De la photo engagée au pop art, focus sur sept artistes pour qui le roi de la pop était une muse.
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KAWS, pour le magazine “Interview”, septembre 2009. (© KAWS/”Interview”/Photo : Farzad Owrang/ADAGP, Paris 2018)
Nul ne doute encore de l’influence qu’a eu Michael Jackson dans l’histoire de la pop culture. En revanche, peu ont conscience de l’impact que le roi de la pop et son œuvre ont eu sur le monde de l’art contemporain.
Jusqu’au 14 février, l’exposition “Michael Jackson : On the Wall”, au Grand Palais, explore les rapports entre le chanteur et l’art, et marque les (presque) dix ans de sa mort. Elle réunit une quarantaine d’artistes internationaux qui ont pensé leurs œuvres – politiques, engagées, ou tout bonnement esthétiques – par, pour et autour de Jackson, “plus vivant que jamais”.
Protéiforme, cette expo met en avant des œuvres des années 1980 à aujourd’hui. Photographies, peintures, installations, performances, sculptures, vidéos : l’empreinte qu’a eue Michael Jackson, à travers ses morceaux, ses clips et sa personnalité, sur la création contemporaine est multiple et présentée sous toutes les coutures, notamment à travers le prisme du dédoublement, du masque et de la métamorphose. Et il est impossible de ne pas remuer des épaules, fredonner et taper du pied, durant le parcours. Retour sur sept artistes qui ont fait du roi de la pop une muse.
Andy Warhol, ou quand le maître du pop art rencontre le roi de la pop
Andy Warhol, “Michael Jackson”, 1984, acrylique et encre sérigraphique sur toile, The Andy Warhol Museum, Pittsburgh ; Founding Collection. (© Andy Warhol/The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc./ADAGP, Paris 2018)
Andy Warhol a été le premier artiste à s’intéresser de très près à Michael Jackson. Leur relation remonte aux débuts des années 1970, et c’est lors d’un entretien en 1977 que les deux artistes se sont liés. Au cours de cet entretien, ils abordaient le rôle de Michael Jackson dans le film The Wiz, une adaptation de la comédie musicale Le Magicien d’Oz, réalisée par Sidney Lumet avec des acteurs afro-américains, et sorti en 1978. Suite à cette rencontre, Andy Warhol s’est passionné pour tout ce que Michael Jackson incarnait. Il s’est mis à le photographier pendant des années et à collectionner des souvenirs et objets lui faisant référence.
En 1982, Warhol choisit une image de Jackson pour la couverture de son magazine Interview, et en 1984, il utilise un de ses propres portraits (ci-dessus) pour illustrer une couverture du Time et leur article intitulé “Pourquoi il est un Thriller”. Une belle rencontre entre le roi de la pop et le roi du pop art. Andy Warhol devient alors le premier artiste à représenter Michael Jackson dans des œuvres pop.
Ce portrait est issu d’une série qu’il a réalisée sur soie, en ayant recours à la technique de la sérigraphie. Après la mort de Warhol, en 1987, Jackson lui rend hommage dans son clip “Scream” (sorti en 1995, avec sa sœur Janet Jackson), en insérant un autoportrait de l’artiste intitulé Self-Portrait (1986).
Todd Gray et Faith Ringgold explorent la question raciale
Todd Gray, “Exquise Terreur dans la Mangrove”, 2014, tirages d’archive en couleur et cadres anciens, collection Aryn Drake-Lee Williams & Jesse Williams. (© Todd Gray/ADAGP, Paris 2018)
Né en 1958, à Gary, une ville industrielle dans l’Indiana, Michael Jackson a été le premier homme noir à acquérir une célébrité internationale d’une telle envergure dans le monde de la musique, et à briser les stéréotypes de l’époque concernant les Afro-Américains. Des années 1970 aux années 1980, grâce aux Jackson Five, il est devenu un modèle pour la jeunesse afro-américaine qui a projeté ses idéaux et rêves sur lui.
