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Interview : pourquoi les jeux Borderlands sont aussi beaux

Interview : pourquoi les jeux Borderlands sont aussi beaux

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Par Pierre Bazin

Publié le

Nous avons parlé d'art, d'humour et de sexisme avec l'une des principales artistes ayant bossé sur le nouveau Borderlands.

Annoncé pour le 13 septembre, Borderlands 3 va faire beaucoup de bruit. En effet, le troisième opus de la série qui allie jeu de rôle, FPS, co-op, solo, humour et explosions est très attendu par les fans. Lancée il y a bientôt dix ans, la franchise Borderlands a toujours su séduire une large audience – qui est d’ailleurs plus diversifiée que celles de la plupart des FPS-RPG du même genre. Le succès de la série tient beaucoup de son identité graphique toute particulière, loin de l’habituelle quête d’ultraréalisme des jeux AAA : Borderlands, c’est avant tout de la violence décomplexée et de l’humour dans un univers cartoonesque.

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Si l’histoire racontée dans les deux premiers épisodes, le “Pre-sequel” sorti en 2014 et les excellents épisodes narratifs développés par feu le studio Telltale peut paraître chaotique, les personnages hauts en couleur donnent de la profondeur aux aventures des joueur·euse·s.

En effet, au-delà de leurs dialogues loufoques, les habitants de la planète Pandora forment en fait un magnifique fil rouge qui unit toute la franchise et récompense l’assiduité des fans. En parallèle, à chaque épisode de nouveaux protagonistes, alliés ou antagonistes d’exception viennent enrichir cette splendide galerie de personnages – le méchant Beau Jack est d’ailleurs la grande réussite de Borderlands 2.

À l’occasion d’un premier test de Borderlands 3, nous avons pu rencontrer la talentueuse Amanda Christensen, l’une des concept artists de Gearbox Software, qui s’est notamment occupée de la création de certains de ces personnages.

Claptrap, le seul, l’unique. (© Gearbox Software)

Konbini | Peux-tu nous présenter rapidement ton métier ?

Amanda Christensen | Je suis concept artist à Gearbox Software. De manière générale, mon travail consiste à dessiner les personnages, les créatures et parfois des détails de l’environnement. Je suis dans les premières étapes de la production. Donc tout ce que je fais sera ensuite utilisé par différents artistes et retravaillé numériquement, jusqu’à l’étape de l’animation et de l’incorporation au jeu. Avant Borderlands 3, j’avais travaillé sur le “Pre-Sequel”, quelques personnages de DLC et j’avais également fait des illustrations générales pour la franchise.

Qu’est-ce qui t’a attirée dans la direction artistique très particulière de Borderlands ?

C’est vraiment un style très inspiré des comics, mais survitaminé. On y retrouve aussi une grosse inspiration venue des anime. C’est très éloigné des graphismes ultraréalistes, souvent assez sombres, de la plupart des FPS. Je voulais travailler dessus parce que j’avais envie de créer des personnages hauts en couleur (littéralement) et complètement fous – surtout que c’est autour d’eux que Borderlands s’est construit.

Les fans aiment la franchise pour cette direction artistique. Mais qu’est-ce qu’elle a de plus ?

Les gens sont attirés par différents aspects du jeu. J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de joueuses, particulièrement dans la communauté du cosplay. Elles se retrouvent dans ces personnages (dont beaucoup sont féminins) aussi badass que beaux.

De la même manière, on remarque aussi une grande production de fan arts [des dessins et animations réalisés par des fans, ndlr] – ce qui est amusant, car on voit qu’il y a une large diversité au sein des fans. De manière plus générale, je pense que les gens sont attirés par tous ces mélanges propres au jeu : du combat violent mêlé à énormément d’humour piquant.

La plupart des jeux, particulièrement les FPS, sont un peu dans une “course aux graphismes”, et cherchent à être toujours plus réalistes, plus clinquants. Qu’en penses-tu ?

