La Cour européenne des droits de l’Homme a statué sur la condamnation de deux hommes jugés pour avoir brûlé la photo du roi et de la reine d’Espagne. L’institution a annulé leur peine, faisant prévaloir la liberté d’expression.
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Lundi 12 mars, la Cour européenne des droits de l’Homme a statué et décidé d’annuler le jugement qui condamnait pour “injure à la couronne” Enric Stern Taulats et Jaume Roura Capellera. Les deux hommes étaient poursuivis pour avoir brûlé la photo du couple royal d’alors, Juan Carlos de Borbón et Sofía de Grecia, lors d’une manifestation indépendantiste en 2007.
Leur peine de 15 mois de prison avait été commuée en une amende de 2 700 euros chacun après un procès en appel. En octobre 2017, les deux hommes ont saisi la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a finalement décidé de les absoudre à l’unanimité, estimant “qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme”, qui consacre la liberté d’expression.
Les juges ont reconnu ce procédé comme étant plus une opération visant à attirer l’attention des journalistes qu’une incitation à la violence sur les personnes du roi et de la reine :
“[Cet acte] s’inscrivait donc dans le cadre de l’une de ses mises en scène provocatrices qui sont de plus en plus utilisées pour attirer l’attention des médias et qui ne vont pas au-delà d’un recours d’une certaine dose de provocation permise pour la transmission d’un message critique sous l’angle de la liberté d’expression.”
La Cour a donc pris l’arrêt suivant : “La sanction pénale imposée aux requérants [constituait] une ingérence dans la liberté d’expression qui n’était ni proportionnée au but légitime poursuivi, ni nécessaire dans une société démocratique”, comme le rapporte Ouest France.
En conséquence, l’État est sommé de payer 2 700 euros et 4 500 à chacun pour “dommage matériel” ainsi que pour les “frais et dépens”.
Une décision importante dans un contexte de grande méfiance
Cette prise de position intervient dans un contexte très particulier où de nombreuses condamnations judiciaires en Espagne sont accusées de menacer le principe de liberté d’expression.
Au mois de février, c’est le rappeur espagnol Valtonyc qui avait écopé d’une peine de prison de trois ans et six mois ferme pour “apologie du terrorisme”, “menaces” et “injures à la couronne” pour des paroles de chanson dans lesquelles il injuriait le roi et faisait l’apologie des groupes terroristes ETA et Grapo. Suite à sa condamnation, le rappeur avait déclaré : “Si j’avais su j’aurais buté quelqu’un, j’aurais pris moins cher”.
L’ONG Amnesty International a récemment publié un rapport pour alerter sur les dangers de la loi antiterroriste espagnole. Intitulé “D’artiste à journaliste, les victimes de la loi antiterroriste en Espagne”, ce texte pointe du doigt les dérives d’un texte de loi adopté en 2015 et met en garde au sujet de la nécessité de protéger les droits fondamentaux.
Surnommée “loi bâillon”, cette loi permet de condamner pour “apologie du terrorisme” mais serait, selon ses détracteurs, utilisée à outrance. Dans un autre rapport global au sujet des lois “disproportionnées” en Europe, Amnesty épinglait l’Espagne :
“Le Code pénal espagnol donne une définition tellement large de l’infraction de ‘glorification’ ou d”encouragement’ du terrorisme qu’il risque de criminaliser des formes légales d’expression.”
Il prend notamment l’exemple d’une jeune étudiante, Cassandra Vera, qui a été condamnée à un an de prison avec sursis ainsi qu’à l’interdiction de travailler dans la fonction publique pendant sept ans pour une mauvaise plaisanterie sur Twitter.
Plusieurs personnalités publiques comme Pablo Iglesias et Carles Puigdemont se sont prononcés. Ils ont déclaré craindre que les droits humains fondamentaux ne “soient en danger” :
? 'Tuiteja... si t'atreveixes': @amnesty denuncia l'ús d'enaltiment del terrorisme a Espanya per reprimir la llibertat d'expressió i adverteix que és una amenaça pels drets humans fonamentals #FreePoliticalPrisoners ?https://t.co/geJHiJeSp9
— Carles Puigdemont ? (@KRLS) 13 mars 2018
Amnistía Internacional y el TEDH vuelven a certificar que la libertad de expresión y los derechos humanos corren peligro en España. pic.twitter.com/C5UQLg1wvj
— Pablo Iglesias (@Pablo_Iglesias_) 13 mars 2018