Plus tard, des artistes ont également abordé à travers lui des questions sociales et raciales au cœur du débat de la société américaine des années 1980. Isabelle Petitjean écrit à propos de lui, dans Michael Jackson, au cœur de l’art (2018) :
“[…] Les affinités artistiques de Michael Jackson révèlent un esprit ouvert sur le monde. Elles concourent à, et sont confirmées par, une œuvre musicale pop accessible à tous, hautement fédératrice, qui a su rassembler, à une époque où le courant dominant était éminemment fragmenté, des franges du public considérées comme inconciliables.”
Et c’est davantage véridique pour les États-Unis, où le racisme post-ségrégation continuait de sévir à l’époque, et dont les stigmates ont perduré pendant de longues décennies. Michael Jackson faisait des chansons pour unir et était le reflet d’une réussite possible dans le monde de la pop pour tous les Afro-Américains. Malgré sa métamorphose, qui peut laisser supposer qu’il souhaitait renier en quelque sorte, peut-être inconsciemment, cette identité noire, le public gardait en tête l’image du petit garçon noir des Jackson Five.
Faith Ringgold, “Who’s Bad ?”, 1988, acrylique sur toile et bords en tissu, avec l’aimable autorisation d’ACA Galleries, New York. (© Faith Ringgold/ADAGP, Paris 2018)
Michael Jackson a cristallisé cette construction d’une identité africaine-américaine. À travers lui, on pouvait voir les problèmes raciaux que subissait la communauté noire, mais aussi le succès populaire qui était jusqu’alors l’apanage des célébrités blanches. Tout convergeait, il était au carrefour, comme un pivot, de différentes cultures.
Todd Gray et Faith Ringgold (ci-dessus) ont travaillé sur la question de l’identité raciale à travers son personnage, et l’ont représenté dans des œuvres où le chanteur côtoie des Ghanéens, des habitants de Harlem, de grands défenseurs des droits civiques ou encore d’autres grandes figures afro-américaines telles que Michael Jordan ou Mike Tyson.
De son côté, Faith Ringgold le fait sur un plaid qu’elle a cousu et sur lequel elle a peint beaucoup de symboles. Elle illustre une scène extraite du clip “Bad” réalisé par Martin Scorsese en 1987, dans laquelle Michael Jackson danse dans une allée à New York. Sur les bords matelassés de ce “plaid narratif”, Faith Ringgold a inscrit les noms de Michael Jackson et d’activistes noirs comme Nelson Mandela, Malcolm X, Rosa Parks et Martin Luther King, pour dénoncer les discriminations faites aux populations noires. Ayant grandi à New York, au moment de la Renaissance de Harlem, cette artiste engagée a toujours placé au cœur de son œuvre la culture noire et les discriminations raciales aux États-Unis.
Todd Gray, quant à lui, le fait à travers des installations déconstruites et fragmentaires de photos et de cadres dans lesquelles il juxtapose des photos de Michael Jackson avec des clichés documentaires du Ghana, des photos de ses fans ou des images du cosmos. À travers ses travaux, il se focalise ainsi sur “l’occultation de l’histoire culturelle des Noirs et de la diaspora africaine” : “Jackson, le corps noir le plus connu sur la planète, devient ainsi un substitut universel pour l’héritage du postcolonialisme.” Quand on le questionne sur sa vision fragmentaire du corps du chanteur, Todd Gray explique :
“Superposer les photos, recouvrir les visages, problématiser le processus de la vision, introduire des images du cosmos et combiner le tout aux clichés accumulés pendant des années de travail dans mon studio du Ghana, c’est ma manière d’additionner complexité et sens critique, d’amalgamer le temps et l’espace, et de contrer les idées préconçues sur les corps noirs.”
Gray a rencontré Jackson en 1974 et a ensuite été son photographe attitré entre 1979 et 1983. Grâce à ces années de collaboration, l’artiste possède une belle collection de portraits juvéniles du chanteur qu’il a pu exploiter dans ses œuvres plus tard, ainsi que dans une thèse où il analysait “l’impact du pouvoir postcolonial sur la construction des notions de race, de classe et de genre”.
