses qui arrivent de temps en temps par hasard pendant un tournage, mais le travail ne se structure pas comme ça, sauf quand il s’agit de publicité pour de la bière. – Gordon Willis

La carrière de Willis ne compte pas beaucoup d’échecs, si ce n’est en 1980, lorsqu’il s’essaye à la réalisation avec Windows, qui fait un flop et tombe rapidement dans l’oubli. Il est nominé deux fois aux Oscars pour son travail (sur Zelig et sur le troisième volet du Parrain), mais n’en remporte aucun. Peut-être en raison de sa personnalité sévère – et presque austère – qui aura eu tendance à déranger le système hollywoodien.
En 1995, il reçoit un prix pour l’intégralité de son œuvre décerné par l’ASC (American Society of Cinematographers) et un Oscar d’honneur lui a finalement été remis il y a cinq ans. Aujourd’hui, une légende s’est éteinte, mais son travail a marqué à tout jamais l’esthétique du cinéma américain de la fin des années 70.