Comment Quentin, 23 ans, s’est infiltré chez les jeunes du Front national

Comment Quentin, 23 ans, s’est infiltré chez les jeunes du Front national

Pour un documentaire passionnant, diffusé sur C8 le 15 mars dernier, le jeune reporter Quentin Pichon a pénétré le FNJ, l’organe jeunesse du Front national, à Nice. 

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Mercredi 15 mars, C8 diffusait La Face cachée du Front national, un documentaire coréalisé par Quentin Pichon et Céline Crespy. Pendant deux mois, Quentin a infiltré le FNJ (le Front national de la jeunesse) de Nice en se faisant passer pour un sympathisant d’extrême droite.

L’histoire commence début décembre 2016, lorsque TV Presse Productions décide d’enquêter sur le mouvement des jeunes du Front national. Ses journalistes envoient au FN plusieurs demandes de reportages qui restent sans réponse. Face au mutisme du parti de Marine Le Pen, la production décide d’envoyer Quentin Pichon pour infiltrer le mouvement à Nice, ville connue pour être l’un des bastions du FNJ.

Alors qu’un jeune sur trois se dit prêt à voter Marine Le Pen à l’élection présidentielle et que le Front national est le premier parti chez les moins de 25 ans, les journalistes ont voulu “essayer de comprendre ce phénomène”, raconte Quentin. “Ça nous intriguait de voir pourquoi les jeunes s’investissent dans ce parti alors qu’à cet âge-là, on a plutôt envie de s’ouvrir au monde”, explique-t-il.

Il faut dire que “le premier mouvement jeune de France”, comme le dit le site Internet du FNJ, est un véritable tremplin pour les jeunes qui voudraient se lancer en politique sans expérience. Aux dernières élections régionales de 2015, plus de 200 candidats avaient moins de 25 ans, apprend-on dans le reportage. Pour le FN, qui cherche à gommer sa réputation de parti dangereux, rien de mieux que ces jeunes visages pour assagir son image.

Immersion au sein de la jeunesse du parti

Quentin est journaliste à Paris depuis trois ans, et le domaine où il excelle, c’est la caméra cachée. Même s’il a l’habitude des infiltrations, filmer le Front national à son insu, alors que le parti refuse les journalistes de Quotidien et Mediapart à ses meetings, n’a pas été chose simple. Fin janvier, le jeune reporter, qui a étudié à l’École de journalisme de Cannes, arrive à Nice, ville qu’il connaît bien et où il restera deux mois durant, sous l’étiquette de jeune militant du Front national.

À son arrivée, Quentin se rend au siège du FN, qui connaît alors un changement de direction. Bryan Masson, étudiant en khâgne (classe préparatoire littéraire), vient tout juste d’être intronisé à la tête du FNJ local. Le jeune homme aux allures d’homme politique bien dans son costard est entré au Front national à 15 ans comme militant, il est aujourd’hui, à 20 ans secrétaire départemental du FNJ dans les Alpes-Maritimes.

Du haut de ses 23 ans, Quentin se présente auprès de Bryan Masson et des jeunes militants FN comme un sympathisant d’extrême droite qui a une période de vacances jusqu’au mois de mai et souhaiterait “aider” le parti. Aussitôt dit, aussitôt fait, il rejoint la troupe de militants dont il devient le membre le plus vieux.

Quentin va suivre Bryan tout au long du reportage. Celui-ci emmène les troupes faire du tractage sur les marchés, vire “les vieilles”, comme il le dit, de la permanence FN et assène que les militants de son propre parti sont des “chochottes, des tapettes”, que ce ne sont pas des “durs”, comme “les vrais”, c’est-à-dire les identitaires, qu’il fréquente assidûment, comme le dévoile le reportage.

“Si tu adhères pour une seule idée, tu finiras par être convaincu par toutes”

Quentin va ainsi filmer tous ses déplacements et réunions avec le FNJ, des tractages sur les marchés jusqu’aux soirées le soir dans des bars identitaires. Chez les jeunes “il y a un peu de tout, des gens très politisés qui ont un énorme appétit pour la politique comme Bryan, et d’autres qui le sont beaucoup moins. Tout parti politique est une machine à broyer idéologiquement, si tu adhères pour une seule idée, tu finiras par être convaincu par toutes”, affirme Quentin.

Mais au FNJ, il y a surtout des garçons. Quentin raconte n’avoir croisé qu’une seule fille. Les jeunes militants appellent la candidate “Marine” comme si c’était une copine, pour ne pas l’associer à son père Jean-Marie expliquent-t-ils à l’infiltré. Marine par-ci, Marine par-là, dans le documentaire on les entend parler de la présidente du FN, qu’ils n’ont pour la plupart jamais vue, avec une certaine familiarité qui participe au jeu de la dédiabolisation auquel les jeunes militants sont bien plus forts que les anciens.

“Des méthodes de voyou et de paresseux”

Sur le terrain, aucun mot raciste, et quand un jeune militant affirme devant des caméras japonaises et allemandes que “les homosexuels c’est pas [son] délire”, Bryan Masson le vire aussitôt. “C’est quelqu’un qui maîtrise très bien sa communication, explique Quentin. Même s’il est très proche de la sensibilité identitaire, il n’a tenu aucun propos raciste”, ajoute-t-il. Les jeunes manieraient donc à merveille le double discours du Front national, car le soir, en dehors des bureaux du FN, les mots s’échappent et dévoilent l’autre visage, beaucoup moins tendre, de ces jeunes recrues.

Alors que Nicolas Bay, secrétaire général du FN parle de méthodes de voyou, mais aussi de méthodes de paresseux”, Quentin souligne l’importance “d’essayer de comprendre comment fonctionne un parti aussi puissant de l’intérieur”. Pour discréditer le reportage, le Front national s’est livré à ses intox habituelles, racontant que ce dernier était bidonné. Aussitôt les confrères enquêtent, et révèlent une fois de plus, les méthodes peu scrupuleuses du parti pour qui le sens de la vérité n’est pas une priorité.

En attendant, le documentaire a eu des effets concrets, puisque Benoît Loeuillet, conseiller régional FN à Nice et ex-dirigeant identitaire a été suspendu du parti pour avoir tenu des propos négationnistes devant la caméra de Quentin. Contraint à la démission, il a annoncé vouloir porter plainte contre le journaliste et sa production. On vous laisse juger qui a vraiment “des méthodes de paresseux” et “de voyou”.