Kehinde Wiley en a fait un roi
Kehinde Wiley, “Portrait équestre du roi Philippe II (Michael Jackson)”, 2010, huile sur toile, avec l’aimable autorisation de la galerie Stephen Friedman, Londres et de la galerie Sean Kelly, New York, collection Olbricht. (© Kehinde Wiley/ADAGP, Paris 2018)
Le peintre américain Kehinde Wiley – connu du grand public pour son portrait de Barack Obama – puise son inspiration dans le répertoire des maîtres européens et classiques du portrait à l’instar de Thomas Gainsborough, Jean-Auguste-Dominique Ingres, Joshua Reynolds ou encore Le Titien. Dans son travail, Wiley utilise l’esthétique et les techniques picturales anciennes pour des visages de l’ère moderne.
Dans son œuvre Portrait équestre du roi Philippe II (Michael Jackson) – dernière œuvre commandée par le chanteur de son vivant –, il place Michael Jackson dans la peau du roi Philippe II, et met, de ce fait, un Afro-Américain dans une posture d’homme blanc puissant. Le peintre a terminé sa peinture après la mort de Michael Jackson, pour lui rendre hommage.
En adaptant le tableau Philippe II à cheval de Pierre-Paul Rubens, peint au XVIIe siècle, Wiley s’approprie la peinture d’un grand maître, renverse les stéréotypes et remet en question les codes attachés à l’identité noire et au statut social.
“L’armure était un élément essentiel pour comprendre comment Jackson voulait être représenté. Une bonne partie de notre conversation a tourné autour de la mode, tout à la fois outil de communication et protection. Nous avons aussi parlé de sa carrière, qui évoluait, elle, également autour de ces deux axes, communication et protection”, explique Kehinde Wiley.
David LaChapelle en a fait une icône religieuse
David LaChapelle, “American Jesus: Hold Me, Carry Me Boldly”, 2009, tirage couleur chromogène, avec l’aimable autorisation de l’artiste. (© David LaChapelle/ADAGP, Paris 2018)
David LaChapelle a toujours travaillé sur une imagerie religieuse et une iconographie chrétienne propre aux Pietà. Ses sujets deviennent bien souvent des icônes contemporaines, actualisées à notre époque et incarnent des figures allégoriques.
LaChapelle considérait Jackson comme un “Jésus américain” et il a décliné cette idée en trois portraits dont les titres des œuvres sont empruntés à des paroles de ses chansons : “American Jesus: Hold Me, Carry Me Boldly”, “Archangel Michael : And No Message Could Have Been Any Clearer” et “The Beatification : I’ll Never Let You Part For You’re Always In My Heart”.
David LaChapelle, “Le chemin s’illumine”, 1998, tirage couleur chromogène, avec l’aimable autorisation de l’artiste. (© David LaChapelle/ADAGP, Paris 2018)
L’un d’eux (ci-dessus), American Jesus: Hold Me, Carry Me Boldly, pris en 2009, montre un sosie du chanteur, dans une position de martyr, tenu par un homme ressemblant à Jésus, au milieu d’une flore sauvage et brute symbolisant le paradis. Le photographe américain a réalisé ce cliché-hommage après la mort du chanteur, dont il considérait le parcours comme étant “quasi biblique” :
“L’homme le plus célèbre de la planète qui, soudain, se retrouve accusé de la chose la plus horrible qui soit [pédophilie, ndlr]… On dit de lui qu’il est mort en victime, mais non ! Il était un héros… Le jugement à son égard a été si dur, on le condamnait alors qu’il était innocent. Le monde entier l’adorait, puis il en est devenu la risée…
Ces images représentent son essence profonde, le vrai Michael… Je ne prétends pas en faire une figure religieuse ou un saint, mais pour moi, il était l’être se rapprochant le plus de cet être angélique extraordinaire qui se trouve parmi nous… Et nous avons choisi de le persécuter et de le crucifier”, déclare David LaChapelle.
