Mariage pour tous : 2 ans après, des marié(e)s dressent un bilan en demi-teinte

Mariage pour tous : 2 ans après, des marié(e)s dressent un bilan en demi-teinte

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Par Anaïs Chatellier

Publié le

Le mariage, toujours un acte d’amour

Les oppositions étaient très fortes et les prétextes à l’interdiction peu fondés semble-t-il. Les couples homosexuels ont beau avoir subi toutes les formes de qualifications dans la bouche des manifestants opposés au projet, leurs unions prouvent bel et bien que l’amour homosexuel n’a rien de “contre-nature“.
C’était pour nous à la fois un acte d’amour et de protection juridique, une manière d’être reconnu comme une famille“, nous explique Vincent dont le mariage avec Bruno s’est déroulé sous le feu des projecteurs. En tant que premier couple homosexuel à célébrer leur mariage en France, ils savaient que leur union allait attirer les médias. Ils ont ainsi décidé d’inviter la presse, pour que leur mariage soit “un remerciement à toutes celles et tout ceux qui se sont mobilisés“.

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C’était une manière de célébrer le fait que l’amour l’a emporté sur la haine. Après notre mariage nous avons reçu 15 000 messages, y compris provenant de pays où les homosexuels sont réprimés. Nous n’avons donc eu aucun regret d’avoir su gérer la presse, sachant qu’après avoir coupé la caméra nous avons célébré notre mariage comme tout le monde, avec seulement nos proches.


Vincent Autin et Bruno Boileau se sont mariés par Gentside
De son côté, la question du mariage s’est posé à Sébastien lorsque le visa de son actuel mari de nationalité américaine allait expirer. “Nous vivions déjà ensemble, ça n’a donc pas été un mariage blanc juste pour avoir des papiers, précise-t-il. C’était surtout une manière de sécuriser notre couple, de pouvoir se projeter davantage sur le long terme, de devenir plus solidaire l’un de l’autre“. Plus personnellement, le mariage a également permis à Sébastien “de montrer qu'[il] était vraiment out, auprès de [sa] famille“.

L’annonce de mon mariage est très bien passée au sein de ma famille, ça a été un vrai soulagement. Je pense que ça leur a aussi permis de s’interroger sur la loi, je pense même qu’une partie de ma famille aurait très bien pu se retrouver à la Manif pour tous et le fait que je fasse partie de leur famille, et qu’ils voient la relation que j’ai avec mon mari les en a dissuadés.

Il a d’ailleurs été agréablement surpris de la réaction des personnes auxquelles il s’est adressé pour faire les démarches. “On a été super bien accueillis dans la mairie du 20ème et cela a contribué au bon déroulement de notre mariage“, tient-il à ajouter.
Pour Jessie, son mariage avec Mélanie en avril 2014 n’a fait que “concrétiser [leur] amour“. Déjà pacsées quatre ans auparavant, le mariage a donc été une étape supplémentaire et leur a permis d’être rassurées. “Le Pacs ne protège de rien et comme nous voulons avoir des enfants, le mariage nous permettra de fonder réellement une famille“.
Les marié(e)s interrogé(e)s sont donc formel(le)s, l’amour est la raison qui sous-tend leur union, non sans l’objectif de sécuriser leur famille. Des préoccupations on ne peut plus normales qui témoignent d’un pur désir d’égalité, ni plus ni moins. Pourtant, les acquis sont bien loin d’égaler les attentes de ces couples qui ont bien souvent rencontré quelques désillusions concernant les questions de filiation notamment.

La filiation, un projet inabouti

On se retrouve donc avec un mariage amputé d’une grande partie de son intérêt, c’est-à-dire la possibilité de fonder des familles avec plus de facilité, sans avoir besoin d’en passer par l’arbitraire des décisions de Justice, explique-t-elle.

Une hypocrisie” en France, qu’elle interprète comme “un manque de courage politique devant la pression de groupes réactionnaires minoritaires très bruyants“. Bien au-delà d’un simple refus de reconnaître la liberté de ces femmes à disposer de leur propre corps, comme elle l’affirme, la loi est selon elle dangereuse et ne garantit pas la sécurité des femmes qui pourraient avoir recours au dispositif.