Personnellement, je viens d’une forme d’animation plus “traditionnelle”, celle des dessins animés notamment. C’est ce qui m’a attirée vers Borderlands. La plupart des gens pensent que la franchise a juste un style en cel shading [une forme de contraste accentué par ordinateur qui fait ressortir les ombres et les contours d’une image, ndlr], ce qui peut paraître feignant sur le plan technique, sauf qu’en réalité la plupart des textures sont peintes à la main. Il y a bien évidemment divers filtres qui sont ajoutés par la suite, mais toutes les couleurs sont de véritables encres au début leur création.

C’est très particulier, et ce n’est pas une chose sur laquelle on peut tricher. C’est tout aussi difficile qu’un graphisme photoréaliste. Sans nécessairement le savoir, les joueurs et joueuses remarquent inconsciemment qu’il y a quelque chose de bien différent qu’un “simple” algorithme de modélisation 3D – et c’est aussi ce qu’ils aiment dans le jeu.

(© Gearbox Software)

Il y a peu de femmes qui conçoivent des jeux vidéo. Comment le ressens-tu personnellement ?

Effectivement, je suis la seule femme dans mon équipe. Mais je crois que j’ai d’abord une expérience de joueuse. On est souvent très sceptiques vis-à-vis des personnages féminins, qui sont surexposés et ont des poses aguicheuses (ce qui est clairement peu pratique pour le combat). C’est aussi ce désir d’apporter des changements et mon point de vue qui m’a poussée vers ce travail.

Je n’ai jamais vraiment eu de problèmes à Gearbox et, à l’exception d’un ou deux messages sur Twitter, j’ai eu de bons retours sur mon travail de la part des fans. Je suis peut-être chanceuse, mais je pense que la franchise Borderlands est particulièrement féminisée, surtout pour un jeu de tir.

Tous les personnages de la franchise sont badass (qu’ils soient des hommes, des femmes ou des robots). Mais d’un autre côté, beaucoup de personnages féminins ont aussi des attributs sexuels particulièrement mis en avant. Est-ce que c’est une sorte de contrepartie pour attirer certains joueurs ?

Si on reprend l’exemple de Moxxi, ce sont des personnages à voir dans leur ensemble, car leur sexualisation a un sens. Quand on regarde l’histoire de Moxxi, on comprend que c’est une businesswoman. Son personnage est très stéréotypé, mais derrière tout ça, elle a des enfants et gère seule sa vie.

C’est bien de ne pas s’interdire des personnages hyper féminins comme Moxxi. De l’autre côté, on aura aussi des personnages comme Ellie, qui a un physique qu’on ne voit pas souvent représenté. Dans ce troisième épisode, Amara la sirène est avant tout musclée. C’est mieux d’avoir une vision large des personnages de femmes, et cela inclut aussi celles qui sont sexy – et c’est tant mieux qu’elles le soient, tant que ce n’est pas uniquement leurs attributs physiques qui les définissent.

Moxxi, personnage iconique de la franchise <em>Borderlands.</em> (© Gearbox Software/2K)

Quelles sont les étapes pour créer un nouveau personnage de Borderlands ?

Le plus souvent, je reçois un pitch un peu général sur ce qu’il doit être, mais je reste très libre. D’ailleurs, je peux aussi être impliquée dans les réflexions narratives et artistiques. C’était le cas avec Amara : on avait besoin d’une nouvelle sirène et il fallait qu’elle soit assez “physique”. Je commence toujours par faire un paquet de dessins et de croquis bruts. On appelle ça des “miniatures”. La plupart du temps, on en a une cinquantaine par personnage.

À la fin, on se retrouve avec un design final qui est approuvé par ceux qui écrivent, par les game directors et Randy évidemment [Randy Pitchford, le PDG de Gearbox, ndlr]. Il y a eu, par moments, quelques petits débats passionnés, mais la plupart du temps c’est ce que je définirais comme une “intense collaboration”.