“On n’a pas du tout fait la même chose pour Johnny. Pour Johnny, on a dit ‘les femmes de sa vie’. Ce n’est pas pareil de dire ‘les femmes de sa vie’ que de dire ‘les femmes qui ont bâti sa légende’.”
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— Voici (@voici) January 7, 2018
“Le monde culturel est à l’image de notre société”
Caroline De Haas refuse de parler de sexisme ordinaire à propos du traitement médiatique de la mort de France Gall. Cela reviendrait à parler de “discrimination un peu gentille”, alors que le monde culturel est selon elle imprégné de stéréotypes de tous types :
“Je considère que ce n’est pas ‘ordinaire’ quand il s’agit de sexisme, quel qu’il soit. En fait, ce qui est impressionnant, c’est que dès que l’on touche à la culture, on a le sentiment que l’on sort du monde réel et qu’on arrive dans un monde des Bisounours où il n’y a absolument aucun mécanisme de discrimination, d’invisibilité des femmes, de sexisme, de racisme ou d’homophobie.
Or, je pense que la culture est à l’image de la société. Le monde culturel, comme les mondes politique, économique, social, est à l’image de notre société et donc reproduit les stéréotypes sexistes, racistes, etc.”
Pour étayer son propos, Caroline De Haas évoque l’exemple des images qui sont choisies quand les personnalités meurent âgées : “Je pense que l’âge moyen des photos qui sont choisies quand les femmes meurent est largement inférieur à celui des photos publiées quand les hommes meurent.” D’après elle, on peut bien parler de “traitement différencié” :
“Si l’on faisait une étude des photos publiées des femmes mortes âgées et des hommes morts âgés, je pense que celles des femmes les représentent plus jeunes. Il y a un traitement différencié des femmes et des hommes, et ce à tous les niveaux : dans leur carrière professionnelle, dans leur traitement médiatique quand elles et ils sont en vie, mais aussi à leur mort.
Penser que le traitement médiatique de la mort d’une personne connue échappe par magie ou par miracle aux stéréotypes, c’est se foutre du monde et se foutre le doigt dans l’œil.”
Quand Gainsbourg se gaussait de France Gall chantant Les Sucettes
L’une des chansons les plus célèbres et sulfureuses de France Gall, Les Sucettes, a été écrite par Serge Gainsbourg en 1966. Une vidéo publiée ce 7 janvier par Le Monde revient sur l’histoire de ce tube : l’équivoque des paroles, qui tissent pendant plus de 3 minutes une métaphore sexuelle des plus évidentes, avait échappé à la jeune interprète de 18 ans.
Dans ce résumé, des extraits d’interviews de Gainsbourg revenant sur cette histoire sont particulièrement dérangeants. On y observe l’utilisation du verbe “amuser” à deux reprises dans les phrases : “Serge Gainsbourg s’est amusé à dissimuler un contenu érotique” et “Plus tard, [il] s’amusera de sa crédulité”. Alors que France Gall confie à la fin de la vidéo qu’elle s’est sentie “humiliée”, ajoutant même : “C’était horrible.”
Caroline De Haas pointe du doigt une forme de “banalisation des violences” : “Dans le monde culturel, c’est très fort, parce qu’on a tendance à penser que comme c’est de la culture, c’est pas pareil.” La militante féministe, qui salue toutefois un article du Monde justement dédié au traitement médiatique des violences faites aux femmes, explique que “ce n’est pas marrant, en fait, c’est grave”, surtout parce que “les stéréotypes structurent la quasi-totalité de la vie publique” :
“Pour les gens, Gainsbourg, ‘c’est pas si grave’, parce que c’était une ‘blague’, et ça, c’est ce qu’on appelle de la banalisation des violences. Humilier une femme publiquement et s’amuser de son humiliation, c’est une violence sexiste. Et c’est une violence dans le monde du travail : si un manager humilie publiquement un salarié et s’amuse de cette humiliation publiquement, ça peut être apparenté à du harcèlement moral, et c’est puni de deux ans de prison.
En matière de sexisme, ce type de violences est très régulièrement dévalorisé et banalisé. Que ce soit France Gall ou n’importe quelle autre artiste, comme n’importe quelle salariée ou femme politique, ce sexisme, ces violences et cette banalisation des violences sont permanents.”
Pour Caroline De Haas, au-delà du traitement médiatique sexiste du décès de France Gall, “le seul moyen de faire reculer le sexisme reste de le faire reculer, de s’en rendre compte, de l’analyser et de l’interroger”.