En 1998, LaChapelle avait fait son premier portrait du chanteur, cette fois-ci sans sosie, pour le premier numéro du magazine Flaunt. La même année, il signe Le chemin s’illumine (ci-dessus) où il rend hommage au clip “Billie Jean” sorti en 1983.
Appau Junior Boakye-Yiadom rend hommage à sa danse
Appau Junior Boakye-Yiadom, “P.Y.T.”, 2009, ballons en latex, rubans et mocassins, avec l’aimable autorisation de l’artiste. (© Appau Junior Boakye-Yiadom/ADAGP, Paris 2018)
On sait reconnaître Michael Jackson parmi tous grâce à un seul geste, un pas de danse, une attitude, un accessoire ou une posture. Et Appau Junior Boakye-Yiadom, un artiste qui fait appel à des techniques variées pour ses installations qui ont des airs de performances, s’est penché sur un pas de danse devenu légendaire.
Son installation P.Y.T. est composée de ballons de baudruche gonflés à l’hélium attachés à une paire de mocassins positionnés sur leurs pointes. Cette sculpture renvoie à son pas mythique “The Freeze” : le chanteur faisait des pointes sur ses deux pieds.
“C’est un instant suspendu qui me fascine, à plusieurs titres. La fragilité physique (surtout associée à la jeunesse) n’en a pas moins la capacité à tenir cette pose. (N’oublions pas que c’était également un pas associé au jeune Elvis Presley dans Le Rock du bagne). La durée pendant laquelle la pose est maintenue est suffisante pour absorber et capter.
En dépit des lois de la gravité. ‘Ce qui monte doit redescendre’ physiquement et symboliquement. […] Dans mon œuvre P.Y.T. […], le remplacement des ballons au fur et à mesure qu’ils se dégonflent fait écho au travail et aux efforts constants de celui qui cherche à entretenir l’image qu’attend de lui le public”, détaille Appau Junior Boakye-Yiadom.
Candice Breitz met à l’honneur les fans et la postérité
Candice Breitz, “Le Roi (Un portrait de Michael Jackson)”, 2005, installation vidéo à 16 canaux, 42 minutes, avec l’aimable autorisation de Kaufmann Repetto (Milan) et KOW (Berlin). (© Candice Breitz/ADAGP, Paris 2018)
L’artiste Candice Breitz veut mettre en lumière la postérité de l’œuvre de Michael Jackson. Comment ses titres et son style unique continuent de traverser les époques jusqu’aux plus jeunes ? Dans son installation vidéo Le Roi (Un portrait de Michael Jackson) filmée en 2005, elle a enregistré, dans un studio berlinois, seize fans européens du chanteur, venant de différents pays et trouvés grâce à des petites annonces publiées dans des journaux et sur Internet.
“Madonna et Michael Jackson sont […] présents par leur absence, construits par les projections très recherchées qu’en donnent les fans qui achètent leurs albums, leur vouent une dévotion totale et leur confèrent leur statut de stars… C’est la dimension biographique de la pop qui m’intéresse, la manière dont elle peut devenir la bande-son d’une vie”, explique Candice Breitz.
Dans leur interprétation des plus grands hits a cappella de Michael Jackson, de “Billie Jean” à “Human Nature”, ces fans font entendre leurs accents respectifs et quelques fausses notes. Cette imperfection et cette spontanéité font du Roi une œuvre très touchante, sincère et personnelle.
Immersive et hypnotisante, cette installation fait entrer le visiteur dans une pièce où seize écrans sont disposés, un pour chaque personne qui chantonne – avec inexactitude mais énergie – l’album Thriller (sorti en 1982). À travers leurs styles vestimentaires, on peut voir des indices de leur passion pour Michael Jackson, comme “un portrait du chanteur in absentia”, un reflet de l’appartenance de ses fans et de notre imaginaire collectif.
“Michael Jackson : On the Wall”, exposition collective à voir au Grand Palais jusqu’au 14 février 2019.