On est tou-te-s d’accord pour défendre ce droit des femmes à disposer librement de leur corps et à refuser cette hypocrisie consistant à leur permettre de reconnaître des enfants conçus à l’étranger, là où elles pourraient simplement le faire en France, être suivies en France, donc dans de meilleures conditions sanitaires, affirme-t-elle au nom de son association, FièrEs.

D’ailleurs, Jessie et Mélanie ne compte pas attendre qu’une loi les autorise à devenir parents. “Nous sommes deux femmes et nous souhaitons toutes les deux être enceintes pour avoir des enfants qui seront reconnus par nous deux. Et s’il le faut, nous irons à l’étranger pour le faire. Je ne trouve pas ça normal que ce soit si compliqué d’avoir un enfant quand on en veut vraiment un“, regrette-t-elle.
Et si la GPA fait moins consensus que la PMA, elle occupe toujours les esprits de ceux qui voient en elle une solution afin d’avoir des enfants. Vincent en témoigne, c’est une idée qui lui a traversé l’esprit :

Devenir parent est un projet que nous avons depuis bien avant la question du mariage. Nous avons songé à la GPA et je pense que le sujet mérite un vrai débat. Des couples, dont 80% sont hétérosexuels, y ont recours à l’étranger, ça ne sert à rien de continuer à se voiler la face.

Compte tenu du climat actuel, j’aurais peur que l’enfant subisse des moqueries parce qu’il a deux papas. J’ai beaucoup souffert quand j’étais petit, on me tapait parce que je faisais “pédé”. J’aurais peur que mon enfant me dise un jour “mais pourquoi t’as fait ça ?”, peur d’avoir fait un acte égoïste en fait.

Si les inquiétudes de Sébastien sont fondées, c’est bien parce que les mentalités envers les personnes homosexuelles n’ont pas forcément évoluées chez certaines personnes. Pire encore, la médiatisation de la Manif pour tous semble avoir réveillé des pensées et actes homophobes chez des personnes qui ont alors profité du débat public pour affirmer qu’eux aussi étaient contre.

Une augmentation de l’insécurité

Début 2013, alors que le mariage pour tous était en plein débat, les actes homophobes ont connu une forte hausse, entre agressions, parfois d’une extrême violence, insultes, menaces, etc. Le témoignage de Jessie, manager dans la restauration, sur ce sujet-là est particulièrement glaçant :

Avant la loi, je devais me faire insulter une fois par mois, après c’est devenu quotidien. S’il n’y a aucun souci avec mes collègues, il n’y a pas une journée de travail sans qu’un client ne m’insulte parce que j’ai une apparence de lesbienne. Il n’y a vraiment pas de modèle-type, ça touche toute la clientèle peu importe l’âge, l’origine, le milieu social…
Forcément, ça me met hors de moi, je ne juge jamais la clientèle, je ne vois pas pourquoi les gens se mêlent de ma vie privée. Alors je réponds, je ne me laisse pas faire ce qui m’attire quelques soucis. On m’attend régulièrement à la sortie, je me suis déjà fait agresser par 25 hommes…

Je pense que l’évolution de la situation des homosexuels en France ressemblera un peu à celles des femmes. Elles ont d’abord obtenu le droit de vote, puis le droit à l’avortement, mais il y aura toujours des cons de sexistes.
La preuve, il existe encore des inégalités salariales et des personnes remettent encore en question l’IVG, etc. Il y aura donc certainement toujours des homophobes, mais ça devrait quand même s’améliorer !

En tant que militant, Vincent reste confiant quant à l’avenir. Les futures générations auront toujours connu la France avec la loi Taubira, cela devrait donc mener à moins de remise en question et à plus de tolérance, espère-t-il. Mais selon lui, “nous pourrons vivre en toute tranquillité, à partir du moment où les Français auront compris que ce qui fait la richesse de la France, c’est sa diversité“.
Article co-écrit avec Aline Cantos.