Alors que la voiture fonçait à 110 km/h en pilote automatique, la police californienne a manœuvré pour obliger le véhicule à ralentir. Sans réveiller le conducteur.
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(© Tesla)
Dans les décennies à venir, si le monde n’est pas englouti par une crise climatique qui emportera l’espèce humaine dans les limbes de l’extinction totale, les routes devraient progressivement devenir le terrain de jeu des voitures entièrement autonomes. Et le taux d’accident graduellement descendre jusqu’à devenir parfaitement négligeable.
Entre nos 3500 victimes dénombrées l’année passée sur les routes françaises et cette utopie à la Minority Report, nous allons cependant avoir droit à une phase de transition assez étrange, le temps que la technologie et la législation accordent leurs violons.
Un monde où les voitures seront techniquement capables de vous transporter d’un point A à un point B sans aucun problème et dans à peu près toutes les conditions imaginables, mais qui possédera toujours un volant et des pédales histoire de prétendre aux yeux de la loi et de ses représentants en uniforme que c’est toujours homo sapiens qui tient les commandes. Ce monde, c’est celui de la décennie qui vient, et elle n’attend même pas de débuter pour nous offrir ses premiers paradoxes légaux.
Le 30 novembre dernier, sur l’immense et californienne Highway 101, à 3h30 du matin, la police locale a pris en chasse une Tesla Model 3 qui fonçait sur l’autoroute à 70 miles par heure (soit 110 km/h). Après moults appels de phares et de sirènes pour forcer le véhicule à se ranger sur le bas-côté, les agents de la California Highway Patrol (CHP) réalisent que son conducteur est non seulement saoul mais en plus endormi au volant, visiblement très habitué à l’option Autopilot des Tesla.
Selon le croustillant rapport de police, les deux voitures de la maréchaussée se sont ensuite placées respectivement devant et derrière la Tesla, afin de forcer la voiture à ralentir progressivement, sans possibilité de dépasser. La manœuvre durera sur près de 10 kilomètres. Dans une tournure de phrase kafkaïenne, la police californienne conclut : “Nous ne pouvons pas actuellement confirmer que la fonctionnalité d”assistance à la conduite’ était activée, mais en considérant la capacité du véhicule à ralentir et s’arrêter pendant que [le conducteur] dormait, il semble que la fonctionnalité ‘assistance à la conduite’ ait été active.”
La phrase peut sembler étrange mais The Verge rappelle qu’en 2018, une Tesla embarque une telle flopée d’options d’aide à la conduite et de régulateurs de vitesse que ni la police ni les conducteurs ne semblent réellement plus savoir de quoi ces voitures sont capables en termes d’autonomie. D’autre part, la fonction Autopilot requiert que le conducteur ait les mains agrippées au volant, précisément pour éviter ce genre de situation, et parce qu’il s’avère que les gens font à peu près n’importe quoi avec. Il n’empêche : ce 30 novembre, c’est bien une voiture en pilote automatique avec son conducteur endormi que la police a arrêtée sur l’autoroute, et l’information ne nous vient pas d’un film d’anticipation.
Minority Report, nous voilà
Ce fait divers, heureusement sans gravité, suggère à l’esprit une cohorte de questions fascinantes. Quelle va être, avant toute chose, la réponse de Tesla à cette situation ? Le constructeur, habitué à résoudre les problèmes de manière empirique et extrêmement réactive, via des mises à jour de logiciel dites “invétères”, à distance et parfois même sans prévenir les conducteurs, a déjà procédé à plusieurs ajustements de ses fonctionnalités d’assistance à la conduite. La dernière d’entre elles concerne justement cette obligation de toucher le volant pour activer l’Autopilot (les conducteurs se plaignaient de devoir serrer le volant à s’en blanchir les jointures).
Depuis la dernière itération de l’Autopilot, diffusée le 15 octobre, les Tesla sont encore meilleures à l’analyse de leur environnement en temps réel. Le constructeur devrait-il volontairement “brider” sa fonctionnalité, le temps que les régulations rattrapent le rythme de l’innovation ? Autre aspect de la question : les constructeurs automobiles devront-ils bientôt intégrer des “backdoors” (des mouchards) à leurs véhicules connectés pour que la police puisse en prendre le contrôle à distance (une technique appelée “remote stop”) ?
On sait, grâce à des chercheurs en sécurité chinois et à leurs exploits en 2015 et 2016, que la voiture connectée est tout à fait piratable à distance. Il est donc très simple d’imaginer un dispositif de prise de contrôle volontaire par la police pour appréhender des véhicules en infraction. Mais alors, on nagerait en plein Minority Report. Vous n’y croyez pas ? En 2014, des fuites de documents révélaient que des élus européens réfléchissaient déjà à un appareil de ce type pour équiper la police des différents États membres. Le plan de développement était prévu sur six ans. La SF vient à peine de commencer.